outil
(latin utensilia, ustensiles)
Objet fabriqué, utilisé manuellement ou sur une machine pour réaliser une opération déterminée.
PRÉHISTOIRE
On considère généralement que la première manifestation de l’intelligence humaine fut le premier outil fabriqué. L’homme a peu à peu appris à maîtriser la matière : pierre, os ou bois, pour réaliser ses outils et ses armes. Il a certainement utilisé tout ce qui, dans la nature, pouvait être employé ; mais, s’il est logique de penser que la plupart des matières périssables (bois, cuir, lianes ou tendons d’animaux) ont été utilisées par l’homme préhistorique, le préhistorien, lui, n’en possède aucune trace matérielle. L’industrie osseuse a subi la sélection de la corrosion naturelle et, bien que l’on suppose que le travail de l’os remonte aux premiers âges, c’est dans les gisements du paléolithique supérieur, qui débute il y a environ 35 000 ans, qu’il est attesté. En fait, seule la pierre n’a pas subi les ravages du temps. Elle constitua l’élément de base de l’outillage pour sa dureté, ses propriétés tranchantes, ses possibilités variées de façonnage et son abondance. Si, au début de la préhistoire, les premiers outils étaient rudimentaires et de formes peu variées, ils se diversifièrent et s’adaptèrent de plus en plus finement à leur fonction aux cours des temps. Il existe une différence fondamentale entre les premiers galets grossièrement aménagés par les premiers hominidés, il y a 3 millions d’années, et l’industrie du paléolithique supérieur, qui prouve le prodigieux degré de technicité acquis par nos ancêtres Homo sapiens sapiens. Bien que les outils aient été conçus et fabriqués dans un but utilitaire, ils témoignent aussi de la tradition des divers groupes préhistoriques en caractérisant leur culture.
Les premiers outils
La première « industrie lithique » humaine (premiers essais de transformation de pierres en outils) reconnue comme telle a été découverte en Afrique orientale sur le gisement d’Oldoway, en Tanzanie ; elle est aussi désignée sous le nom anglais de « Pebble culture » et est l’œuvre de Homo habilis, qui vécut il y a environ 2 millions d’années. Cette industrie est surtout représentée par des galets dits « aménagés », qui présentent soit un seul enlèvement sur l’une de leur face (galets appelés choppers), soit un enlèvement sur chacune des deux faces, l’intersection créant ainsi un tranchant (galets appelés chopping-tools). Il s’agit d’outils extrêmement frustes qui devaient servir à broyer. Plus tard, en Europe notamment, à l’acheuléen, il y a plus de 1 million d’années, le biface constitue l’outil le plus fréquemment retrouvé. Outil allongé à l’extrémité pointue ou arrondie, il est obtenu à partir d’un bloc (ou nucléus) qui est, comme le chopping-tool, taillé sur ses deux faces. Mais il est beaucoup plus élaboré et montre une volonté de mise en forme du tranchant, donc de la silhouette de l’objet. Au cours du paléolithique inférieur, les outils vont commencer à se diversifier et c’est pendant l’acheuléen moyen que l’on trouve les premiers outils sur éclat, tels que le racloir, éclat retouché sur son long côté, et des outils encochés ou denticulés (grattoirs, burins, etc.).
Enfin, vers − 200 000 ans, l’industrie lithique va subir une évolution fantastique avec l’apparition de la « technique Levallois ». Il s’agit d’un mode de débitage qui consiste à obtenir un éclat de forme prédéterminée, à partir d’une préparation particulière et élaborée du bloc de matière première (silex le plus souvent). Cette technique permet, à partir d’un rognon de silex (le nucléus), d’obtenir plusieurs éclats ou pointes prédéterminés de forme semblable : il s’agit d’une véritable production en série. Du simple enlèvement dans le but de créer un tranchant sur le chopper, les hommes du paléolithique inférieur ont franchi, grâce à l’invention de la technique Levallois, une étape fondamentale aussi bien pour la pensée humaine (présence d’un schéma opératoire complexe) que pour le perfectionnement technique. En effet, au paléolithique supérieur, le débitage des lames de silex à partir d’un nucléus ne fera que reprendre cette technique.
Formes et fonctions
Au cours de la préhistoire, les outils se sont beaucoup diversifiés et les archéologues les retrouvent en grand nombre dans les gisements préhistoriques. Pour attribuer à ces témoins un cadre chronologique précis et en découvrir l’évolution, il a fallu les étudier selon, d’une part, la technique de fabrication et, d’autre part, leurs formes et leurs fonctions. La corrélation de ces éléments a permis de créer une typologie, c’est-à-dire une classification cohérente des différents types d’objets. Depuis Boucher de Perthes, qui, au xixe siècle, lança les bases d’une classification des outils préhistoriques, les préhistoriens ont reconnu, de façon intuitive, des types aux formes constantes en leur donnant, le plus souvent, soit le nom de leur fonction présumée, soit, par analogie avec des formes actuelles, le nom d’outils contemporains : ainsi les grattoirs, les burins, les perçoirs et autres « bâtons de commandement ». En fait, l’ethnologie a prouvé qu’un même outil pouvait avoir des fonctions variées ou que, à l’inverse, différents outils pouvaient être utilisés pour une même tâche. On sait aujourd’hui, notamment grâce à l’étude des plus infimes traces d’utilisation (microtraces d’utilisation), que, par exemple, les grattoirs ne servaient pas toujours à gratter et que les racloirs ne servaient pas forcément à racler. Ce fait confirme que plusieurs types de fonctions peuvent être attribués à un même outil. Toutefois, la communauté scientifique a conservé les noms de la typologie traditionnelle.
L’étude des microtraces d’utilisation remet effectivement en question les interprétations anciennes. Au moyen de microscopes à fort grossissement, on analyse les stries, les écaillures, les émoussés de l’outil, son utilisation par les hommes préhistoriques ; pour relier ces traces à la fonction de l’outil, on procède à des comparaisons avec des outils reproduits aujourd’hui et utilisés dans les mêmes conditions qu’alors. On a pu ainsi retrouver la manière dont il était utilisé, s’il était emmanché et le matériau qu’il a travaillé.
Les outils en os
Vivant en contact permanent avec les animaux, l’homme a très tôt utilisé leurs ossements. Les australopithèques fracturaient des os longs, produisant ainsi un biseau formant une pointe solide ; le site de Melka Kontouré (Éthiopie) a ainsi livré dans une couche datée de 1 700 000 ans les premiers outils en os portant les traces d’une utilisation humaine. Pendant le paléolithique inférieur et jusqu’à la fin du paléolithique moyen (vers − 35 000), la forme de l’outil d’os est restée fortuite, seule la partie active était, parfois, aménagée par percussion. C’est au paléolithique supérieur que l’artisanat de l’os se développe réellement, l’habileté technique permettant même d’atteindre un incomparable esthétisme. Ainsi, des techniques spécifiques ont abouti à une très grande variété d’armes et d’outils, d’objets de parure et d’art. L’industrie de l’os a été utilisée pour fabriquer des armes qui servaient pour la plupart à la chasse des grands mammifères. Ainsi la sagaie, qui est constituée d’une baguette d’os dont une extrémité est appointée, l’autre étant fixée à une hampe en bois. Elle était lancée grâce à un propulseur, qui décuplait sa force par rapport au lancer à la main et en augmentait la précision.
Pour la pêche sont fabriqués des hameçons, des têtes de harpons avec une ou deux rangées de barbelures. Certains outils sont encore utilisés aujourd’hui, l’aiguille à chas par exemple, inventée par les hommes du solutréen il y a plus de 18 000 ans et dont la forme, même si le matériau a changé, n’a guère varié. Le propulseur est resté en usage jusqu’au xxe siècle chez les Esquimaux et certaines populations océaniennes. Enfin, il existe d’autres outils dont on ne connaît pas encore la fonction : le bâton percé, parfois appelé « bâton de commandement », ou les baguettes demi-rondes par exemple. L’homme travaille également l’ivoire, comme en témoignent les statuettes féminines trouvées à Brassempouy (Landes) et le bois de renne, qu’il façonne en armes de chasse (emmanchement des haches de pierre polie).
La fabrication des outils
Les techniques de fabrication des outils en pierre varient en fonction de la matière première, les roches compactes ne se travaillant pas de la même façon que les roches friables. Elles utilisent deux types d’opération : le débitage et le façonnage. Le débitage est l’action qui consiste à détacher, par percussions successives, des éclats d’un bloc de pierre. L’éclat sera alors utilisé, le bloc initial (appelé nucléus) pouvant être considéré comme un déchet. Le façonnage a pour but de mettre en forme l’éclat débité, ou bien le bloc lui-même, afin de permettre un débitage plus efficace. Au paléolithique, la technique de façonnage la plus répandue est la retouche. Celle-ci consiste à détacher de l’objet de très petits éclats par percussion ou par pression. La percussion directe (la plus courante) utilise un percuteur (galet de pierre pour un percuteur dur ; bois végétal ou animal pour un percuteur tendre) frappant directement l’objet. La percussion indirecte, par écrasement entre percuteur et enclume, produit des retouches verticales ; enfin, la pression permet des retouches très fines, les enlèvements étant alors très longs et étroits. Les hommes du solutréen, qui, il y a 20 000 ans, atteignirent l’apogée des techniques de débitage, utilisaient la retouche par pression pour réaliser les magnifiques « feuilles de laurier ». Ainsi, pour fabriquer un outil comme le grattoir, très utilisé au paléolithique supérieur, il faut commencer par bien choisir le silex, le préparer (enlever le cortex), le mettre en forme et aménager un plan de frappe pour pouvoir débiter aisément puis frapper avec le percuteur afin de détacher une lame ; cette lame est façonnée par des retouches obliques, sur sa partie étroite, qui déterminent le front du grattoir, c’est-à-dire la partie active, l’autre bout pouvant être emmanché.
La fabrication des outils en os requiert des techniques plus variées et l’existence préalable d’outils de pierre. Le matériau est généralement constitué par les bois, l’ivoire ou les os longs des grands mammifères comme le mammouth, le cheval, le bison ou le renne, animal par excellence du paléolithique supérieur. Pour fabriquer des outils tels que la sagaie, le harpon, l’aiguille à chas ou le propulseur, il faut creuser dans la partie compacte d’un bois de renne, à l’aide d’un burin de silex, deux rainures séparées par une distance égale à la largeur de l’outil désiré. Ces rainures sont peu à peu approfondies jusqu’à ce que la partie spongieuse de l’os soit atteinte. La baguette est alors extraite. L’ébauche peut ensuite être transformée soit en sagaie par raclage au moyen d’un silex tranchant, soit en aiguille à chas ; la perforation du chas se pratique soit par pression à partir d’une petite rainure, soit par rotation en utilisant un perçoir de silex.
Les microlithes
L’outillage des derniers chasseurs cueilleurs se caractérise par la fabrication et l’utilisation de très petits outils produits à partir d’éclats ou d’esquilles de silex. Ce sont, la plupart du temps, des armatures de pointes de flèches. De forme géométrique, leur dimension est inférieure à 40 mm et leur épaisseur à 4 mm. Ces microlithes étaient réunis en série sur le tranchant d’un support d’os ou de bois ou étaient utilisés comme pointes sur des armes de jet.
À la fin du paléolithique supérieur, l’homme façonne des outils de plus en plus petits. Si les premiers tailleurs obtenaient 10 cm de tranchant utile avec 1 kg de silex, les hommes de l’acheuléen en obtenaient 40 cm, puis ceux du moustérien (au paléolithique moyen) 2 m, enfin les hommes de la fin du paléolithique supérieur obtinrent de 6 à 20 m. L’homme s’est-il complètement affranchi par rapport aux gisements de matière première, ou s’agit-il d’exploiter au maximum une matière première devenue rare ou difficile à trouver en raison du bouleversement climatique, réchauffement intervenu vers − 9000 et qui eut pour conséquence majeure le retour de la forêt ?
Dates clefs
− 2 millions d’années : premiers outils attribués aux australopithèques et découverts en Afrique orientale.
− 1 million d’années : apparition des premiers bifaces.
− 200 000 ans : les Acheuléens prédéterminent la forme des produits à débiter ; c’est l’invention de la technique Levallois.
− 35 000 ans : l’Homo sapiens sapiens développe le débitage laminaire et façonne l’os.
− 18 000 ans : apogée de la taille avec les Solutréens qui utilisent le débitage par pression. Cette même culture invente l’aiguille à chas en os.
− 9 000 ans : l’industrie lithique tend à une miniaturisation.