Les impôts à la baisse
Le 31 août, le ministre des Finances, Laurent Fabius, dévoile les détails d'une audacieuse réforme fiscale s'appuyant sur des baisses d'impôts de 120 milliards de francs sur la période 2001-2003. Mais le gouvernement, qui comptait sur la popularité de ces mesures pour faire oublier les rates du plan Matignon pour la Corse à l'origine du départ la veille de Jean-Pierre Chevènement, en sera pour ses frais.
Appelé auprès de lui par Lionel Jospin à la faveur d'un important remaniement ministériel le 27 mars, Laurent Fabius impose sa marque au gouvernement cinq mois plus tard en annonçant un plan ambitieux de baisse des impôts sur trois ans. La fameuse « cagnotte » du Trésor public – dont le montant nébuleux avait prêté à des spéculations qui avaient coûté son portefeuille à son prédécesseur, Christian Sautter – a donc accouché d'une véritable réforme fiscale dont L. Fabius avait fait son cheval de bataille, au risque de passer à gauche pour un cheval de Troie du libéralisme. Le débat sur l'utilisation des surplus de recettes générés par la croissance n'avait-il pas souligné en effet l'urgence d'une réforme en profondeur qui permettrait de mieux partager les fruits de cette croissance constante annoncée « supérieure à 3 % » en 2001 et d'en « redonner les dividendes fiscaux » aux Français ? Entre-temps, le 28 juin, le conseil des impôts, présidé par Pierre Joxe, rendait public un rapport préconisant une importante réforme de la fiscalité des revenus dans le sens de l'allégement. Ménageant l'effet d'annonce, la réforme proposée le 28 juillet au Premier ministre par son ministre de l'Économie et des Finances, qui en dévoilait le contenu le 31 août, entendait donc frapper une opinion sensible aux arguments de l'opposition, et au tout premier chef de Jacques Chirac, reprochant son immobilisme et sa frilosité, en matière fiscale notamment, au gouvernement de M. Jospin.
Cent vingt milliards de francs
Dans la forme, L. Fabius a sans doute gagné son pari, ne serait-ce qu'en brisant le tabou tenace, à gauche, d'une baisse générale des impôts dont le principe a toujours été revendiqué comme une propriété exclusive par la droite. Spectaculaire, la réforme fiscale l'est aussi par les chiffres, puisque la baisse des impôts porte sur un montant global de 120 milliards de francs sur la période 2001-2003, dont 45 millions de francs au titre de l'impôt sur le revenu. La réforme Fabius, dont les mesures nouvelles permettront des allégements de près de 200 milliards de francs en 2000-2003, n'aurait donc rien à envier à celle engagée par Gerhard Schröder en Allemagne, où la baisse des impôts doit certes atteindre 290 milliards de francs, mais sur une période de sept ans (1998-2005). Dès 2001, les baisses devraient atteindre près de 60 milliards, dont près de 20 milliards au titre de l'impôt sur le revenu.
Générale, la baisse devrait concerner tous les taux de l'impôt sur les revenus, y compris le taux supérieur, le plus litigieux, qui passe de 54 % à 52,5 %, et diminue donc dans des proportions moindres que les tranches basses du barème, dont la baisse est de l'ordre de 3 points sur trois ans. La CSG sur les bas salaires sera fortement abaissée voire abolie pour les smicards. Ce dispositif en faveur des ménages s'assortit de mesures ménageant les automobilistes, la vignette automobile étant purement et simplement supprimée, tandis que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) est révisée à la baisse dans un contexte marqué par la hausse des coure du pétrole génératrice de tensions sociales. Moins prodigue pour ce qui concerne les entreprises, la réforme prévoit néanmoins la suppression de la surtaxe de 10 % sur l'impôt sur les sociétés (instaurée par Alain Juppé), une mesure qui profitera surtout aux entreprises moyennes.
Des réactions mitigées
Censée satisfaire tous les contribuables, même les plus gros dont M. Fabius a baissé le taux d'imposition en dépit des conseils de ses experts, cette réforme de la fiscalité qui entend réduire la fameuse « trappe à la pauvreté » en épargnant les plus bas revenus est diversement appréciée dans la classe politique. Loin de saluer l'audace fiscale de l'auteur de la réforme, l'opposition cherche à en relativiser l'ampleur en la resituant dans le cadre plus étroit du projet de loi de finances pour 2001 que M. Fabius devait présenter quelques jours plus tard et dont elle dénonce les dépenses publiques excessives que les baisses d'impôts ne sauraient masquer.