nouvelle vague

Dénomination appliquée, en 1958, par la critique à certains cinéastes français (François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Éric Rohmer, Jacques Rivette, Jacques Demy, Agnès Varda, Jacques Rozier) qui affirmaient la primauté du réalisateur sur le scénariste et défendaient un cinéma d'auteur, expression d'un regard personnel.

L'expression « nouvelle vague » s'applique à la période de l'histoire du cinéma français couvrant les années 1959-1960. Toutefois, elle traverse les décennies et dépasse l'aspect éphémère de son seul moment d'apparition ; nombre d'auteurs nouvelle vague étant encore, en 1990, les metteurs en scène de référence du cinéma français contemporain.

Au départ simple étiquette journalistique appliquée aux jeunes de 1958, le qualificatif nouvelle vague rassemble bientôt toute une génération de cinéastes qui commencent leur premier long métrage à la fin des années 1950. Quelques-uns, qui ont déjà signé des courts métrages, vont donner son impulsion au mouvement. Parmi eux : Jean Rouch, Georges Franju, Pierre Kast, Chris Marker, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, François Truffaut.

Phénomène cinématographique assez paradoxal, la nouvelle vague est constituée d'auteurs, d'événements, d'œuvres, d'idées et de conceptions de la mise en scène extrêmement divers. On ne peut donc l'assimiler à une école, et François Truffaut est allé jusqu'à dire, de manière un peu provocante, en 1962, que « le seul trait commun des auteurs nouvelle vague était leur pratique du billard électrique ».

Cependant, la nouvelle vague apparaît comme un véritable événement – peut-être même une petite révolution – dans la mesure où elle permet à une centaine de nouveaux auteurs de tenter de renouveler le cinéma français. Contournant la boutade de Truffaut, on pourrait dire que le seul trait commun aux auteurs nouvelle vague était leur volonté de se démarquer du cinéma dit « de qualité » – passé par le moule des studios – au profit d'œuvres plus personnelles. Jugée provocatrice par les routiniers de la profession, la nouvelle vague eut ses détracteurs, et il arriva que l'expression prît une connotation péjorative, désignant alors un état d'esprit particulier, une certaine désinvolture, voire un laisser-aller dans la réalisation et la finition artistiques d'un film.

Le cinéma français avant la nouvelle vague

La période de l'après-guerre se caractérise par une grande continuité dans les règles de réalisation industrielle des films et dans les chemins d'accès à la profession.

Entre la Libération et 1958, le nombre de nouveaux réalisateurs se limite à quelques individus par an. La plupart du temps, ils accèdent au long métrage après une longue période d'assistanat : ils ont ainsi eu le temps d'être profondément imprégnés par les modèles des anciens. Dans leur majorité, ils respectent les règles d'un cinéma bien rodé, qui a connu son apogée à la fin des années 1930 et qui repose sur trois principes : le primat du scénariste-dialoguiste ; le tournage en studio, avec une lourde équipe technique que contrôlent des syndicats très corporatistes ; des comédiens chevronnés et populaires que le public retrouve de film en film (Jean Gabin, Martine Carol, Bourvil...).

Les cinéastes majeurs de l'avant-guerre

À côté de Claude Autant-Lara, René Clair et Henri-Georges Clouzot il convient de placer Jean Renoir, Jacques Becker et Marcel Carné, sans oublier Robert Bresson – dont Truffaut dira que « son cinéma est plus proche de la peinture que de la photographie ». Quant à René Clément, après quelques films novateurs (la Bataille du rail, 1945 ; Jeux interdits, 1952), il adopte les méthodes des anciens : Gervaise, réalisé en 1956, est une adaptation de l'Assommoir, de Zola, avec Maria Schell et François Périer, dans une production qui, pour être prestigieuse, n'en est pas moins décevante.

Les nouveaux venus

Cependant, dès 1946, quelques francs-tireurs ont montré la voie. Jean-Pierre Melville réalise dès 1947 le Silence de la mer avec des méthodes hors normes qui préfigurent celles de la nouvelle vague : un très petit budget (9 millions de francs, alors que le budget moyen pour un long métrage en 1946-1947 est de 60 millions de francs), une équipe réduite, des acteurs inconnus, des décors naturels, le manque d'autorisation officielle de tournage du Centre national de la cinématographie et, qui plus est, l'absence d'accord de l'auteur du roman adapté, Vercors. Le film n'est exploité qu'en 1949, avec un succès d'estime, mais l'accueil critique qu'il reçoit ouvre le chemin à une production totalement indépendante.

La même année, le critique Roger Leenhardt, qui a débuté avant la guerre dans la revue Esprit, réalise à quarante-cinq ans un premier long métrage, très personnel, d'après ses souvenirs d'enfance : les Dernières Vacances racontent des amours adolescentes ayant pour cadre une propriété de famille qui sera vendue à la fin de l'été.

En 1955, une jeune photographe, Agnès Varda, réalise seule, en décors naturels à Sète, un premier long métrage très audacieux, la Pointe courte. Elle y fait alterner des séquences quasi documentaires et des scènes dialoguées très littéraires jouées par deux acteurs de théâtre, Philippe Noiret et Silvia Monfort.

Lorsqu'en 1955 Alexandre Astruc réalise les Mauvaises Rencontres d'après un roman de Cécil Saint-Laurent, il est déjà un critique célèbre (son article sur « la caméra-stylo » est considéré comme le manifeste de la nouvelle vague) et l'auteur du Rideau cramoisi (1952), court métrage d'après Barbey d'Aurevilly. Les Mauvaises Rencontres sont l'histoire classique d'une provinciale (le rôle est tenu par Anouk Aimée) qui tente sa chance dans le monde de l'intelligentsia parisienne. Le jeune réalisateur construit son film autour de retours en arrière accompagnés d'une voix off, et s'inspire du style d'Orson Welles.

Enfin, Roger Vadim, jeune assistant de Marc Allégret, débute par un coup d'éclat : Et Dieu créa la femme (1956). Pour François Truffaut, ce film, qui eut un succès international considérable, donnait une image renouvelée du personnage féminin au cinéma en prenant pour sujet son émancipation sexuelle.

Il est évidemment hasardeux de rassembler Melville, Leenhardt, Astruc, Varda et Vadim sous la même bannière, mais chacun d'eux présente des caractéristiques que l'on retrouvera synthétisées dans la nouvelle vague : la référence au cinéma américain pour Melville, Vadim et Astruc, le petit budget pour Melville et Varda, l'expérience de la critique pour Leenhardt et Astruc ; plus globalement, une originalité dans le choix des sujets et des thèmes, un primat accordé à la jeunesse et aux problèmes contemporains.

La nouvelle vague déferle

La nouvelle vague acquiert son statut médiatique au cours de la saison cinématographique 1958-1959. L'idée d'un mouvement renouvelant la production ne s'impose que lorsque la critique des quotidiens, puis des grands hebdomadaires, s'intéresse à quelques nouvelles personnalités qui défraient alors la chronique : d'une part, Claude Chabrol, François Truffaut et Jean-Luc Godard, qui collaborent aux Cahiers du cinéma, revue fondée en 1951 par André Bazin, et, d'autre part, Alain Resnais et Marguerite Duras, qui signent ensemble Hiroshima mon amour (1959).

Une écurie de jeunes cinéastes

Durant l'hiver et le printemps 1959, une série de premiers films, dont certains sont réalisés depuis plusieurs mois, s'affichent dans les salles d'exclusivité des Champs-Élysées. Sont présentés au public, à cinq semaines d'intervalle, les deux premiers films de Claude Chabrol : le Beau Serge, histoire de solitude et d'alcoolisme, sort le 2 février, et les Cousins, peinture d'une jeunesse dorée, le 11 mars. Les deux films touchent un large public, surtout le second (260 000 entrées à Paris).

Le Festival de Cannes 1959 est celui de la nouvelle vague. La France y est représentée par Orfeu Negro, deuxième film de Marcel Camus, qui reçoit la palme d'or, et par les Quatre Cents Coups, de François Truffaut, à qui le prix de la mise en scène est accordé. Mais c'est Hiroshima mon amour, présenté hors compétition, qui enthousiasme la critique anglo-saxonne, italienne et allemande, et bénéficiera d'une carrière commerciale tout à fait inattendue pour un film aussi dérangeant, tant par sa forme que par son contenu.

L'été suivant débutent les réalisations d'À bout de souffle par Godard et du Signe du lion par Rohmer – deux films dont les intrigues se situent dans un Paris insolite – tandis que Rivette termine Paris nous appartient. Le mouvement est lancé, quelques dizaines de jeunes artistes vont pouvoir s'engouffrer dans la brèche pendant deux ou trois saisons : Jacques Demy (Lola, 1961), Jean-Pierre Mocky (les Dragueurs, 1959 ; Un couple, 1960), mais aussi Alain Robbe-Grillet (l'Immortelle, 1962), puis Claude Lelouch (l'Amour avec des si, 1966). Certains auteurs furent un moment considérés comme partie intégrante du mouvement : Philippe de Broca, qui débuta avec un scénario que reprendra Jean-Luc Godard (les Jeux de l'amour, 1960) ; Michel Deville, qui créa plusieurs comédies très personnelles (Ce soir ou jamais, 1960 ; Adorable Menteuse, 1961) ; Louis Malle, dont les films s'apparentent par bien des côtés à la nouvelle vague (les Amants, 1958 ; Zazie dans le métro, 1960). Cependant, leur œuvre s'en écartera vite pour se développer hors de toute école.

Les producteurs de la nouvelle vague

La nouvelle vague n'est pas l'affaire des seuls critiques et réalisateurs. C'est aussi un phénomène économique. Elle marque le triomphe du film à budget réduit – de deux à cinq fois inférieur au prix moyen du long métrage commercial de l'époque. Trois producteurs ont joué un rôle clé dans cette stratégie économique qui diffère fondamentalement de celle des producteurs traditionnels de films réalisés en studio : Pierre Braunberger, Anatole Dauman et Georges de Beauregard, qui ont produit ou coproduit les neuf dixièmes des films regroupés sous l'étiquette nouvelle vague.

Pierre Braunberger

Pierre Braunberger (1905-1990) a débuté au milieu des années 1920 en produisant des œuvres de Renoir, puis des films très commerciaux avec Roger Richebé dans les années 1930. Au cours des années 1950, il s'efforce de découvrir de jeunes auteurs et produit des courts métrages de Jean-Luc Godard et d'Alain Resnais. C'est lui qui distribuera et produira Jean Rouch (courts métrages ethnographiques sur l'Afrique noire ; long métrage Moi un Noir, 1958), ainsi que quelques titres majeurs des années 1960 : Tirez sur le pianiste (Truffaut, 1960), Vivre sa vie (Godard, 1962), Cuba si (Chris Marker, 1961).

Anatole Dauman

D'origine polonaise, Anatole Dauman (1925-1998) s'est d'abord spécialisé dans les documentaires d'art. Avec la société Argos Films, qu'il fonde en 1949, il donnera leur chance à de nombreux films sur des peintres (Fêtes galantes de Jean Aurel, 1950 ; les Désastres de la guerre de Pierre Kast – sur Goya –, 1952 ; Bruegel l'Ancien d'Arcady, 1953), avant de défendre les courts métrages et les premiers longs métrages d'Alain Resnais (Nuit et Brouillard, 1955 ; Hiroshima mon amour, 1959 ; l'Année dernière à Marienbad, 1961 ; Muriel ou le Temps d'un retour, 1963). Plus tard, il produira Agnès Varda (Du côté de la côte, 1959), Chris Marker (Lettres de Sibérie, 1958 ; la Jetée, 1963), Jean Rouch (Chronique d'un été, 1960), Jean-Luc Godard (Masculin féminin, 1966 ; Deux ou trois choses que je sais d'elle, 1967), Robert Bresson (Au hasard Balthazar, 1965 ; Mouchette, 1966), Volker Schlöndorff (le Tambour, 1979), Nagisa Oshima (l'Empire des sens, 1976) et Wim Wenders (Paris, Texas, 1984 ; les Ailes du désir, 1987 ; Jusqu'au bout du monde, 1991). Élargissant ses activités à la distribution et la diffusion, il parraine les œuvres d'un certain nombre d'artistes parmi lesquels Andy Warhol et Paul Morrissey. Président de l'Association française des producteurs de films, une rétrospective lui a été consacrée en 1989 au Centre Georges-Pompidou.

Georges de Beauregard

Le troisième producteur clé de la nouvelle vague, Georges de Beauregard (1920-1984), est le plus aventurier. Son nom est étroitement lié à la filmographie de Jean-Luc Godard, qu'il fait débuter avec À bout de souffle (1959). Exportateur de films à l'étranger, Georges de Beauregard commence comme producteur en Espagne, en découvrant Juan Bardem (Mort d'un cycliste, 1955 ; Grand-Rue, 1956). En France, ses choix sont d'abord plus conventionnels, puisqu'il fait adapter Pierre Loti par Pierre Schoendoerffer (Ramuntcho, 1958 ; Pêcheurs d'Islande, 1959), mais sa rencontre avec Godard est décisive : il va alors produire presque tous les premiers longs métrages (ou deuxième, ou troisième film, ce qui est plus risqué après un échec initial) des nouveaux auteurs des années 1960 : Jacques Demy (Lola, 1961), Agnès Varda (Cléo de 5 à 7, 1962), Jacques Rivette (la Religieuse, 1967), Eric Rohmer (la Collectionneuse, 1967).

La nouvelle vague se retire

Il est difficile de dater la fin du phénomène de la nouvelle vague. On assiste dès 1962 à une première crise avec une série d'échecs commerciaux, comme ceux de Chabrol (les Bonnes Femmes, 1960 ; les Godelureaux, 1960), de Godard (les Carabiniers, 1963), de Rozier (Adieu Philippine, 1962).

Certains films ne sont même plus distribués commercialement (l'Œil du Malin et Ophélia de Claude Chabrol). Parallèlement, les nouveaux auteurs accentuent l'écart existant entre leur originalité créatrice et la réceptivité du public de cinéma, qui reste malgré tout un public de masse. Ainsi, Jean-Daniel Pollet, Philippe Garrel, Marcel Hanoun n'auront qu'un public confidentiel et n'atteindront jamais celui de Godard, de Chabrol et de Truffaut. Seuls Rivette et Rohmer réussissent à élargir leur audience au cours des années 1970.

Les producteurs eux-mêmes soutiennent des films plus conformes aux critères du grand public, comme Landru de Claude Chabrol (1962), avec Charles Denner et Michèle Morgan ; les films érotiques de Walerian Borowczyk (1923-2006) (Contes immoraux, 1974 ; la Bête, 1975) sont produits par Anatole Dauman ; les films de Claude Lelouch (Une fille et des fusils, 1964) et de Gérard Pirès (Erotissimo, 1968) le sont par Pierre Braunberger.

Si le succès de la nouvelle vague n'a duré que deux ou trois saisons, des films comme Hiroshima mon amour, À bout de souffle ou les Quatre Cents Coups sont devenus des films de référence pour les jeunes cinéastes britanniques, tchèques, polonais, brésiliens, italiens et québécois. Les années 1960 sont celles des « nouvelles vagues » un peu partout dans le monde.