Dès l'annonce des résultats, Joaquin Lavin a reconnu sa défaite et s'est déclaré prêt à se mettre « à la disposition du nouveau gouvernement pour consolider l'unité des Chiliens ». Le temps n'est plus où des pans entiers de la société chilienne refusaient de reconnaître la légitimité du président Salvador Allende, pourtant régulièrement élu. Les tensions idéologiques, tant à l'échelon du continent qu'à celui du pays, se sont aplanies. Le socialisme chilien, en premier lieu, n'est plus le même en 2000 qu'en 1970. « J'ai été un partisan d'Allende, ce dont je suis fier, a déclaré Ricardo Lagos. Mais mon monde est différent de celui d'Allende. » Politicien pragmatique et partisan du consensus, ce socialiste modéré, que les profondes injustices sociales régnant dans son pays préoccupent vivement, se définit avant tout comme social-démocrate. Ricardo Lagos continuera-t-il « à diriger le pays [...] en accord avec la droite », comme les communistes accusent la coalition au pouvoir de l'avoir fait au cours des dix dernières années ?
Marc Méry
Ricardo Lagos, l'opposant à Pinochet
C'est certainement les fonctions de président de l'Alliance démocratique, coalition regroupant la plupart des partis hostiles à la dictature, durant les années 1980, qui caractérisent le mieux le parcours de Ricardo Lagos. Principal opposant au général Augusto Pinochet, l'homme qui accède à la présidence chilienne à soixante et un ans est l'un des premiers artisans du retour de la démocratie dans son pays, en 1990. Cet avocat, par ailleurs diplômé en économie d'une université américaine, n'était pas ministre du gouvernement d'unité populaire de Salvador Allende, mais simple conseiller de ce dernier. Après le coup d'État de septembre 1973, il était parti enseigner aux États-Unis puis travailler aux Nations unies avant de rentrer dans son pays pour prendre la tête de l'opposition socialiste lorsque la junte a de nouveau autorisé l'activité des partis. Sa notoriété politique, il la doit à la ferme injonction de quitter le pouvoir qu'il avait adressée au général Pinochet lors d'une intervention télévisée en avril 1988. En octobre de la même année, le dictateur perdait le plébiscite qui devait prolonger son mandat jusqu'en 1997, et auquel les socialistes avaient appelé à participer. L'année suivante, Ricardo Lagos avait œuvré au rapprochement des socialistes avec les démocrates-chrétiens – pourtant hostiles au régime de Salvador Allende – au sein de la Concertation démocratique dont le candidat devait remporter l'élection présidentielle de décembre 1989. Ministre de l'Éducation du président Patricio Aylwin, il avait été nommé ministre des Travaux publics par son successeur, le président sortant Eduardo Frei.