français
Langue romane parlée principalement en France, au Canada, en Belgique, en Suisse et en Afrique.
Le français appartient, au sein de la famille indo-européenne, au groupe des langues romanes. Il dérive, par une série de transformations phonologiques, syntaxiques et sémantiques, du latin, « langue mère », qui procède à son tour de l'indo-européen, dont nous n'avons aucun témoignage, mais dont nous pouvons supposer l'existence à partir des langues attestées. Retracer l'histoire de la langue française, c'est montrer comment, à travers les bouleversements historiques, externes à la langue, et les phénomènes proprement linguistiques, le latin des soldats, des colons ou des commerçants romains s'est peu à peu transformé jusqu'à devenir incompréhensible pour quelqu'un qui n'aurait connu que le latin de l'époque de Cicéron. C'est aussi montrer comment, à une époque plus récente, un pays plurilingue, où l'on parlait le français, l'alsacien, le breton, le basque et une multitude de dialectes et de patois, est devenu officiellement monolingue.
Les langues originelles, de la conquête romaine aux dynasties franques
Au milieu du ier s. avant notre ère, lorsqu'elle est conquise par les Romains, la Gaule compte près de 90 peuples, formant ce que Jules César nomme des civitates (« cités »). Tous cependant parlent la même langue celtique, le gaulois, qui n'est pas dépourvu, du reste, de variations dialectales. En quelques siècles (de 51 avant J.-C. à environ 400 après J.-C.), celui-ci va progressivement disparaître au profit du latin, dont il est un substrat, puisqu'il y laisse quelques traces.
À partir du ve s., le pouvoir passe aux mains des envahisseurs germaniques : formation de divers royaumes barbares (franc, burgonde, ostrogoth, wisigothique...), puis fondation des dynasties franques. Ainsi les rois mérovingiens, descendants de Clovis (roi des Francs de 481 à 511), et carolingiens, descendants de Pépin le Bref, père de Charlemagne, parlent-ils une langue germanique. Hugues Capet (roi de 987 à 996) est sans doute le premier roi de France à n'avoir parlé que le roman, dérivé du latin populaire. Mais ces envahisseurs vont peu à peu s'assimiler linguistiquement, c'est-à-dire qu'ils vont perdre leur langue et y substituer celle du pays conquis, non sans laisser à leur tour des traces du francique (langue des Francs), sous forme de superstrat, dans ce qui, progressivement, deviendra le français. Toutes ces traces linguistiques sont de divers ordres.
Les traces lexicales des langues originelles
Le vocabulaire courant d'origine gauloise est limité (moins de 80 mots) et concerne surtout la vie de la campagne, où la langue a résisté au latin plus longtemps qu'en milieu urbain. Ainsi viennent du gaulois des mots comme alouette, arpent, bouc, bruyère, cervoise, charrue, chemin, chêne, lande, lieue, mouton, ruche. Mais nous avons surtout conservé des noms gaulois de lieux, construits avec -dun, « forteresse » (Verdun, Châteaudun), dérivés de -magos, « marché » (Rouen, de Rotomagos ; Caen, de Catumagos), ou encore de briga, « colline » (Brie, Brienne, Brionne), de vernos, « aulne » (Vernet, Verneuil, Vernoy, La Vergne).
Le vocabulaire français d'origine germanique (il rassemble quelque 400 mots) est essentiellement institutionnel (ban et bannir, chambellan, échevin..) et militaire (bannière, étrier, fourreau, harangue, maréchal, trêve...). Mais viennent aussi du francique un certain nombre de mots se rapportant à la vie quotidienne (fauteuil, gant, hanche..) ou à la nature et à la vie rurale (blé, gaufre, hareng, hêtre, jardin...).
Les traces phonétiques des langues originelles
L'influence du celtique se manifeste, entre autres, dans l'apparition (vers 700) de la voyelle [y] (son transcrit u), inconnue du latin. Le germanique est à l'origine du son [g] initial, issu, au vie s., de [w] (qui est resté intact en anglais, mais a phonétiquement évolué en allemand : guerre, en anglais war, en allemand Wehr ; garder, en anglais to ward, en allemand warten). Toujours à l'initiale, le h aspiré, qui ne se prononçait plus en gallo-roman, a été emprunté au francique (haïr, hardi) et quelquefois même introduit par analogie dans des mots latins (altu[m] devient halt, puis haut ; en anglais, high ; en allemand, hoch).
Les traces morphologiques et syntaxiques des langues originelles
Le gaulois n'a pratiquement pas laissé de traces dans la morphosyntaxe du français. Nous avons simplement conservé le souvenir de la numération par vingt dans quatre-vingts (on disait en vieux français trois-vingts pour soixante, six-vingts pour cent vingt). Au ixe s., la langue parlée en Gaule n'a pas une syntaxe très différente de celle du latin.
Mais l'évolution des mots est telle que le concile de Tours (813) recommande aux prédicateurs de transposer leurs sermons dans la langue des fidèles, la langue « vulgaire » (le mot latin vulgus signifie « foule »). Le premier témoignage de la langue « française » se trouve être la version romane du Serment de Strasbourg. Il s'agit du serment que deux petits-fils de Charlemagne, Louis le Germanique et Charles le Chauve, ont prononcé, le 14 février 842, à Strasbourg (Louis en roman et Charles en tudesque), pour marquer leur alliance contre leur frère Lothaire.
L'ancien français (xe-xiiie s.)
À l'extrême fin du ixe s., la Séquence de sainte Eulalie, court poème liturgique destiné à associer les fidèles à la vénération de cette vierge martyrisée en Espagne au iiie s., consacre le nouvel état de langue : l'« ancien français ». La langue parlée sur le territoire de l'Île-de-France se sépare nettement de celle du reste de la Romania. Les mots rétrécissent ; la déclinaison est ramenée à deux cas, ce qui entraîne d'importantes transformations syntaxiques. Mais la langue se dialectalise aussi.
L'évolution phonétique de l'ancien français
Les consonnes ou groupes de consonnes à l'intérieur ou à la fin des mots disparaissent ou se transforment. Ainsi, pour ne donner que quelques exemples, le t intervocalique disparaît (vita donne vie), ainsi que le s intérieur devant consonne (festa donne fete, qui sera ultérieurement écrit fête) ; le l intérieur (simple ou double) devant consonne connaît un traitement particulier, qui en fait une semi-voyelle, laquelle se combinera plus tard avec la voyelle précédente pour former un seul son vocalique : alba devient aube, talpa donne taupe. Le devenir des voyelles dépend de la place de l'accent tonique dans le mot. Les voyelles finales, qui ne portent pas l'accent, ont le plus souvent disparu, à l'exception du a, qui se maintient sous une forme affaiblie (lacrima devient larme, mais murus donne mur). D'autres voyelles, à l'initiale ou à l'intérieur du mot, se transforment. Par exemple, la voyelle latine [u] (prononcée comme dans le mot français tout) devient [y] (comme dans le mot français rue) ; les [e] qui se trouvaient sous l'accent se sont diphtongués, aboutissant à [ε] (ferum devient fier).
L'évolution syntaxique de l'ancien français
Les transformations phonétiques, en particulier la disparition des voyelles finales, se répercutent sur la syntaxe, car avec la chute des finales vont disparaître les marques des cas, c'est-à-dire le fondement de la déclinaison. Le nombre des cas (six en latin) est ramené en ancien français à deux ; le « cas sujet » correspond au nominatif et au vocatif du latin et le « cas régime » correspond pour la forme à l'accusatif latin, pour l'emploi à tous les autres cas.
Cette altération de la déclinaison latine se trouve compensée d'une part par l'apparition systématique d'articles, provenant de démonstratifs latins (ille, illa, illud, « celui-là », « celle-là », « cela »), et d'autre part par une utilisation plus fréquente des prépositions, qui vont marquer les fonctions, tâche autrefois dévolue aux cas. L'ordre des mots dans la phrase, qui a toujours une certaine liberté, tend à se fixer ; en particulier, l'ordre sujet-verbe-objet commence à devenir la règle.
En outre apparaît une nouveauté que le français moderne a conservée : la négation, ne, commence à être systématiquement doublée de pas ou de point. À l'origine de cette évolution on trouve la tendance à mettre après un verbe à la forme négative le rappel de l'objet nié : Je ne marche pas (je ne marche même pas la longueur d'un pas) ; Je ne vois point (je ne distingue pas même un point) ; Je ne bois goutte (je ne bois pas une seule goutte) ; Je ne mange mie (je ne mange pas une miette de pain)... Ces mots à sens plein (un pas, un point, une goutte, une miette..) perdront ultérieurement leur sens original pour devenir des outils grammaticaux dans une forme négative à deux termes (ne... pas, ne... point, etc.).
Les dialectes et l'ancien français
La société féodale se caractérise par son morcellement en fiefs, mais aussi en petites seigneuries, petites abbayes de la taille d'un village. À cette situation correspond un très grand morcellement linguistique : d'une part on parle, sur le territoire de l'actuelle France, des langues non romanes (breton, flamand, alsacien, basque) et d'autre part les parlers romans connaissent une importante dialectalisation. Le latin des conquérants s'est d'abord diffusé dans les villes, puis s'est petit à petit projeté vers les campagnes où il s'est diversifié. Il faut distinguer entre la langue d'oïl, ainsi baptisée parce que « oui » s'y disait oïl (du latin hoc ille) – et qui deviendra le français –, la langue d'oc, où « oui » se disait oc (du latin hoc) – que certains appellent aujourd'hui l'occitan –, et le franco-provençal. Ces trois langues se séparent vers le xie s. Dans chacune d'entre elles, on distingue encore des divisions dialectales : provençal, languedocien, gascon, limousin et auvergnat pour la langue d'oc ; savoyard et romand pour le franco-provençal ; bourguignon, berrichon, poitevin, saintongeais, francien, normand, picard, wallon, champenois et lorrain pour la langue d'oïl.
Face à cette dispersion linguistique, il existe des facteurs d'unification : la royauté, l'Église, la bourgeoisie naissante. L'unité va se manifester essentiellement dans la littérature comme dans les textes d'archives, où le francien, forme dialectale parlée en Île-de-France, occupe progressivement une place privilégiée, car Paris devient à partir du xiie s., en même temps que la résidence principale du roi de France, le plus grand centre universitaire du pays, c'est-à-dire le centre du pouvoir à la fois politique, religieux et intellectuel. La littérature écrite en « ancien français » est illustrée par des chansons de geste comme la Chanson de Roland (xie s.) ou des romans courtois comme Tristan et Iseut (xiie s.), mais aussi des œuvres satiriques ou didactiques comme le Roman de Renart (xiie-xiiie s.) ou le Roman de la Rose (xiiie s.).
La langue d'oïl, et à plus forte raison le francien, n'occupe qu'une partie du territoire, mais elle va connaître une expansion vers l'étranger par le biais de conquêtes diverses. En 1066, après la bataille de Hastings, Guillaume Ier, duc de Normandie, conquiert l'Angleterre, où le français sera longtemps la langue du pouvoir et laissera des traces, encore visibles dans l'anglais moderne. Si elles ne favorisent pas la diffusion du français, les croisades entraînent l'importation en France de nombreux mots d'origine arabe : alambic, amiral, coton, sucre, etc. En 1282, la dynastie angevine, fondée en Sicile par Charles d'Anjou seize ans plus tôt, est expulsée de l'île, mais conserve le royaume de Naples, où le français restera la langue officielle jusqu'au xve s.
La langue française, qui ne s'est pas encore imposée en France, devient lentement une langue européenne, en concurrence avec le latin. C'est par exemple dans cette langue que Marco Polo dicte en 1298-1299 le récit de ses voyages en Asie, et il semble que Dante ait songé à écrire en français sa Divine Comédie. C'est de cette époque que datent les formes françaises données aux noms de lieux étrangers (Gênes pour Genova, Londres pour London).
Le moyen français (xive-xvie s.)
Cette phase de l'histoire de la langue est marquée surtout par la disparition totale de la déclinaison, accompagnée du renforcement des tendances vers un ordre syntaxique fixe, et par une importance accrue des prépositions.
L'enrichissement du vocabulaire du moyen français
C'est dans le domaine lexical que les changements sont le plus importants. Voulant enrichir la langue, des scribes et des lettrés forgent de nouveaux mots en empruntant directement au latin (facile, de facilis ; fécondation, de fecundatio ; disjoindre, de disjungere). Ce vocabulaire savant débouche parfois sur des doublets, car il arrive que les mots latins empruntés existent déjà en français, sous une forme érodée par des siècles d'évolution phonétique. Ainsi fragile, construit sur le latin fragilis, existait déjà sous la forme frêle, de la même façon qu'avocat (latin advocatus) est un doublet d'avoué.
Ce mouvement va s'intensifier au xvie s., en particulier avec les poètes de la Pléiade qui, fidèles à leur objectif de « défendre et illustrer la langue française » (défini par du Bellay, dans son célèbre manifeste de 1549), tentent d'accroître le vocabulaire français pour le mettre au rang du vocabulaire latin. Ils puisent bien sûr dans le fonds latin, mais aussi dans le grec (philosophie, phénomène, rhumatisme) ou l'italien (cavalerie, boussole, banque), ainsi que dans différents dialectes de la langue d'oïl (avette pour abeille).
L'orthographe commence aussi à se fixer. On note tout d'abord une tendance latinisante, qui pousse par exemple à restituer des consonnes doubles disparues en ancien français (belle pour bele, sur le latin bella, flamme pour flame, sur le latin flamma...). Pour lutter contre les confusions dues, à l'initiale des mots, à l'alternance entre u et v dans la graphie, on ajoute un h initial, qui permet de distinguer huis de vis, huître de vitre, etc. Au xvie s., on introduit la cédille pour distinguer le c prononcé k du c prononcé s, ainsi que les accents (à, â, ê, ô). L'orthographe se complique, malgré les efforts de certains pour la rationaliser.
La diffusion du moyen français
Au cours de cette période intervient un événement important pour l'histoire linguistique de la France. En 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts, promulguée par François Ier, précise que, pour éviter les difficultés de compréhension et de traduction, tous les textes officiels et de justice seront désormais rédigés, non en latin, mais en « langage maternel français », c'est-à-dire en francien, la langue du roi. L'institution sur tout le territoire d'une langue officielle constitue un réel progrès, mais l'application de cette décision sera progressive. En effet, pour la partie de la population qui parle breton ou occitan, ce remplacement du latin par le français suppose d'abord l'apprentissage de la langue du pouvoir royal.
La religion réformée participe aussi à l'expansion de la langue. En France même d'une part, car les protestants lisent la Bible et célèbrent leur culte en français, à la différence des catholiques ; à l'étranger d'autre part, car, fuyant les persécutions, des protestants de langue française s'installent à Genève et aux Pays-Bas.
Le français triomphant (xviie-xviiie s.)
Au xviie s., une intense activité se développe autour de la langue, qui va être épurée et fixée. Tandis que l'Académie française est fondée, des écrivains et des grammairiens édictent des règles intangibles et réfléchissent sur « l'art de parler ». D'importants dictionnaires voient le jour.
Le français, de Malherbe à Boileau
François de Malherbe (1555-1628) est un grand défenseur de la clarté et de la rigueur dans l'expression. Il se penche sur la construction de la phrase et l'ordre des mots, qui doit suivre celui de la génération des idées. Parallèlement, Malherbe se soucie de la pureté du vocabulaire, qui doit être à l'abri des néologismes ou des archaïsmes, et condamne tout emploi ambigu ou impropre.
En 1634, le cardinal de Richelieu crée l'Académie française, dont le rôle est, comme le précisent ses statuts, de « donner des règles certaines à notre langue » pour « la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». La fondation de l'Académie témoigne de l'esprit du temps, où l'on juge qu'il faut officiellement veiller sur la langue et définir le « bon usage ». Vaugelas défend, dans ses Remarques sur la langue française (1647), l'usage de la cour. Nicolas Boileau, avec son Art poétique (1674), fait une excellente synthèse des principales idées stylistiques du classicisme, prolongement de celles de Malherbe ; il donne des exemples de « bon » style et lutte contre les mots qu'il considère comme « bas ou vulgaires ».
À la fin du siècle paraissent les dictionnaires de César Pierre Richelet (Dictionnaire français, 1680) et d'Antoine Furetière (Essai d'un dictionnaire universel, 1684 ; Dictionnaire universel, 1690), avant celui de l'Académie (1694). L'ouvrage de Furetière sera réimprimé par les jésuites et baptisé, à partir de 1704, Dictionnaire de Trévoux, l'imprimerie de la Compagnie étant installée dans cette ville. Tous ces ouvrages sont directement issus des prolifiques débats sur la langue qui ont passionné les cercles mondains du xviie s.
À cette même époque fleurissent les grammaires, en particulier la Grammaire générale et raisonnée (1660), rédigée par les jansénistes Antoine Arnauld et Claude Lancelot et plus connue sous le nom de Grammaire de Port-Royal. Le propos des auteurs est de montrer, du point de vue de la philosophie cartésienne, pourquoi on a raison de parler de telle ou telle façon ; ils justifient la langue française par sa « logique », qui est essentiellement manifeste dans l'ordre des mots, conforme à celui des idées. Cette démarche se fonde à son tour sur un modèle linguistique fourni par les écrivains et la cour.
Le français, « langue de l'Europe »
Le xviiie s. hérite donc d'une langue déjà fixée, qui va progressivement se diffuser, à partir de la cour, vers les provinces. Parallèlement, alors qu'elle est désormais très proche de celle que nous parlons aujourd'hui (des changements, inhérents à toute langue vivante, interviendront surtout dans la prononciation et le lexique), elle devient la langue de la diplomatie européenne. En 1714 déjà, le traité de Rastatt, qui met fin à la guerre de la Succession d'Espagne, est rédigé en français ; et cette fonction diplomatique durera près de deux siècles. En 1762, la nouvelle édition du dictionnaire de l'Académie présente le français comme « presque aussi nécessaire aux étrangers que leur langue naturelle », tandis que Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, écrit que le français « est devenu la langue de l'Europe ». En fait, cette universalité de la langue française n'est que relative : universelle, et plus précisément européenne, elle ne l'est pas à l'échelle de la population. C'est dans les chancelleries qu'apparaît la prééminence du français, ainsi que dans les milieux de la noblesse ou de la bourgeoisie cultivée.
La Révolution et la langue française
La Révolution de 1789 va avoir deux incidences sur la langue : elle va, d'une part, marquer durablement le lexique français et, d'autre part, élaborer un discours idéologique sur les rapports entre langue et nation ; ce discours fonde une nouvelle politique linguistique, essentiellement centraliste.
L'enrichissement lexical sous la Révolution
Enragé, guillotine, réfractaire, sans-culotte, télégraphe, terroriste sont, parmi bien d'autres, des mots nés au moment de la Révolution, tandis que fraternité ou égalité, qui existaient avant 1789, ont pris leur sens politique à cette époque. On note aussi un grand nombre de mots qui n'auront qu'une existence éphémère, comme athéiser, déprêtriser, esclaver, juillettiser, républicaniser... En l'an VI (1798), la cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie française est publiée avec un supplément de 336 mots nés de la Révolution, tandis que Sébastien Mercier publie en 1801 une Néologie, ou Dictionnaire des mots nouveaux. Mais cette influence ne se fait pas seulement sentir dans la création de mots, on la trouve aussi dans le comportement des lexicographes, c'est-à-dire dans le type de mots qu'ils introduisent dans les dictionnaires. Ainsi, on peut lire dans la préface de la cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie : « On a conclu qu'il ne fallait pas consulter la langue du beau monde comme une autorité qui décide et tranche de tout, parce que le beau monde pense et parle très mal. » D'une façon générale, les dictionnaires vont faire désormais une plus grande place au vocabulaire populaire.
La politique linguistique de la Révolution
En matière de politique linguistique, la Révolution défend l'idée qu'il faut imposer la langue nationale à tous les Français et que les autres langues parlées sur le territoire sont des facteurs de division. C'est Talleyrand qui, le premier, aborde ce thème à l'Assemblée nationale, le 10 septembre 1791, affirmant que l'école doit permettre de faire disparaître les « dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité ». Par la suite, les différents projets de politique scolaire reprennent tous ces thèmes et, proposant de remplacer le latin par le français dans l'enseignement, donnent au pouvoir central l'instrument de cette politique. Avec la Révolution naît donc une certaine idée de la France linguistique, idée qui ne laisse pas de place aux langues régionales, lesquelles entament une lente décadence. Cette politique s'explique de deux points de vue : d'une part, on considère que les grands principes de la Révolution (liberté, égalité, fraternité) impliquent l'unification linguistique ; d'autre part, les révolutionnaires ont l'impression que les autres langues que le français sont les instruments de la contre-révolution.
La langue française à la fin du xviiie s.
Quelle était, à la fin du xviiie s., la situation réelle de la langue française en France ? Nous pouvons en avoir une idée à travers le rapport que l'abbé Grégoire (1750-1831) présenta le 6 juin 1794 devant la Convention : « On peut assurer sans exagération qu'au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent purement n'excède pas trois millions. » Or la population française était alors d'environ 25 millions de personnes, et les chiffres avancés par Grégoire nous montrent que moins de la moitié de cette population avait le français pour langue maternelle. La langue nationale était surtout parlée dans les villes et par les classes supérieures, mais de larges parties du territoire et de grandes portions de la population ne la pratiquaient pas.
Le français moderne
Au cours du xixe s., la langue française s'étend sur le territoire de la France, essentiellement par le biais de l'école, et sur des territoires plus éloignés, par le biais de la colonisation.
Le rôle de la scolarisation
L'enseignement du français va prendre de plus en plus d'importance dans les lycées et les collèges du pays. On utilise l'orthographe fixée par l'Académie française (c'est, par exemple, depuis cette époque que les enfants apprennent par cœur les exceptions, comme les mots se terminant par -ou qui font leur pluriel en -oux). Une grammaire officielle est publiée en 1823. En 1830, on crée un enseignement primaire d'État, toujours en français, et en 1832 un décret précise que pour accéder à un emploi public, il faut connaître l'orthographe, qui est désormais au centre de l'enseignement.
Au début des années 1880, alors que Jules Ferry est ministre de l'Instruction publique, l'enseignement primaire devient gratuit, laïc et obligatoire, et l'enseignement secondaire est ouvert aux jeunes filles. Ces principes ne seront appliqués que lentement (il y faudra près de vingt-cinq ans), car l'État ne dispose pas des enseignants nécessaires, mais l'école joue désormais un rôle fondamental dans l'unification linguistique du pays.
La lutte contre les langues minoritaires
Les autres langues parlées en France vont être les grandes victimes de cette scolarisation. Les instituteurs laïcs et républicains de la IIIe République ont tendance à considérer que les patois sont le mode d'expression de la religion et de la réaction. Aussi vont-ils se lancer dans une lutte contre les langues minoritaires, interdites en classe aussi bien que dans la cour de récréation, et ce avec bonne conscience, puisqu'ils considèrent que le français est la langue du progrès. Cela ne suffit pas à éliminer dialectes et patois, qui sont d'ailleurs encore parlés au milieu du xxe s., même si le nombre de leurs locuteurs a beaucoup diminué.
Le français est désormais la seule langue de communication à l'échelle du pays, la langue d'unification dont rêvaient les révolutionnaires, et son statut va être conforté par les médias. La presse tout d'abord, puis la radio, plus tard la télévision deviennent de puissants vecteurs du français, et les quelques émissions régionales en langues minoritaires pèsent de peu de poids face à cet énorme instrument.
Le service militaire obligatoire a également joué un rôle dans cette unification linguistique. Ainsi, au début de la guerre de 1914-1918, les recrues parlent avec leurs camarades de régiment les langues locales. Très vite cependant, pour remplacer les nombreux morts des premières batailles, l'état-major reconstitue des régiments en mélangeant des recrues d'origines diverses, qui seront obligées de communiquer en français. La Grande Guerre consacre ainsi la suprématie du français.
L'expansion coloniale
Si la guerre, par le brassage des conscrits de différentes origines, a conforté le statut national du français, elle a révélé en même temps un autre phénomène important. Le traité de Versailles, signé en 1919, est en effet rédigé en anglais et en français, alors que depuis deux siècles seul le français était utilisé en pareilles circonstances : c'est la fin de la suprématie diplomatique de la langue française.
Mais le français va connaître un autre type d'expansion. De 1878 à 1914, la France a ajouté à son empire colonial le Maroc, la Tunisie, Madagascar, l'Indochine, l'Afrique-Occidentale et l'Afrique-Équatoriale. Par ailleurs, la Belgique, pays en partie de langue française, colonise le Congo et le Ruanda-Urundi. Au Maghreb, où l'on parle arabe et berbère, en Afrique noire, où l'on parle de très nombreuses langues, le français se répand donc progressivement. Rares sont les indigènes qui vont à l'école, mais on acquiert le français de façon spontanée, car il sert dans les rapports avec les Blancs. Par ailleurs, il est la seule langue d'accès aux métiers modernes, ainsi qu'aux fonctions administratives. La colonisation permit de former une élite dirigeante qui prit le pouvoir au moment des indépendances et assura le maintien du français comme langue officielle dans tous les pays de l'Afrique naguère colonisés par la France.
Cette francophonie qui, outre l'Afrique et l'Europe (Belgique, Suisse et, dans une moindre mesure, Luxembourg), concerne des pays comme le Québec, le Liban ou le Viêt-nam, inaugure donc une nouvelle ère de la présence internationale du français. Les pays anciennement colonisés continuèrent à l'utiliser dans les différentes organisations internationales, lui assurant ainsi un statut diplomatique nouveau. Le français est aujourd'hui une des six grandes langues internationales (avec l'anglais, l'espagnol, le russe, le chinois et l'arabe).
Les différents français
Cette expansion géographique de la langue a créé des variations formelles, régionales et nationales. En France tout d'abord, où les langues minoritaires ont laissé, sous forme de substrat, de nombreuses traces : mots régionaux et accents. Des mots comme pastis ou pitchoun (« petit enfant ») viennent du provençal ; un mot comme choucroute vient de l'alsacien. Il y a, par ailleurs, un français « pied-noir », aujourd'hui en voie de disparition ; des mots comme clebs pour « chien », ou flouse pour « argent » sont ainsi des emprunts à l'arabe. Il y a aussi des formes sociales différentes : on ne parle pas de la même façon au café, sur un terrain de sport, à la tribune d'un congrès. Les formes argotiques, qui passent fréquemment dans le français général, participent aussi à l'évolution du vocabulaire et le verlan, par exemple, que les adolescents se sont appropriés depuis les années 1980, laissera sans doute des traces, comme avant lui d'autres argots.
Hors de France, on trouve la même situation. Joints à l'accent, certains mots (une course pour une « excursion », en Suisse), certaines tournures (en Belgique, l'utilisation fréquente de la locution une fois) permettent de reconnaître aisément l'origine géographique de celui qui parle. Au Québec, le français a pris une forme particulière ; il faut y ajouter le joual, forme populaire qui reste souvent incompréhensible pour un Français de France. En Afrique enfin, les interférences entre les langues locales et le français ont donné naissance à ce qu'on appelait naguère, avec une pointe de mépris, le « petit nègre » et qui est devenu, dans certains pays, l'outil de communication quotidien de locuteurs n'ayant pas la même langue maternelle. Ce français d'Afrique évolue beaucoup, sans que l'on puisse encore déterminer s'il tend vers une forme autonome (comme le français, l'italien ou l'espagnol ont pris leur autonomie par rapport au latin) ou si les communications modernes vont maintenir une intercompréhension avec le français de France, comme cela a été le cas pour le français du Québec.
L'évolution de la langue française est imprévisible. Des voix s'élèvent, depuis deux décennies, pour dénoncer l'« anglomanie ». Une autre tendance résulte de la place prépondérante de l'oral, qui modèle les nouveaux contours de la langue.