L'Europe se met à l'euro

Monnaie unique adoptée par douze des quinze pays de l'Union européenne, l'euro est devenu réalité le 1er janvier 2002, célébrée dans la liesse au même titre que le Nouvel An. Tir de feux d'artifice, queue aux distributeurs de billets : l'enthousiasme consumériste des Européens pour leur nouvelle monnaie s'est affirmé avec force.

Les Européens ont réveillonné sous le signe de l'euro dans les douze pays de l'Union européenne qui avaient choisi de renoncer à leurs monnaies nationales pour adopter la monnaie unique à compter du 1er janvier. Coïncidant avec le passage à la nouvelle année, le « basculement » dans l'euro a été célébré partout avec enthousiasme et parfois avec faste, comme en Espagne qui accédait le même jour à la présidence tournante de l'Union. Partout, les fêtards du Nouvel An ont fait la queue devant les distributeurs de billets pour être les premiers à palper les nouveaux billets quand sonneraient les douze coups de minuit.

« Europhoria »

L'enthousiasme des Européens n'avait nullement été émoussé par les préparatifs orchestrés en vue de faciliter le passage à l'euro. Outre les campagnes d'information visant à préparer l'opinion publique à la monnaie unique depuis son entrée en service, le 1er janvier 1999, les autorités des pays concernés avaient anticipé le basculement d'une quinzaine de jours en mettant en vente des sachets renfermant les nouvelles espèces. Ces « kits » d'euros proposant l'éventail complet des nouvelles pièces pour une valeur d'environ 15 euros étaient destinés à familiariser les Européens avec leur nouvelle monnaie avant sa mise en circulation. Le succès de la campagne a dépassé toutes les espérances : 53,3 millions de ces sachets ont été vendus du 14 au 18 décembre 2001 dans les douze pays de la zone euro et une nouvelle série de kits d'une valeur totale d'un milliard d'euros a dû être éditée avant la fin de l'année. L'apparition des billets, le 1er janvier à 0 heure, s'est opérée sans problème majeur. Excepté quelques fausses notes rapidement corrigées en Autriche ou en Italie, les distributeurs de billets ont été en mesure de répondre à la forte demande.

Passé l'« europhoria » du Jour de l'An – nom donné au grand spectacle offert par Madrid en hommage à l'euro –, les habitudes ont mis quelque temps à s'établir dans la pratique quotidienne au cours de la période de transition durant laquelle l'euro s'est trouvé en concurrence avec les monnaies nationales. Faisant pour l'occasion office de banquiers, les commerçants, qui devaient en principe rendre la monnaie en euros, ont souvent préféré s'épargner des calculs en continuant à faire circuler les anciennes devises. Préparés par de multiples campagnes et par le double affichage du prix des produits des mois auparavant, aidés par la distribution d'innombrables convertisseurs, les consommateurs se sont pourtant emmêlés quelque peu dans les conversions. Mais d'une manière générale, l'opération s'est déroulée mieux que prévu. Ainsi, en France, plus de 90 % des paiements en espèces s'effectuaient dans la nouvelle monnaie quinze jours après sa mise en circulation. Les bas de laine se sont vidés d'autant plus vite que le fisc a su se montrer relativement discret concernant les sommes économisées au fil des ans et réinjectées dans le circuit. Cette adoption rapide de l'euro a provoqué des phénomènes d'engorgement dans le circuit de recyclage des pièces et des billets en francs, refondues pour les unes, « trouillotés » pour les autres. Ainsi, le franc et les autres monnaies nationales avaient presque disparu de la circulation avant même l'échéance du délai de souffrance qui leur avait été accordé – le 17 février à minuit pour le franc, la Banque de France remboursant les pièces jusqu'au 17 février 2005 et les billets jusqu'au 17 février 2012.

Dans ce climat d'euro-enthousiasme, la nostalgie des anciennes monnaies nationales n'a guère eu l'occasion de s'exprimer, même de la part des Allemands, pourtant très attachés au mark, ou des Grecs, qui se flattaient de posséder la plus ancienne monnaie d'Europe avec la drachme. Le passage à l'euro s'est même déroulé sans actes de banditisme notables comme des attaques de fourgons de transport de fonds ou l'apparition de contrefaçons. Il est vrai que les forces de l'ordre avaient été mobilisées et que les nouveaux billets bénéficient d'un haut degré de protection, garanti par sept « verrous » – papier teinté, hologrammes, fil métallique... – qui les rendent difficilement falsifiables.

« L'Union européenne dans vos mains »

Les autorités des pays de la zone euro pouvaient donc se féliciter des bonnes conditions de passage à la monnaie unique, exalté comme une victoire de l'Europe et une preuve de la justesse de l'orientation adoptée à Maastricht en 1992. Dénoncé parfois pour ses résonances monétaristes, le mot d'ordre de la Commission européenne, « L'euro, c'est l'Union européenne dans vos mains », a rencontré un certain écho dans les trois pays membres de l'Union mais non de la zone euro – le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède. Convaincus par les premiers pas de la monnaie unique, les Suédois semblent sur le point de se laisser convaincre et les Danois sont également tentés de réviser leur « non » à l'euro. Quant aux Britanniques, après avoir affiché un « euro-scepticisme » de rigueur, ils commenceraient à trouver quelques attraits à l'euro, qui pourraient faire pencher la balance en sa faveur lors du référendum que prévoit d'organiser dans les deux ans à venir le gouvernement de Tony Blair.