fièvre aphteuse

Fièvre aphteuse
Fièvre aphteuse

Maladie virale, d'une contagion à la fois très rapide et très subtile, atteignant toutes les espèces animales à onglons et se caractérisant cliniquement par l'apparition d'aphtes dans la bouche, dans les espaces interdigitaux et sur la mamelle. (Ces localisations sont à l'origine de son appellation en anglais [foot and mouth disease] et la démarche particulière des animaux atteints, sur la pointe des onglons à cause de la douleur, du terme de « cocotte » par analogie avec celle de dames perchées sur des talons hauts.)

Introduction

Dans notre monde caractérisé par la mondialisation et la libéralisation du commerce international, la fièvre aphteuse a pris une importance considérable car elle entrave les exportations d'animaux et d'aliments d'origine animale à partir des pays atteints. Ces derniers sont frappés d'embargo et doivent tout mettre en œuvre pour retrouver le statut de pays indemnes s'ils veulent de nouveau pouvoir exporter.

Compte tenu de l'extraordinaire contagiosité de cette maladie (il s'agit de la maladie animale la plus contagieuse que l'on connaisse), son éradication d'un pays, quel que soit le système de lutte adopté, demande des efforts intenses, coûteux, puis une surveillance de tous les instants pour éviter sa réintroduction.

Quelques chiffres illustrent l'importance économique de la fièvre aphteuse : en France, en 1952-1953, elle a provoqué des pertes de l'ordre d'un milliard de francs de l'époque ; en Grande-Bretagne, en 1968, il a fallu abattre 400 000 animaux ; en France, jusqu'en 1991, la vaccination annuelle de tous les bovins coûtait environ 200 millions de francs par an ; enfin, l'épizootie de 2001 en Grande-Bretagne devrait conduire à l'abattage d'environ un million d'animaux.

Les espèces animales atteintes

La fièvre aphteuse touche, parmi les espèces domestiques, essentiellement les bovins, les ovins, les caprins et les porcins, mais aussi les buffles et les camelins ; et, parmi les espèces sauvages, de nombreuses espèces de ruminants et de suidés constituant le gibier ou présentes dans des parcs zoologiques : cerf, chevreuil, sanglier, etc. En revanche, le cheval, les carnivores et les oiseaux sont insensibles à la maladie.

L'homme est très résistant, mais peut, exceptionnellement, exprimer cliniquement l'infection par des aphtes dans la bouche, sur la paume des mains et la plante des pieds.

Distribution géographique de la maladie

La distribution géographique de la fièvre aphteuse est très large : il est plus rapide de citer les pays ou territoires indemnes (et encore ceux-ci sont-ils exposés à tout moment à un risque de réinfection : il en a été ainsi, par exemple, pour le Japon, touché en 2000, après quatre-vingt douze ans sans fièvre aphteuse !). Sont épargnés depuis des décennies : l'Amérique du Nord, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, Madagascar ; le Japon l'était et a pu retrouver rapidement ce statut. À la fin du xxe s., l'Europe l'était aussi depuis près de vingt ans et l'on peut espérer qu'elle retrouvera ce statut très rapidement. L'Amérique du Sud a accompli d'immenses efforts pour s'assainir, notamment grâce à la vaccination, mais plusieurs pays demeurent infectés. L'ensemble des autres régions (Afrique, Proche-Orient, Moyen-Orient, Extrême-Orient, ex-U.R.S.S.) doivent être considérées comme des régions d'enzootie où le virus circule à bas bruit avec, parfois, des pics épizootiques.

Origine et symptômes

La fièvre aphteuse est due à un petit virus, aujourd'hui bien connu, que l'on peut cultiver facilement en culture cellulaire en vue de la production de vaccins. Il est très résistant dans le milieu extérieur (ce qui explique une partie de sa contagiosité), mais se révèle sensible vis-à-vis de la chaleur, des pH acides et basiques ainsi que des désinfectants. Une de ses particularités est sa variabilité qui conduit à une pluralité antigénique. Au cours de sa multiplication on assiste, en effet, à des erreurs, des mutations ponctuelles qui conduisent à une population de particules virales un peu différentes les unes des autres. Ainsi, on connaît 7 types antigéniques : O, A, C, SAT1, SAT2, SAT3 et Asia, sans protection croisée entre eux. Autrement dit, un animal atteint par le type A et guéri (donc résistant vis-à-vis de la souche homologue) se révèle entièrement sensible vis-à-vis des autres types et pourrait donc, en cas de contact avec un virus d'un autre type, présenter de nouveau les symptômes de la maladie. Au sein de chaque type, il existe des sous-types et des variantes. Cette diversité antigénique a une conséquence capitale pour la vaccination : les vaccins ne protègent que contre les souches appartenant au même type et au même sous-type. Il faut donc adapter strictement le vaccin à utiliser dans une région au nombre et à la nature des types et des sous-types des souches qui y circulent.

La distribution géographique n'est pas la même pour tous les types. Classiquement, on considère que les trois types O, A et C sont ubiquitaires. En particulier, le type O a sévi dans de nombreuses régions au cours de la décennie 1990-2000 (Asie, Afrique, Europe, Amérique du Sud). SAT1, SAT2 et SAT3 sont rencontrés dans l'est et le sud de l'Afrique, et Asia, en Asie.

Cliniquement, la maladie s'exprime après une incubation moyenne de 3 à 8 jours (avec des extrêmes de 36 heures à une vingtaine de jours). Les symptômes sont variables selon les espèces, même si les localisations sont semblables. Les lésions dans la cavité buccale sont plus facilement observées chez les bovins. L'atteinte podale entraîne des boiteries chez les différentes espèces touchées. La mortalité demeure limitée en général aux jeunes animaux. Des complications diverses surviennent : chute d'onglons, mammite, infections bactériennes, etc.

          

Symptômes de la fièvre aphteuse

 

Espèces sensibles

Espèces peu sensibles

 

Bovins et porcs

Petits ruminants

Espèces sauvages

Symptômes locaux

Aphtes dans la bouche : langue, gencives, face interne des lèvres

Sur le groin (porc)

Sur les pieds : bourrelet coronaire de l'onglon, espace interdigital

Sur les mamelles : extrémité ou totalité des trayons

Aucun symptôme ou petits ulcères sur les pieds et dans la bouche, cicatrisant rapidement

Lésions vésiculeuses, puis ulcéreuses dans la bouche et sur le bourrelet coronaire des onglons

Symptômes généraux

Abattement, prostration

Hyperthermie

Absence d'appétit

Avortements

Mortinatalité

Avortements

Mortinatalité

Contagiosité

La gravité de la fièvre aphteuse est davantage liée à sa contagiosité qu'à l'atteinte clinique individuelle. Cette contagiosité, connue depuis longtemps, rend en effet la maladie redoutable.

En France, au cours du xxe s., jusqu'en 1960, la fièvre aphteuse a sévi de façon enzootique et provoqué plusieurs épizooties. Des foyers y ont été constatés chaque année, parfois quelques centaines seulement, en général plusieurs milliers, et avec des pics épizootiques :
1911   104 000 foyers
1920   180 000 foyers
1938   220 000 foyers
1952   340 000 foyers
1957   100 000 foyers

Cette extrême contagiosité tient, en particulier, à trois facteurs : l'incubation courte permet à un sujet infecté de devenir excréteur de virus peu de temps après sa contamination ; l'excrétion du virus dans le milieu extérieur est massive, liée à la localisation superficielle des lésions aphteuses ; la résistance du virus dans le milieu extérieur est élevée.

Les matières les plus virulentes sont représentées par le liquide des aphtes. Les quantités de virus excrétées par les malades sont stupéfiantes : un porc excrète en une minute une quantité de virus suffisante pour contaminer… 70 000 bovins. On peut facilement imaginer la production terriblement dangereuse résultant de l'atteinte d'une porcherie hébergeant mille porcs, pendant une journée ! Et l'on peut donc comprendre la nécessité d'arrêter le plus vite possible après la détection d'un foyer, une production aussi massive, par l'abattage immédiat de tous les animaux des espèces sensibles présents dans le foyer.

Ces quantités considérables de virus émises dans le milieu extérieur peuvent ensuite être transportées, dispersées par des supports les plus divers (en dehors des animaux sensibles eux-mêmes) : voitures, camions, personnes, animaux insensibles, vent… Le transport aérien peut se faire à faible distance (quelques kilomètres) au-dessus du sol, et à grande distance (de l'ordre de 200 km) au-dessus de l'eau, lorsque plusieurs conditions sont réunies : vent régulier, humidité relative élevée, etc.

L'autre facteur redoutable de contagion est représenté par les animaux encore en incubation (rien ne permet de repérer qu'ils sont infectés) et qui excrètent déjà le virus.

La dissémination du virus dans diverses régions de Grande-Bretagne en février 2001 s'est faite par des moutons en cours d'incubation et qui sont passés par des marchés où ils ont pu contaminer d'autres animaux partis ensuite dans des lieux très divers.

En matière de lutte, cela explique à la fois la nécessité de prévenir l'apparition des symptômes par un abattage préventif des animaux dont on peut raisonnablement penser qu'ils ont été contaminés (par contact direct ou indirect avec des animaux atteints) et celle de supprimer le plus tôt possible cette excrétion massive par les animaux malades, grâce à un abattage immédiat des animaux des foyers dès que la maladie y est identifiée.

En ce qui concerne les carcasses, en cas d'abattage d'animaux en incubation, la maturation lactique dans la viande détruit le virus aphteux, mais elle est insuffisante dans les ganglions, la graisse, les caillots des gros vaisseaux, etc. De même, le virus peut persister dans les produits de charcuterie. Cela ne constitue pas un danger pour l'homme, mais peut être à l'origine de foyers chez des porcs recevant comme alimentation des « eaux grasses » (reliquat d'alimentation de cantines, restaurants, etc.) contenant le virus et insuffisamment chauffées.

Les moyens de lutte contre la maladie

La lutte contre la fièvre aphteuse fait appel à deux types de mesures, compatibles : des mesures sanitaires, destinées à détruire toute source de virus et à empêcher toute circulation du virus déjà émis dans le milieu extérieur, et des mesures médicales, de vaccination, dont l'objectif est de rendre résistants les animaux vaccinés.

Le recours à l'un et/ou à l'autre type de mesures est fonction de la situation épidémiologique, des objectifs visés et des avantages et des inconvénients des deux démarches.

La vaccination fournit une bonne protection clinique contre les souches de virus correspondant au(x) type(s) et sous-type(s) de virus présent(s) dans le vaccin. Cependant, elle n'empêche pas l'infection des animaux vaccinés, en cas de contact avec le virus sauvage, ni sa multiplication et son excrétion (même si elles sont très réduites par rapport à celles relatives à un animal non vacciné). Elle n'empêche pas, non plus, un éventuel portage de virus pendant quelques semaines. Autrement dit, en cas de contact avec une souche de virus semblable, un animal vacciné ne sera pas malade mais constitue un danger au plan épidémiologique. Par ailleurs, la vaccination ne protège que contre les souches sauvages apparentées à celle(s) du vaccin et, donc, en pays infecté par plusieurs types antigéniques, il faut utiliser des vaccins « plurivalents » (c'est-à-dire contenant plusieurs types ou sous-types). Enfin, la vaccination entraîne l'apparition d'anticorps (notamment neutralisants, responsables de la protection) que l'on ne peut pas distinguer de ceux produits par des animaux infectés. Pratiquement, on ne peut pas faire la différence, par des analyses sérologiques, entre un animal vacciné, non infecté et un animal vacciné et infecté. Tout animal vacciné et tout pays utilisant la vaccination sont donc à considérer avec « méfiance », car potentiellement dangereux.

L'autre catégorie de mesures consiste en l'abattage de tous les animaux sensibles à la fièvre aphteuse présents dans tout foyer identifié, et leur destruction la plus rapide possible par enfouissement ou par incinération, accompagnés d'un blocage de toute la zone : interdiction de circulation des animaux, mesures de désinfection (pédiluves, rotoluves, etc.). Des mesures encore plus draconiennes sont parfois nécessaires, comme l'abattage « préventif » qui consiste à supprimer tous les animaux sensibles présents dans un rayon d'un à trois kilomètres autour des foyers afin d'empêcher l'apparition de foyers secondaires.

Dans un pays indemne, l'apparition d'un foyer ou d'un petit nombre de foyers justifie le recours exclusif à des mesures sanitaires (c'est-à-dire excluant la vaccination), capables, en principe, si les opérations sont bien conduites (avec en particulier des enquêtes épidémiologiques « en amont » et « en aval » afin d'identifier et de retrouver tous les animaux potentiellement dangereux) d'assurer rapidement le retour au statut précieux de pays indemne de fièvre aphteuse. C'est, par exemple, ce qu'a effectué avec succès le Japon en 2000.

Si le nombre de foyers augmente de façon importante, donnant l'impression que l'épizootie dépasse le potentiel de maîtrise par les services vétérinaires, et notamment si des foyers sont observés dans des porcheries de grande taille, le recours à la vaccination en anneau peut devenir nécessaire et complémentaire des actions d'abattage. Il n'est pas la panacée, car l'immunité demande une quinzaine de jours pour son installation et, si le pays désire retrouver son statut de pays indemne de fièvre aphteuse, il faudra sacrifier tous les animaux vaccinés, après la fin de l'épizootie. Il permet, néanmoins, de limiter le nombre de nouveaux foyers. Cependant, la décision n'est pas facile à prendre et doit intégrer un ensemble de données d'ordre épidémiologique, économique, social et médiatique.

Dans un pays d'enzootie de fièvre aphteuse, et aux moyens financiers limités, la vaccination large, sans recours à l'abattage des animaux des foyers, est appliquée. C'est le cas pour divers pays d'Afrique et d'Asie.

Enfin, dans un pays d'enzootie qui vise l'éradication (la France en 1960), l'application systématique de la vaccination permet de réduire le nombre de foyers et de le rendre compatible avec les mesures d'abattage. Cette prophylaxie médico-sanitaire appliquée en France de 1960 à 1991 a permis d'obtenir l'éradication de la maladie, puis de passer en 1991 à des mesures exclusives d'épidémiosurveillance (dernier foyer observé à l'époque en 1981), de protection aux frontières et d'interdiction d'importation d'animaux et de produits d'origine animale en provenance des pays infectés.

Perspectives

La fièvre aphteuse est une maladie solidement implantée dans de nombreuses régions du monde. Son potentiel de diffusion stupéfiant, associé à l'augmentation des échanges internationaux des animaux et des produits d'origine animale, en fait une menace permanente pour les pays ou régions indemnes.

La perspective de disposer à brève échéance de vaccins « délétés » (c'est-à-dire permettant de distinguer les animaux vaccinés des animaux infectés) est intéressante, mais ne dispensera pas de la nécessité d'appliquer le plus correctement possible un ensemble de mesures de protection sanitaire dans les pays indemnes.