Brésil : vie politique depuis 1889

1. La République

1.1. La Iere République

La Constitution de la Iere République est promulguée le 24 février 1891. Elle est le fruit d’une négociation entre militaires et civils et de débats entre un courant positiviste favorable à une dictature républicaine (Fonseca, Benjamin Constant Botelho de Magalhães) et un courant plus libéral-démocratique (Rui Barbosa, Prudente de Morais).

Si le premier apporte la nouvelle devise comtiste « Ordre et Progrès » du drapeau brésilien, le second finit par l’emporter. Le texte institue notamment un État laïque (séparation de l'Église et de l'État) et fédéraliste (institutions analogues à celles des États-Unis). Le droit de vote est étendu à tous les hommes de plus de 21 ans sachant lire et écrire et l’élection présidentielle directe est introduite mais le corps électoral reste très restreint et le régime étroitement oligarchique.

Après une période de troubles marquée par un conflit entre le président et le congrès (novembre 1891) puis par une sanglante guerre civile dans l’État de Rio Grande do Sul (1893-1895) qui menace de s’étendre, la situation politique se stabilise et le pays échappe au caudillisme (pouvoir personnel) qui marque les autres États d’Amérique latine. Entre l'élection (la première au suffrage direct) de Prudente de Morais, républicain de São Paulo (1894-1898) et 1930, douze présidents, tous civils à l’exception d’un, se succèdent dans une stricte légalité.

1.2. Mise en place d'un système oligarchique et clientéliste

Cependant, derrière ce légalisme républicain, se met en place un système oligarchique et clientéliste liant entre elles les élites politiques et sociales à tous les niveaux du pouvoir. À la base, le pouvoir appartient aux oligarques locaux, propriétaires terriens surnommés « colonels » (coronéis, titre purement honorifique), qui tiennent les terres, les hommes et contrôlent les suffrages par les faveurs et la violence, troquant la conservation de leurs privilèges contre leur appui aux représentants au Congrès (les bacharéis ou « diplômés ») et aux gouverneurs des États.

De leur côté, ces derniers, dont l’autonomie est garantie, approuvent le choix des candidats à la présidence et assurent au chef de l’exécutif l’élection de députés et sénateurs dociles, recevant ainsi que leurs alliés, les avantages que le président, sorti très souvent de leurs rangs – Campo Sales (1898-1902), Afonso Pena (1902-1906), Rodrigues Alves (1902-1906 ; 1918), Artur Bernardes (1922-1926) – peut leur fournir.

Le rôle toujours plus considérable joué par le café, c'est-à-dire par l'État de São Paulo, dans l'économie brésilienne explique que la majorité du personnel gouvernemental soit recrutée, non plus parmi les gens du Nordeste, mais parmi les paulistes (originaires de l'État de São Paulo), et justifie également le soutien financier accordé par l'État aux producteurs de café lors de la crise de surproduction de 1906.

Outre l'État de São Paulo, le Minas Gerais, est également favorisé : ces deux États les plus puissants et peuplés prennent l’ascendant à partir de la présidence de Campos Sales en 1898 par l’intermédiaire également de leurs partis républicains respectifs, pauliste, créé en 1874 et mineiro fondé en 1888.

1.3. Intégration territoriale de l'Amazonie

Parallèlement à ce déplacement continu de l'axe du Brésil vers le sud, commencé au siècle précédent, est entreprise l'intégration territoriale de l'Amazonie dans l'espace brésilien, grâce à une série d'explorations scientifiques menées par Spix et Martius le long de l'Amazone et du Japurá (1817-1820), par le comte de Castelnau aux sources du Paraguay (1843-1847), par le docteur Jules Crevaux dans les grandes plaines intérieures (1876-1882), par H. Meyer sur le Xingu (1900).

1.4. Le Brésil, première puissance de l'Amérique latine

En 1914, le Brésil, dont la population s'est fortement accrue avec l'arrivée d'immigrants européens (Italiens, Espagnols, Portugais), est la première puissance de l'Amérique latine. La Première Guerre mondiale, à laquelle il participe aux côtés des Alliés, au lendemain de l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Allemagne, active encore son économie. La production de blé dans le Sud, celle du caoutchouc dans la forêt amazonienne (rôle des seringueiros) sont alors développées pour l'exportation.

2. De la « nouvelle république » à la dictature militaire

2.1. L'ère Vargas (1930-1945 et 1951-1954)

La fin de la « Vieille République » (República Velha) et du « coronelismo » est le fruit d’une évolution de la société brésilienne au cours années 1920 : rejet croissant du système oligarchique favorisé par une opposition démocratique plus vigoureuse ; rébellions des jeunes officiers à la tête du mouvement de contestation politico-militaire dit tenentista (des lieutenants, né en 1922) ; crise économique avec la fermeture des marchés européens, l’effondrement des cours du caoutchouc et surtout du café, en 1929 ; développement d’une nouvelle bourgeoisie industrielle et émergence dans les villes d’une classe moyenne ; naissance de la « question sociale ».

En 1930, à la tête d'une alliance d'une Alliance libérale, coalition de diverses oppositions et dissidences, Getúlio Vargas, homme du Sud, renverse le président en exercice avec l'appui d'une fraction de l'armée et constitue un gouvernement provisoire. Il suspend la Constitution de 1891, réprime un mouvement insurrectionnel à São Paulo, qui réclame son autonomie (1932), se fait élire président pour quatre ans par une Assemblée constitutante et impose le vote d'une nouvelle Constitution (1934) prévoyant la désignation d'un Parlement en partie représentatif, en partie corporatif.

Populiste à l’origine, avec certains traits démocratiques comme l’introduction du bulletin secret et le droit de vote accordé aux femmes, le régime acquiert un caractère de plus en plus dictatorial quand, le 10 novembre 1937, G. Vargas prend la tête d’un coup d’État avec le soutien de l’Action intégraliste, brésilienne (AIB) – un nouveau mouvement d’inspiration fasciste créé en 1932 – et celui de l’armée.

Une nouvelle Constitution est proclamée. Le président concentre l’ensemble des pouvoirs, son mandat est prolongé jusqu’à l’organisation d’un référendum qui n’aura jamais lieu. Les partis politiques (dont l’AIB), sont dissous et interdits, le Congrès et les autonomies régionales supprimés. C'est le début de l'Estado Novo, qui s'appuie sur le peuple et la bourgeoisie des villes contre les grands propriétaires fonciers. Inspiré du fascisme italien, mais sans s’appuyer sur le parti unique, un régime autoritaire et corporatiste est établi tandis que sont interdits la grève et le lock out.

Bien que le président Vargas ait fait entrer le Brésil dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés des Alliés (corps expéditionnaire de 25 000 hommes, en 1942), il ne jouit pas de l'appui des États-Unis en raison de sa politique. Le 29 octobre 1945, il est déposé par un groupe de généraux et, en 1946, une nouvelle Constitution démocratique et fédéraliste – rétablissant en les élargissant les droits sociaux qui avaient été prévus dans le texte de 1934 – est adoptée.

En 1951, élu au suffrage direct avec plus de 48 % des suffrages grâce au vote populaire canalisé par le parti travailliste brésilien et au soutien de l’État de São Paulo, Getúlio Vargas redevient président. Il radicalise son nationalisme économique à l'encontre des intérêts étrangers. Mais l'opposition déchaîne contre lui une violente campagne qui le conduit au suicide (24 août 1954).

2.2. La modernisation du pays

Après la courte présidence de J. Café Filho (1954-1956), son successeur Juscelino Kubitschek se consacre à la mise en valeur du pays : poursuite de l'équipement industriel (groupe sidérurgique de Volta Redonda) ; volonté de conserver au Brésil la libre jouissance de ses richesses ; effort pour décentraliser l'organisation politique et économique du pays en dotant les gouvernements provinciaux d'une partie des pouvoirs détenus par les organes fédéraux ; volonté, pour symboliser l'unité du Brésil, de lui donner une nouvelle capitale, Brasília, inaugurée en avril 1960.

La construction de Brasília pèse lourdement sur l'économie et, aux élections de 1960, sont élus les candidats de l'opposition : Jãnio Quadros à la présidence et João Goulart à la vice-présidence. Tout en poursuivant à l'intérieur la politique de son prédécesseur, mais en mettant l'accent sur la lutte contre la corruption, Quadros mène à l'extérieur une politique d'indépendance à l'égard des États-Unis et d'ouverture vers l'Est et vers le tiers monde. Accusé de complaisance à l'égard du communisme par les militaires et par le gouverneur de Guanavara, Lacerda, il démissionne en août 1961.

Le vice-président Goulart, ancien collaborateur de Vargas, doit accepter, pour recevoir l'investiture, une réduction de ses pouvoirs constitutionnels. Il continue la politique de Quadros à l'extérieur et cherche à l'intérieur à lancer un programme de réforme agraire et de nationalisations. En avril 1964, il est déposé par les militaires.

3. Les présidences militaires

Un régime militaire strict se met alors en place. Des actes institutionnels amendent dans un sens autoritaire la Constitution libérale de 1946 et une épuration sévère frappe les milieux oppositionnels. En mars 1967, une nouvelle Constitution est adoptée. Les partis politiques traditionnels sont interdits et remplacés par l'officielle Arena (Aliança Renovadora Nacional) et le président reçoit des pouvoirs exceptionnels au détriment du Congrès et des États (Acte institutionnel n° 5 du 13 décembre 1968).

Les présidents sont tous des militaires jusqu'en 1985 : les maréchaux Castelo Branco (1964-1967) et Costa e Silva (1967-1969) et les généraux Garrastazu Médici (1969-1974), Geisel (1974-1979) et Figueiredo (1979-1985).

Leur politique est axée sur la lutte contre la subversion, en particulier à partir de 1968 (loi de sécurité nationale de 1969), sur le développement industriel et, tout en maintenant de bons rapports avec les États-Unis, sur la recherche d'une certaine indépendance nationale. Après la réussite du plan de stabilisation de 1965, le Brésil s'ouvre aux investissements étrangers, les salaires sont surveillés et le rôle de l'État dans l'économie ne cesse d'augmenter. Mais la croissance se ralentit et l'inflation reprend après 1973.

4. L'évolution démocratique du régime

4.1. La libéralisation politique et l'hyperinflation

À partir de 1979, sous la présidence du général Figueiredo, le processus de libéralisation de la vie politique, amorcé timidement en 1974 sous la présidence d’Ernesto Geisel, s’accélère : restauration d'un certain nombre de libertés, limitation des pouvoirs d'exception du président, large amnistie politique et réforme du système des partis. L'Arena est rebaptisée parti démocratique social (PDS), tandis que le Mouvement démocratique brésilien (MDB) – le seul parti d'opposition autorisé par l'ancien régime militaire – devient le parti du Mouvement démocratique brésilien (PMDB). D'autres partis font aussi leur apparition : le parti travailliste brésilien (PTB), le parti démocrate travailliste (PDT) et le parti des Travailleurs (PT), créé sur la base des mouvements syndicaux lors des grandes grèves des années 1970 qui affectèrent la banlieue de São Paulo.

Dans les années 1980, le pays traverse une période de forte récession économique, et de puissants groupes industriels retirent l'appui qu'ils avaient jusqu'alors accordé au régime militaire. Le mécontentement envers le régime se manifeste aussi en 1982, au moment des élections aux postes de gouverneurs, élus au suffrage universel pour la première fois depuis 1965, et dont le PMDB sort largement vainqueur. Le gouvernement, en dépit d'une forte mobilisation populaire, se refuse à adopter ce même suffrage pour l'élections présidentielle ; en 1985, il fait élire par le Congrès le représentant du PMDB, Tancredo Neves, mais celui-ci meurt trois mois plus tard, et c'est le vice-président, José Sarney, issu du régime militaire, qui lui succède.

Sous l'administration Sarney, les deux plans économiques (1986 et 1989) de contrôle de l'inflation, qui grève les revenus déjà fort modestes de la majorité des ménages, échouent. En septembre 1988, réunis en Assemblée constituante, le Sénat et le Congrès adoptent le texte d'une nouvelle Constitution instaurant une démocratie politique (élargissant notamment le droit de vote aux analphabètes) et accordant de nouveaux droits sociaux.

Les élections municipales de novembre 1988 traduisent le changement de la carte électorale. Si le PMDB reste la principale force politique, le PT obtient des villes importantes et fait élire une femme, Luiza Erundina, pour la première fois dans l'histoire du Brésil, au poste de maire d'une grande ville, São Paulo. Le PT s'affiche alors comme le deuxième parti brésilien.

Son candidat, Luiz Inácio Lula da Silva, échoue pourtant à la première élection présidentielle organisée au suffrage universel en novembre-décembre 1989, devant un candidat pratiquement inconnu, Fernando Collor de Mello, dont la formation, le parti de la Reconstruction nationale (PRN) est créée pour l'occasion, et qui canalise les votes d'un électorat hostile au PT.

La présidence Collor, qui s'ouvre en mars 1990, se veut celle de la « modernisation » du pays. Cependant, après deux ans de récession, de mesures fort impopulaires et inefficaces (confiscations d'épargne par la Banque centrale, privatisations, licenciements de fonctionnaires), de dégradation du niveau de vie et d'augmentation de la criminalité, les allégations de corruption faites à l'encontre du président par son propre frère précipitent la crise. En septembre 1992, le Congrès vote la destitution de Fernando Collor de Mello, et le vice-président Itamar Franco lui succède.

Itamar Franco bénéficie d'abord d'un climat d'optimisme provoqué par la mise à l'écart du président corrompu. Mais, durant huit mois, trois ministres des Finances se succèdent et, en 1993, l'inflation avoisine 3 000 % par an. Fernando Henrique Cardoso, alors ministre des Finances, annonce en décembre un plan de stabilisation monétaire, le plan Real, qui n'intervient qu'en juillet 1994 avec l'introduction d'une nouvelle monnaie. La fin de l'hyperinflation permet alors à l'ensemble de la population d'éprouver les effets de la baisse des prix.

4.2. Les présidences de Fernando Henrique Cardoso (1994-2003)

Le 3 octobre 1994, Fernando Henrique Cardoso, candidat du parti social-démocrate brésilien (PSDB), fondé en 1988, est élu président de la République. Fort de sa victoire électorale (54,28 % des suffrages exprimés dès le premier scrutin), celui-ci entend engager des réformes nécessaires à la stabilisation de l'économie et à la reprise du développement interrompu depuis plus d'une décennie.

Cinq propositions d'amendement de la Constitution de 1988, concernant la régulation de l'économie, sont approuvées en 1995 par le Congrès. Celui sur la rééligibilité du président est également approuvé à la fin de 1997.

Le gouvernement du président Cardoso doit cependant faire face à une série de problèmes. Après l'euphorie suscitée par la fin de l'hyperinflation, la croissance économique est atone, certains secteurs industriels sont compromis, le chômage progresse et des conflits agraires ont lieu dans tout le pays. Le Mouvement des sans-terre (MST) mène, depuis sa création (1984), des opérations d'occupation de propriétés foncières inexploitées ; mais, en 1996, des paysans sont massacrés par des policiers en Amazonie, dans l’État du Pará (Eldorado dos Carajás) entraînant la radicalisation d’une partie du MST.

Le MST ayant élargi son audience dans les milieux urbains, et les conflits s'étant multipliés, le gouvernement doit procéder à des négociations ponctuelles. Ces tensions mettent en lumière le caractère fortement inégalitaire de la société brésilienne qui constitue l'obstacle majeur à la construction d'une véritable démocratie.

Aux élections générales d'octobre 1998, Fernando Henrique Cardoso est reconduit à la présidence de la République sans difficulté, avec près de 54 % des suffrages. Au sein de la Chambre des députés, son parti (le PSDB) progresse rapidement. Cependant, c'est le parti du Front libéral (PFL), conservateur, fondé en 1985, qui conquiert le plus grand nombre de sièges. Le PMDB accuse une régression, mais n'en reste pas moins une force politique de poids. Le PT demeure le principal parti d'opposition au gouvernement.

Quelques semaines après sa réélection, le président affronte une grave crise financière, que l'austérité budgétaire et la rigueur monétaire (préconisées par le Fonds monétaire international [FMI]) – certes tardives – n'ont pas pu empêcher. En 1999 apparaissent les premiers signes de rétablissement, confirmé en 2000 avec une croissance à nouveau positive. En même temps, le président paie par une impopularité croissante sa politique d'austérité.

5. Luiz Inácio Lula da Silva et la « troisième voie » (2003-2011)

Le candidat du PT, Luiz Inácio Lula da Silva, dit « Lula », remporte, avec 61,2 % des voix au second tour, l'élection présidentielle d'octobre-novembre 2002. Entré en fonctions le 1er janvier 2003, il est le premier président de gauche depuis l'instauration de la République du Brésil en 1889.

5.1. Une politique fondée sur le compromis

Prenant en main le destin du pays, le nouveau président s'efforce de rassurer les marchés financiers, qui redoutaient l'arrivée de la gauche au pouvoir, et s'engage à poursuivre la politique économico-financière du gouvernement Cardoso, comportant notamment le respect des engagements du pays et l'ajustement budgétaire. Par ailleurs, la nouvelle équipe gouvernementale – une coalition de centre gauche hétéroclite – s'engage à amorcer des réformes structurelles (réforme de la retraite et réforme fiscale notamment).

Toutefois, le principal chantier du président est social. Outre la poursuite de la réforme agraire lancée par son prédécesseur (redistribution aux paysans sans terre des exploitations laissées en friche), Lula da Silva érige en priorité absolue les programmes « Faim zéro » et « Bourse famille » visant l'un, à éradiquer la malnutrition qui frappe 46 millions de Brésiliens, l'autre, à venir en aide à 11 millions de foyers modestes. Le président n'aura de cesse de louvoyer entre orthodoxie économique et volontarisme social ou, selon ses propres termes, de « passer de la performance financière à la performance économique ».

Le gouvernement suit très exactement, et avec succès, les recettes du FMI. Dès la fin du premier semestre 2004, ce dernier salue le redressement de l'économie brésilienne : la croissance est en hausse, le chômage en baisse. Mais le pragmatisme du président ne tarde pas à troubler ses propres partisans (fonctionnaires fédéraux, aile gauche du PT et les puissants mouvements sociaux, dont le MST), qui se regroupent pour manifester leur opposition aux projets de réforme de l'impôt, des retraites et de la Sécurité sociale, ainsi qu'à la cure d'austérité imposée aux finances publiques.

À l'issue des élections municipales d’octobre-novembre 2004, le PT perd la mairie de São Paulo et son bastion de Porto Alegre. Au-delà de ces deux défaites symboliques, le PT contrôle 411 municipalités (contre 187 en 2000) et a conquis des mairies importantes – Belo Horizonte (Minas Gerais) et Recife (Pernambuco) – ainsi que des villes des banlieues de São Paulo et de Rio de Janeiro.

Révélé en juin 2005, un scandale de corruption, dit « du mensalão » (mensualité versée à des députés alliés au PT pour approuver des projets de loi), secoue le pays et éclabousse des ministres et des dirigeants du PT. Face à cette vague d'accusations, le président procède à un remaniement ministériel au profit du parti du Mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre). Le PT, dont la direction est emportée par le scandale, renouvelle ses instances ; son aile gauche défend une « refondation » et s'oppose à la politique économique du gouvernement. L'ancien bras droit du président, José Dirceu, accusé de corruption, est destitué par la Chambre des députés.

5.2. La réélection de Lula

En octobre 2006, les Brésiliens sont appelés aux urnes pour élire leur président, leur Chambre des députés, un tiers du Sénat ainsi que les gouverneurs et les assemblées législatives des 26 États et du district fédéral. Malgré les scandales, le président Lula est triomphalement réélu au second tour du scrutin avec 61 % des voix, contre 39,1 % à Geraldo Alckmin, candidat du parti social-démocrate brésilien (PSDB).

Toutefois, ce succès cache d'importantes disparités régionales : Lula enregistre ses meilleurs scores dans certains des États les plus pauvres du Nord et du Nordeste – Ceará, Maranhão, Paraíba, Piauí, Pernambuco, où il rassemble entre 70 % et plus de 80 % des suffrages, voyant ainsi sa politique sociale récompensée –, tandis qu'il reste en deçà de 50 % des voix dans des États plus développés du sud et du sud-est du pays, comme le Rio Grande do Sul, São Paulo, le Paraná ou Santa Catarina.

Par ailleurs, si le PT renforce quelque peu sa position dans les États, avec 5 gouverneurs sur 27 contre 2 en 2002, il passe derrière le PMDB dans une Chambre des députés extrêmement fragmentée (21 partis y sont représentés), tandis que l'opposition, dominée par le PSDB et le parti du Front libéral (PFL, qui prend le nom de Démocrates, DEM, en 2007), l'emporte aux sénatoriales partielles.

Le président Lula doit ainsi composer avec le Congrès et la gouvernabilité du pays dépend de sa capacité à constituer des alliances avec les petits partis de gauche et le centre droit. Celle-ci peut être remise en cause par un affaiblissement dans les deux Chambres, d'autant plus si de nouveaux scandales éclatent au sein de la classe politique comme celui qui atteint, au cours de l'année 2007, un proche allié de Lula, le président du Sénat, Renan Calheiros (PMDB). Accusé de trafic d'influences, et bien qu'absous par une majorité de ses pairs, ce dernier préfère finalement démissionner en octobre.

Fort d'une popularité retrouvée, le président ne veut revenir ni sur l'orthodoxie financière appliquée depuis 2003 ni sur la lutte contre la pauvreté, mais table désormais sur un « programme d'accélération de la croissance ». Annoncé en janvier 2007, ce plan doit appuyer le développement économique du pays grâce à des investissements massifs, publics mais aussi privés (avec des réductions fiscales appropriées) dans les secteurs du transport, de l'énergie, des communications, du logement social et de la santé. Un autre défi à relever est celui de la lutte contre la criminalité : liant cette question à la réduction des inégalités, le gouvernement lance ainsi, en juillet 2007, un nouveau « programme de sécurité par la citoyenneté » (Programa Nacional de Segurança Pública com Cidadania, Pronasci) fondé sur des programmes sociaux dans les États les plus touchés par ce fléau. Mais, en la matière également, l'application des réformes dépend du soutien apporté par les puissants gouverneurs concernés.

La progression du PMDB se confirme aux élections municipales d'octobre 2008, premier test électoral avant les élections générales – dont le scrutin présidentiel, auquel l'actuel chef de l'État ne pourra plus se présenter – prévues en 2010. Avec plus de 18 millions de voix et 1 211 mairies, le PMDB arrive largement en tête de ce scrutin devant le PSDB, le DEM et le PT. Ce dernier est battu en outre à Porto Alegre, Salvador de Bahia et à São Paulo, où le maire sortant Gilberto Kassab (DEM), l'emporte, grâce au soutien du PMDB, avec plus de 60 % des suffrages face à Marta Suplicy, activement soutenue par le président Lula tandis que le candidat centriste Eduardo Paes (PMDB) ravit de justesse la mairie de Rio de Janeiro à Fernando Gabeira, candidat du parti Vert et soutenu par l'opposition social-démocrate.

5.3. La politique étrangère

Au plan extérieur, l'arrivée au pouvoir du président Lula da Silva se traduit par une redéfinition du rôle du Brésil dans le monde.

Poursuivant la politique étrangère conduite par son prédécesseur, Lula da Silva en modifie partiellement les priorités et se tourne davantage vers l'Amérique du Sud, en soutenant notamment la création, en décembre 2004, de la Communauté sud-américaine des nations. S'appuyant sur une alliance stratégique avec l'Argentine, il entend faire du Mercosur (Mercosul en portugais) plus qu'une union douanière, une zone de convergence des politiques macroéconomiques, et préconise, à cet effet, un renforcement de ses institutions. Le Brésil et ses partenaires du Mercosur, réticents sur le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) jugée trop favorable aux intérêts des États-Unis, annoncent, en novembre 2005, qu'ils renoncent à la ZLEA.

À la tête du G20 (groupe réunissant notamment l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud et l'Indonésie au sein de l'Organisation mondiale du commerce [OMC]), et défendant l'idée d'un lien direct entre agriculture et développement), le Brésil obtient, en 2005, l'interdiction des subventions aux exportations agricoles pour 2013. Enfin, médiateur régional, il propose ses bons offices dans le règlement des crises en Colombie, au Venezuela, en Bolivie – envisageant, en 2008, la création d'un Conseil régional de la défense destiné à résoudre les conflits en Amérique latine – ainsi qu'en Haïti, où il joue un rôle actif au sein de la force de maintien de la paix (Minustah), lors de son installation, en 2004.

6. Le Brésil entre expansion et contestation (depuis 2011)

Les 3 et 31 octobre 2010 ont lieu les élections générales. Dilma Rousseff, candidate du PT et de la coalition gouvernementale sortante, activement soutenue par son mentor Lula dont elle fut le chef de cabinet, arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 46,9 % des suffrages devant José Serra (PSDB, 32,6 %) et Marina Silva du parti Vert, formation qui crée la surprise avec 19,3 % des voix.

Première femme à accéder à la présidence au Brésil, D. Rousseff l’emporte sans difficulté au second tour avec 56 % des suffrages. Ce succès est de plus confirmé au Congrès où la coalition de centre gauche progresse à la Chambre des députés avec plus de 300 sièges sur 513, le PT redevenant le premier parti devant son allié, le PMDB, alors que reculent le PSDB et les libéraux du DEM.

6.1. La lutte contre la corruption

Entrée en fonctions en janvier 2011, la présidente est très vite confrontée au problème de la corruption qui touche des partis alliés sans épargner le PT. Après la démission de son chef de cabinet Antonio Palocci, cible des attaques de la presse sur l’ampleur de son patrimoine, le ministre des Transports (parti de la République), de l’Agriculture (PMDB) puis ceux des Sports (parti communiste), du Tourisme (PMDB) et du Travail (parti travailliste démocratique) suspectés d’enrichissement illicite, de détournement de fonds publics ou d’avoir perçu des pots de vin, doivent à leur tour renoncer à leur poste. Ces démissions en chaîne révèlent surtout un dysfonctionnement majeur du mode de gouvernement brésilien appelé par certains « présidentialisme de coalition » ou de « transaction », le président élu négociant l’appui des différentes formations en échange de postes au sein de l’État.

Affichant une « tolérance zéro » à l’égard de la corruption D. Rousseff veut faire oublier le laxisme reproché à son prédécesseur, ce qui lui vaut une popularité toujours élevée, mais reste prisonnière de son alliance avec le PMDB, incarné notamment par le vice-président Michel Temer et le président du Sénat José Sarney, susceptible de freiner sa volonté de rupture.

6.2. Croissance, redistribution, expansion extérieure

Dilma Roussef hérite d’une économie qui a retrouvé son essor après la crise de 2008-2009 avec une croissance de plus de 7 % et une classe moyenne en forte augmentation représentant désormais environ 50 % de la population brésilienne, changement majeur intervenu au cours des dix dernières années. Cette évolution globale dissimule toujours de très fortes inégalités dans la répartition des revenus (87e rang sur 138 pays selon le dernier rapport du PNUD) qui ont à peine diminué et qui nécessitent la poursuite des grands programmes sociaux (lancement du programme « Brésil sans pauvreté » en juin).

L’expansion du Brésil se déroulant de plus en plus à l’extérieur de ses frontières, il arrive qu'elle suscite chez ses voisins plus pauvres les craintes d’un nouvel « impérialisme » brésilien qui aurait repris la place laissée vacante par les États-Unis. Une hostilité qui s’exprime notamment en Bolivie – où un projet routier à travers une réserve naturelle a dû être révisé sous la pression des mouvements indiens –, au Paraguay – où le Brésil est accusé d’imposer ses intérêts dans la gestion des ressources communes en eau et où les tensions avec les agriculteurs brésiliens (les Brasiguayos) sont récurrentes – ou encore en Argentine, où un gigantesque projet minier ne prévoyant pas l’embauche de travailleurs locaux a été suspendu.

Outre les grandes entreprises comme Petrobras, l’instrument de cette expansion est la Banque nationale de développement (BNDS), dont les prêts aux entreprises brésiliennes effectuant des travaux en Amérique latine (gazoducs en Argentine, infrastructures portuaires sur la côte Pacifique, chantiers navals au Venezuela) ont considérablement augmenté entre 2001 et 2010. Conscientes du risque d’une détérioration de cette image, les autorités brésiliennes se veulent rassurantes mettant en avant les effets bénéfiques de ce développement pour l’ensemble du sous-continent.

6.3. Une « révolte des classes moyennes » ?

Au mois de juin 2013, une protestation contre la hausse des tarifs des transports publics lancée par des étudiants de São Paulo se transforme en manifestations massives qui s’étendent aux principales villes du pays. Cette mobilisation, dont l’ampleur surprend même ses instigateurs, réunit des Brésiliens en majorité jeunes, issus des classes moyennes et bénéficiant d’un haut niveau d’éducation. Par ailleurs, la plupart manifestent pour la première fois et n’appuient aucun parti. Exprimant une inquiétude et un mécontentement diffus, les manifestants exigent surtout une amélioration de la qualité des services publics et une lutte plus résolue contre la corruption, tandis que les investissements jugés excessifs pour l’organisation de la coupe du monde football 2014 sont dénoncés par certains.

Pris de court, la présidente et les dirigeants politiques doivent désamorcer une crise inédite : après l’annulation des mesures d’augmentation incriminées, les députés fédéraux rejettent ainsi une proposition d’amendement constitutionnel très controversée qui tendait à limiter les pouvoirs d’investigation du parquet dans les affaires de corruption et s’engagent à adopter un projet prévoyant de consacrer une part des recettes pétrolières à l’éducation et la santé. Relayée par une « journée de luttes » le 11 juillet, cette mobilisation sociale spontanée offre l’occasion aux syndicats, dont le plus important d’entre eux, la Centrale unique des travailleurs (CUT, un allié traditionnel du PT), de rappeler au gouvernement leurs principales revendications : outre l’augmentation des dépenses sociales et d’éducation, sont mises notamment en avant la lutte contre la précarité, la semaine de 40 heures sans réduction de salaire et la revalorisation des retraites. Elle conduit également Dilma Rousseff, dont la popularité connaît une forte baisse, à envisager une réforme plus profonde, aux contours encore imprécis, destinée à réduire le fossé grandissant entre les citoyens et les élites politiques un an avant les prochaines échéances électorales d’octobre 2014.

6.4. Le second mandat et la destitution de D. Rousseff

C’est une présidente très contestée qui se présente pour un second mandat. Les manifestations renaissent notamment au début de la coupe du monde de football en juin-juillet 2014, dont l’organisation a été beaucoup plus coûteuse que prévu. À la suite du décès du candidat du parti socialiste brésilien, Eduardo Campos, l’écologiste M. Silva, choisie pour le remplacer, semble ainsi pouvoir l’emporter à la veille du premier tour de scrutin. Le 26 octobre, à l’issue d’une campagne électorale beaucoup plus polarisée qu’en 2010, la présidente sortante est quand même réélue au second tour mais avec seulement 51,6 % des voix face à Aecio Neves, son adversaire du PSDB.

Cette réélection est d’autant plus étroite que le PT (parti des Travailleurs) recule à la Chambre et au Sénat. Après cette victoire sans triomphe, D. Rousseff doit relever plusieurs défis, parmi lesquels la relance d’une économie qui montre des signes d’essoufflement (avec un taux de croissance réduit de 7,5 % à moins de 2 %) et une lutte plus résolue contre la corruption, dont l'ampleur est révélée, depuis mars 2014, par l'enquête sur le vaste système de trucage des marchés publics impliquant la société pétrolière Petrobras et les entreprises du BTP. Baptisée Lava Jato (« lavage auto ») après la perquisition d’une station-service à la suite d’une plainte pour blanchiment d’argent, elle déstabilise fortement la classe politique et prend même une ampleur internationale avec l’implication du groupe Odebrecht dans la corruption de plusieurs hauts dirigeants d’Amérique latine.

Les révélations mettant en cause le PT et son ancien chef Lula fragilisent la présidente, bien qu’elle ne soit pas elle-même directement visée par les investigations, et contribuent à la dégradation du climat politique dans un pays qui entre dans une grave crise économique en 2015, avec une récession estimée à 3,8 %, une forte inflation et un creusement du déficit budgétaire.

D. Rousseff, dont la popularité est en chute libre et dont le départ est réclamé lors de nouvelles manifestations massives en mars 2016, est alors lâchée par ses alliés du PMDB (parti du Mouvement démocratique brésilien) qui veulent se désolidariser du pouvoir alors que certains d'entre eux, au premier rang desquels le président de la Chambre des députés, sont eux-mêmes inculpés ou suspectés dans l’« affaire Petrobras ».

Elle est ainsi mise en accusation pour avoir porté atteinte aux lois budgétaires et fiscales en dissimulant des subventions et engagé des dépenses supplémentaires sans autorisation législative, des actes relevant du « crime de responsabilité ».

Qualifiée de « coup d’État » par la présidente et le PT, la procédure – légale mais révélant une instrumentalisation de la Constitution brésilienne – conduit à la comparution de D. Rousseff devant le Sénat fédéral qui vote sa destitution, le 31 août, par 61 voix contre 20, sans toutefois la priver de ses droits politiques. Le vice-président Michel Temer (PMDB) lui succède officiellement jusqu’aux prochaines élections législatives et présidentielle prévues en 2018.

Ce dernier est cependant à son tour mis en cause dans plusieurs scandales de corruption, en juin et septembre 2017. Bien qu’ayant échappé à deux reprises à une mise en accusation par les députés, il renonce à se présenter au scrutin d’octobre 2018.

L’omniprésence des affaires, révélées depuis 2014 par l’opération Lava Jato, jette le discrédit sur la classe politique, alors que l’état économique et social du Brésil ne s’améliore guère après la récession de 2015-2016. À ce marasme s'ajoute une criminalité endémique, aggravée par une flambée de violences. Un tel contexte rend la situation politique particulièrement instable.

6.5. La percée inattendue et la victoire de Jair Bolsonaro

Alors que l’ex-président Lula (détenu depuis avril après sa condamnation à 12 ans de détention, pour corruption passive et blanchiment d’argent) semblait avoir regagné une certaine popularité avant d’être déclaré inéligible par le Tribunal supérieur électoral, c’est le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, qui arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle, avec 46 % des suffrages, engrangeant plus de 50 % des voix dans la plupart des États du Sud, les plus développés et les plus peuplés.

Obtenant ses meilleurs résultats dans le Nordeste (plus de 60 % des voix dans les États de Bahia, Piauí et Maranhão), son principal adversaire, Fernando Haddad, candidat par défaut du PT, arrive en deuxième position avec 29,2 % des suffrages, devant Ciro Gomes (Parti démocratique travailliste, 12,4 %). Le candidat du PSDB n’obtient que 4,7 % des voix, tandis que celui du MDB (ex-PMDB) est relégué à la septième place (1,2 %).

Ancien capitaine d’artillerie, J. Bolsonaro, bien que député fédéral depuis 1991, se présente comme un homme neuf et providentiel, affilié en 2018 au Parti social-libéral qui parvient ainsi à faire élire une cinquantaine de représentants, se hissant à la deuxième place, au coude-à-coude avec le PT.

Victime d’une attaque au couteau lors d’un de ses meetings, J. Bolsonaro a pu tirer profit de cette agression et s’est surtout distingué par ses propos violemment misogynes, homophobes et racistes, ainsi que par son éloge des gouvernements militaires passés.

Par son programme sécuritaire radical de retour à l’ordre, il séduit un large électorat, majoritairement masculin, issu surtout de la classe moyenne menacée par la détérioration de sa situation économique, voire (minoritairement) de milieux plus populaires déçus par le PT. En outre, son ultra-conservatisme suscite l’approbation chez les évangéliques – en forte progression depuis les années 1980 et dont il s’est rapproché en 2016 –, tandis que, sur le plan économique, ses propositions, assez floues, associant privatisations et remise en cause des acquis sociaux trouve un écho favorable au sein de la bourgeoisie brésilienne.

Le 28 octobre, le PT ne parvenant pas à redresser la situation en faveur de son candidat, J. Bolsonaro s’impose aisément au second tour avec 55 % des suffrages. Après un discours d’investiture au ton polémique – annonçant notamment un Brésil libéré du socialisme, de la « soumission idéologique », de « l’irresponsabilité économique » et de « l’inversion des valeurs » –, il entre en fonctions le 1er janvier 2019.

  • 2010 Bénéficiant de la popularité et du bilan très positif du président sortant Lula da Silva, dont elle est l’héritière politique, Dilma Rousseff remporte l’élection présidentielle et devient la première femme à diriger le Brésil (31 octobre).