Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Le retrait israélien du Liban-Sud

Alors que l'opération de retrait israélien du Liban-Sud, étrangement baptisée « Crépuscule », devait s'organiser progressivement jusqu'à la date butoir du 7 juillet, le Premier ministre israélien Ehoud Barak annonce dès le mardi 23 mai un retrait anticipé et un redéploiement prochain à la frontière internationale. Ce faisant, il espère influer sur la Syrie en la forçant à s'engager plus fermement dans le processus de paix. Ce départ précipité de la zone de 850 km2 occupée depuis 1978 n'est pas sans conséquences.

On parle alors de « piège », de « débâcle » pour qualifier l'effondrement de l'ALS et de « victoire » du Hezbollah, qui profite des désertions pour s'engouffrer dans la brèche et crée ainsi un dangereux précédent. Tous les yeux sont rivés sur la Syrie, dont on attend la réaction. Pour la première fois une simple milice a réussi à faire plier la plus importante puissance régionale. Le Sud-Liban devient en quarante-huit heures le « laboratoire expérimental » du conflit israélo-arabe.

Un retrait prévu depuis vingt-deux ans

En 1978, la résolution 425 des Nations unies, adoptée par le Conseil de sécurité à la suite de l'incursion militaire israélienne au Liban Sud, exigeait déjà de l'État hébreu qu'il cesse « immédiatement son action militaire contre l'intégrité territoriale du Liban » et retire « ses forces de tout le territoire libanais ». Ce n'est qu'en 1998 qu'Israël accepte de reconnaître le texte, à condition que ses modalités d'application soient discutées. Personne sur le terrain ne s'était donc engagé à faire respecter cette échéance.

En réalité, à l'exception des populations civiles des deux côtés de la frontière, bon nombre des acteurs de la région avaient finalement fini par tirer profit de ce statu quo. Les Israéliens y voyaient un double intérêt : stratégique d'abord, avec cette « zone de sécurité » de 850 km2, bon rempart contre les incursions terroristes sur leur territoire, et politique ensuite, Israël espérant exercer ainsi un droit de regard sur les affaires intérieures du Liban. La zone représentait de surcroît un poumon économique non négligeable pour les entreprises du nord d'Israël et un important vivier de main-d'œuvre bon marché. De même, la Syrie tirait également son épingle du jeu en renforçant le poids de sa tutelle sur le voisin libanais. Enfin, le pays du Cèdre lui-même profitait de la situation en instrumentalisant l'occupation afin de renforcer le sentiment national autour de l'idée d'intégrité territoriale. Quant à la communauté internationale, hantée par le bourbier libanais, elle avait réussi à imposer le principe de guerre limitée depuis 1996 mais ne tenait absolument pas à un retrait précipité.

Du projet initial d'Ehoud Barak, il est finalement resté peu de chose. Tsahal devait progressivement quitter la zone pour la laisser aux mains de l'Armée du Liban-Sud (ALS), cette milice de 2 500 hommes créée en 1976 pour lui prêter main forte. L'ONU, selon ce scénario, aurait ainsi pu déployer ses hommes (une FINUL renforcée) afin de sécuriser la frontière entre les deux pays. Mais dès le début du mois de mai, les membres de l'ALS, conscients qu'ils n'ont plus vraiment d'avenir dans la région, commencent à abandonner leurs postes et renoncent à leur rôle de « rempart ».

L'effet de surprise

Le Hezbollah, mouvement chiite créé en 1982 pour résister à l'occupation, ne peut que profiter de ce flou, ce qu'il fait en organisant une « offensive pacifique » et en encadrant le retour des villageois libanais sur leurs terres. En une journée, il réussit à contrôler la région de Métoula à Kyriat Chmoneh, surnommée « le doigt de Galilée ». Sans armes, drapeaux à la main, il entre dans les villages avec les civils en acculant les miliciens de l'ALS à la reddition et à la fuite. Le journal le Monde, dans son édition du 24 mai, parle très justement d'« auto-libération de la zone dite de sécurité occupée ». Les Israéliens accélèrent le repli qui se fait finalement en quarante-huit heures dans la nuit du 23 au 24 mai. Au petit matin, l'armée a fermé la porte 93 après avoir fait exploser les installations de son ancien poste clé, le château de Beaufort. Pour le Premier ministre israélien, dont la position politique est des plus difficiles sur le plan interne (menaces d'éclatement de la coalition et chute dans les sondages), les justifications sont tout autres. Balayant l'idée qu'il ne fait que respecter un engagement électoral, il souligne en fataliste : « le mythe d'une zone de sécurité a vécu », pour lui le bilan trop lourd en vies humaines a pesé : « Nous ne partons pas d'un jardin de roses, le résultat de notre présence là-bas ce sont 1 100 tombes. » Cette décision n'est pas allée sans polémiques internes, l'état-major ayant été apparemment hostile depuis le départ à une telle décision unilatérale du Cabinet. Elle intervient en outre dans un contexte de tensions en Cisjordanie en pleine célébration de la naqba, qui commémore l'exil des Palestiniens en 1948 au lendemain de la création de l'État d'Israël.