Inde : cinéma indien
L'Inde reste le plus gros producteur de films au monde. Pourtant, depuis 1985 – année record avec neuf cent douze films –, la baisse est régulière, même si l'industrie cinématographique a encore de belles années devant elle. Il est vrai que les Indiens ont de tout temps aimé les histoires et les images, à travers les contes et légendes sacrées et les grandes épopées, tels le Ramayana et le Mahabharata, qui inspirent un théâtre très vivant et d'innombrables œuvres picturales et sculpturales. Aussi le cinéma indien, né avec le siècle, a-t-il naturellement hérité de ce fonds mythologique et religieux ; les films y sont devenus en quelque sorte les nouveaux fétiches de cette véritable iconolâtrie.
Une vaste industrie
L'Inde produit chaque année plus de neuf cents longs métrages, plus nombre de courts métrages et de documentaires. L'industrie du film est l'une des plus importantes du pays en investissement de capitaux et des dizaines de studios sont en pleine activité. Même avec douze mille cinémas et plus de soixante mille vidéo-clubs, la diffusion de films est cependant loin de couvrir tout le pays, étant donné son immense population, sa multiplicité de villages et sa grande diversité de langues. Les films indiens sont toutefois largement diffusés en Grande-Bretagne, au Canada, aux États-Unis, et dans de nombreux pays d'Asie et d'Afrique comptant une importante population indienne.
Les origines
C'est à Bombay que l'on projette, en 1896, les premiers films Lumière. Dès 1898, on y tourne de petites bandes d'actualités, ainsi que Train entrant en gare de Bombay, version locale d'un film Lumière célèbre (l'Arrivée d'un train à La Ciotat). Ce film préfigure ce qui deviendra une spécialité du cinéma commercial indien : la copie et l'adaptation au goût du public local de films étrangers. On appelle cela les Hollywood masala, les « films hollywoodiens à la sauce indienne » : sur un scénario identique à celui de l'œuvre adaptée, on ajoute des chansons et des danses (six par film, selon la stricte règle du genre) pour un film qui durera environ trois heures.
En 1913, Dhundiraj Govind Phalke tourne à Bombay le premier film hindi de fiction, Raja Harishchandra, où les rôles de femmes sont tenus par des hommes. Il est suivi dans ce genre nouveau, à partir de 1917, par le cinéaste bengali Jamjetji Framji Madan, qui, producteur et fondateur d'un important circuit de salles dès 1919, sera le premier à doter le cinéma indien d'une infrastructure économique. À partir de 1920, les longs métrages se multiplient, les compagnies de production se développent, et la politique du star-system, inspirée du modèle hollywoodien, fait son apparition au milieu de la décennie.
L'explosion du cinéma commercial
Cependant, le cinéma indien prendra son véritable essor avec le parlant. Contrairement à d'autres pays, comme le Japon ou l'URSS, l'Inde a tout de suite adopté ce procédé, présenté à Calcutta en 1929. Depuis, l'industrie cinématographique indienne n'a cessé de multiplier sa production, pour un public de plus en plus friand, jusqu'à ce qu'en 1960, sa production annuelle de longs métrages dépasse celle des États-Unis, devenant la seconde du monde après celle du Japon, qu'elle devancera ensuite largement.
L'engouement de l'Indien moyen pour le cinéma peut en partie être attribué à son manque d'autres formes de divertissement. Théâtre, concert, spectacle de danse et cabaret seront sans doute hors de portée pour des raisons financières ou géographiques, tandis que le film, à ces deux égards, est aisément accessible. Cette facilité, ajoutée à l'idée que ce qu'offrent le théâtre, la salle de concerts et le cabaret se trouve englobé dans les films, en a fait la distraction la plus répandue de ce pays. Le film musical est devenu le genre cinématographique emblématique de l'Inde, en raison de traditions culturelles mais aussi à cause de l'extrême diversité linguistique nationale, la danse pouvant abolir ces frontières intérieures. Le problème de la langue explique également que les personnages soient très typés (le bon, le méchant) et qu'ils « surjouent » leurs expressions, comme cela se fait au théâtre : il faut que le public puisse suivre l'histoire, même sans comprendre les dialogues.
Bombay, Calcutta, Madras
Au seuil des années 1930, l'industrie cinématographique indienne est répartie sur trois centres, Bombay, Calcutta et Madras, où règnent quelques grandes compagnies : la Minerva Movietone, la Wadia, l'Imperial Film Company, la Ranjit Film Company et surtout le « club des trois », composé de la Prabhat (spécialisée dans les films religieux et mythologiques, et qui a la particularité d'avoir été créée par une association de cinéastes), la Bombay Talkies (spécialisée dans les films musicaux et mythologiques) et la New Theatres (basée à Calcutta), qui s'impose par ses adaptations d'œuvres littéraires et ses biographies de saints. L'ère des studios (acteurs et techniciens sous contrat) va durer un peu plus de dix ans et représente l'âge d'or du cinéma indien par la qualité et le soin apportés dans chaque secteur de la fabrication du film (décors, costumes, trucages).
L'éclatement du système des studios
Il est dû, au milieu des années 1940, à l'arrivée d'hommes d'affaires qui investissent dans le cinéma pour y blanchir de l'argent illégal. Ils offrent des cachets considérables aux stars des studios (c'est depuis ce temps que les acteurs indiens tournent jusqu'à soixante films simultanément). La pratique du cachet s'étend à toute la profession et provoque la désertion des studios (ils fermeront tous dans les années 1950). En outre, l'apparition du play-back (technique de présonorisation des films musicaux) achève de déstabiliser le système. Très vite, une poignée de chanteurs et de chanteuses doublent tous les acteurs des films et deviennent aussi célèbres qu'eux grâce à la radio et à l'industrie du disque.
Paradoxalement, c'est sur les cendres du système des studios qu'apparaissent les plus grands artistes du cinéma commercial indien. Ils s'appellent Mehboob Khan, Raj Kapoor et Guru Dutt, travaillent à Bombay, sont tour à tour acteurs, réalisateurs, scénaristes et producteurs, et, surtout, n'hésitent pas à construire des studios gigantesques pour tourner leurs films. Mehboob Khan (Mangala, fille des Indes, 1952 ; Mother India, 1957) est célèbre pour ses fresques épiques en milieu paysan, tandis que Raj Kapoor s'impose avec ses mélodrames urbains (le Vagabond, 1951 ; Shri 420, 1955) qui traitent de la misère et de la corruption. Guru Dutt signe de somptueux mélodrames centrés sur la déchéance, à l'esthétique très raffinée, parmi lesquels Pyaasa (l'Assoiffé, 1957) fait figure de chef-d'œuvre.
L'émergence d'un cinéma d'auteur
Les films indiens sont produits en douze des quatorze langues nationales reconnues par la Constitution : hindi, ourdou, pendjabi, gujarati, marathi, oriya, bengali, assamais, tamoul, telugu, malayalam et kannara. La dénomination de « film indien » est donc en un sens mal appropriée, car il peut y avoir autant de différences fondamentales entre les films de deux langues vernaculaires qu'entre des films de deux langues européennes. Ainsi, entre un film en bengali et un film en tamoul, les différences de langue et de style seront tout aussi nombreuses et marquées qu'entre un film anglais et un italien. À la question « Pourquoi ne faites-vous pas de films en hindi », qui est la langue la plus largement comprise en Inde, Satyajit Ray répondit : « Tout d'abord, je ne connais pas cette langue. Ensuite, je dois faire des films dans mon propre univers national et culturel, la langue que je comprends, la région que je connais, les nuances que je ressens. »
Le film hindi
Curieusement, l'industrie cinématographique hindi est en majorité concentrée à Bombay, dont les habitants ne parlent pas hindi. Ainsi, loin de son milieu de l'Inde du nord, le film hindi s'est délesté de ses traditions et de son authenticité de lieu et de personnages. Il n'est pas rare, par exemple, qu'un film hindi rassemble le bharatanatya, danse classique du sud de l'Inde, et le bhangra, une danse folklorique du Nord, ou adapte un raga classique à une mélodie occidentale. Anachronique et léché, le film hindi est destiné à la consommation de masse. Puisque les spectateurs indiens assiègent les guichets des cinémas, il n'est guère étonnant que les réalisateurs prétendent répondre au goût en vogue, si peu réalistes et artistiques que puissent se révéler leurs efforts.
Exemple typique du film hindi à grande réussite commerciale, Sangam (« la confluence »), produit en 1964 par Raj Kapoor, narre le thème familier de deux amis épris de la même femme, l'un l'abandonnant en faveur de l'autre. Mais l'aventure est surtout prétexte à mener l'assistance jusqu'à la tour Eiffel, le long des canaux de Venise et à travers les montagnes suisses enneigées ; en effet, l'un des traits du film hindi est l'inclusion de lieux étrangers pittoresques, avec des interludes chantés et dansés.
Le film d'art bengali
Les chefs-d'œuvre austères de Satyajit Ray et de quelques autres cinéastes contrastent avec les films au tournage onéreux faits pour le grand public. L'humanisme, qui caractérisa autrefois l'œuvre de réalisateurs tels que Renoir, Clair, De Sica et Fellini, est la note dominante des films de Ray. Son premier film, Pather Pancali (1955), adapte un classique très populaire de la littérature indienne, tourné en extérieurs et décors naturels, et Ray demande à Ravi Shankar de composer la musique. Malgré d'énormes difficultés financières, le film connaît un grand succès public et une reconnaissance internationale, puisqu'il est salué par la critique à Cannes, puis à Venise et à Berlin. Charulata, tourné en 1964, tiré d'une histoire de Rabindranâth Tagore, se passe au xixe s. et montre l'élite cultivée, pénétrée de libéralisme occidental, mais encore émotionnellement liée aux habitudes et conventions anciennes – contradiction qui demeure aujourd'hui manifeste dans la haute société indienne. Ray demeure le seul grand réalisateur indien selon les critères occidentaux.
Autre cinéaste bengali dont l'œuvre force l'attention, Ritwick Ghatak est, à la différence de Ray, socialement engagé. Ses films sont plus dynamiques qu'introspectifs, plus contestataires que contemplatifs. Subarenrekha (« le fil d'or »), produit en 1965, relate l'histoire d'une famille de réfugiés qui fuit le Bengale-Oriental pour le Bengale-Occidental après la partition et, bien que jouissant d'aisance matérielle dans son nouvel environnement, atteint une impasse spirituelle.
Parmi les autres cinéastes indiens qui ont bravement tenté de libérer le cinéma indigène du fastidieux et de la théâtralité se distinguent Mrinal Sen (Akash Kusum, 1965), Barin Sah (Tero Nadir Parey, 1962), Tapan Sinha (Atithi, 1965) et Utpal Dutt (Ghoom Bhangar Gaan, 1965). Détail significatif, tous sont originaires du Bengale. La réaction du public à leurs films reste tiède, mais aujourd'hui, en grande partie grâce à un mouvement croissant de ciné-clubs en Inde, apparaît un public plus critique.
Le cinéma régional
Le phénomène important des décennies 1980 et 1990 est l'explosion d'un cinéma régional, plus particulièrement au Kerala, d'où viennent les beaux films d'Aravindan et d'Adoor Gopalakrishnan, tandis qu'à Bombay se révèlent deux actrices de premier plan (Shabana Azmi et, surtout, Smita Patil) et deux cinéastes (Kumar Shahani et Mani Kaul), qui poursuivent leur œuvre tant bien que mal et mettent désormais tous leurs espoirs dans la télévision.