L'indémodable modèle suédois
Les législatives du 15 septembre ont accordé une victoire écrasante aux sociaux-démocrates, dont le chef de file, Göran Persson, a été reconduit à la tête d'un gouvernement de coalition qui peut se passer de l'appui des Verts. Cette victoire doit être mise à l'actif du Premier ministre, qui a déployé tous ses efforts pour ranimer le modèle social suédois, toujours en vogue auprès des électeurs.
Au-delà, cette victoire marque le reflux de la vague conservatrice qui avait emporté les gouvernements sociaux-démocrates dans nombre de pays de l'UE et constitue un bon présage pour la gauche allemande, qui se soumettait à l'épreuve des urnes le 22 septembre.
La rose rouge n'est pas fanée
Rompant le cycle des défaites qui tendaient à déplacer vers la droite le centre de gravité politique de l'UE, les sociaux-démocrates suédois ont remporté une éclatante victoire lors des législatives du 15 septembre. Forts de plus de 40 % des suffrages, les sociaux-démocrates, conduits par le Premier ministre sortant, Göran Persson, ont montré que les revers électoraux essuyés par les partis de gauche au pouvoir dans un certain nombre de pays européens, où ils ont été emportés par une vague conservatrice charriant parfois des relents populistes, n'avaient rien d'une fatalité. Contre tous ceux qui « traitent les sociaux-démocrates de démodés », G. Persson a démontré magistralement que la rose rouge qu'ils se sont choisie pour emblème ne s'est pas fanée, en Suède en tout cas, où, avec leurs alliés verts et ex-communistes, ils remportent 53,2 % des voix, devançant ainsi de 10 points la coalition de droite, à la grande surprise des instituts de sondage qui annonçaient un score bien plus serré. Les sondages n'avaient pas prévu en effet l'effondrement du Parti conservateur, qui n'a recueilli que 15,2 % des voix, soit presque 8 points de moins qu'en 1998, un déficit de voix dû notamment à sa baisse de popularité dans l'électorat jeune. Avec 30 sièges de moins au Parlement, le Parti conservateur s'est retrouvé presque au niveau du Parti libéral qui, avec 13,2 % des voix (4,7 % en 1998), a été promu, en moins de deux mois, au rang de troisième force politique. C'est par cette promotion soudaine du Parti libéral, qui doit beaucoup au thème de l'immigration que son leader avait lancé début août dans le débat politique, que les élections suédoises rejoignent une constante populiste observée dernièrement dans les processus électoraux d'autres pays européens, certes avec la modération de ton propre à la Suède. Car si le thème de l'immigration et de son corollaire presque obligé, la sécurité, a permis aux libéraux de faire une percée spectaculaire dans les sondages puis dans les urnes et constitue une concession au populisme en vogue dans d'autres pays européens, ce parti de tradition humaniste peut difficilement être accusé de xénophobie et fait toujours figure de garde-fou présentable à une extrême droite qui vient de montrer ailleurs, aux Pays-Bas et en France par exemple, sa capacité de mobilisation.
Piètre résultat pour les Verts
En tout état de cause, ces bouleversements à droite de l'échiquier politique suédois ne semblent menacer en rien la prééminence du Parti social-démocrate, qui est toujours, et de très loin, la première force politique du pays et entend bien le rester, d'autant plus que le piètre score des Verts lui permet de se passer du soutien d'alliés écologistes qui se sont montrés bien encombrants au Parlement depuis quatre ans. Antieuropéens convaincus, ce qui les plaçait souvent en contradiction avec des sociaux-démocrates en phase avec Bruxelles même s'ils se sont accordé un délai pour l'entrée dans le club de l'euro, les Verts avaient fait monter les enchères à la veille du scrutin en exigeant un poste ministériel en échange de leur soutien. Le chantage, auquel le Premier ministre avait adressé une fin de non-recevoir, ne s'est pas avéré payant et, dans ce pays où l'écologie est intégrée à la culture politique, les électeurs ont surtout voté en faveur de ceux qui leur semblaient les mieux à même de défendre un « modèle suédois » fondé sur une répartition équitable des richesses, auquel ils restent très attachés, contre vents et marées de la mondialisation. Même les arguments fiscaux avancés par la coalition de centre droit, qui avait fait de la baisse des impôts, parmi les plus lourds des pays occidentaux, son cheval de bataille, n'ont pas ébranlé la foi des Suédois en leur « modèle ». D'autant que la défense de ce solide système de protection sociale allait de pair avec un bilan économique et politique plutôt favorable au gouvernement de G. Persson qui, en quatre ans, a redressé les finances publiques et ramené l'inflation à 2 %. Si les Suédois ont par ailleurs apprécié les efforts du Premier ministre pour remodeler une image souvent taxée de dirigisme, ils lui ont surtout su gré d'avoir tenu sa promesse électorale de 1998 de réduire le chômage de moitié. Touchant 4,1 % de la population active, le taux de chômage en Suède est l'un des plus bas d'Europe. Ils l'ont aussi jugé sur la stature internationale qu'il a acquise depuis les attentats du 11 septembre 2001, en rangeant la Suède aux côtés des États-Unis, au prix de sa sacro-sainte neutralité. Alors qu'avec leurs alliés ex-communistes les sociaux-démocrates disposent désormais, avec 175 sièges, de la majorité absolue au Parlement de Stockholm, G. Persson pouvait se permettre d'adresser ses encouragements aux « camarades allemands », qui devaient passer l'épreuve des urnes le 22 septembre, en espérant que sa victoire sera un autre modèle suédois, cette fois pour les élections à venir en Europe. Confirmant le ressaisissement de la gauche, la victoire à l'arraché de Gerhard Schröder et des sociaux-démocrates allemands lui donnera raison.