Quand Van de Velde proposait une bibliothèque, il envisageait l'extension de son graphisme jusqu'au dessin des ex-libris. Un jeu sur différentes échelles et différents supports que l'on retrouve trop peu ou trop démantelé dans le dispositif de l'exposition. La première salle où trône le bureau de Van de Velde est cernée de vitrines dans lesquelles se trouvent certes des exemples d'art bibliophile, mais empruntés à d'autres artistes – ce qui laisse peu entendre cette notion capitale de continuité. Plus loin dans l'exposition, on retrouve des exemples de recherches graphiques liées au monde du livre (le livre d'enfant notamment), mais là encore présentés sous le seul angle iconographique. Les liens ne sont pas assez lisibles pour bien comprendre le principe organique de la totalité. Tout s'explique quand on sait que l'exposition a été réalisée par les différents départements du musée d'Orsay qui semblent avoir agi de façon peu concertée, chacun remplissant ses mètres de cimaises, sans trop se soucier des voisinages et de certaines juxtapositions. Particulièrement intempestive, la présence des grands dessins d'architecture type « Beaux-Arts » ou la surabondance des photographies regroupées par grandes mouvances stylistiques (réalisme, symbolisme, pictorialisme...).

La synthèse des arts ne se traduit pas seulement dans l'union des techniques mais aussi dans celle des individus. C'est ce que tente de montrer l'exposition en proposant un regard sur les phalanstères artistiques du passage du siècle. La section s'intitule « Groupes, colonies et associations d'artistes ». Elle présente les expériences communautaires de Glasgow, Darmstadt ou Hambourg. Quelques dessins d'architecture, quelques meubles présentent une vision trop succincte de ces regroupements d'artistes et d'artisans au service d'une diffusion plus élargie de l'art moderne. Il aurait fallu là encore montrer des ensembles. Seuls quelques exemples, très lapidaires, illustrent l'activité de chacune de ses communautés. Paradoxalement, les arts décoratifs, pourtant une des manifestations majeures de l'esprit du temps, sont plutôt sacrifiés : aucun meuble d'Hoffmann ou de Guimard, deux pour Galle, un seul guéridon pour Majorelle, une chaise seulement pour Mackintosh ou Riemerschmied, un fauteuil pour l'Art nouveau Bing ou pour Olbrich. Sept objets pour représenter la Wiener Werkstätte (dont un seul meuble et un seul siège tous deux provenant du musée d'Orsay), quatre seulement pour les Glasgow Four, six pour Gaudi, le mieux représenté. On s'étonne de grands absents comme Horta ou Pancock ; on regrette de voir Endell ou Obrist simplement représentés par une illustration ou une petite maquette. On se félicite, en revanche, de la diversité des références aux traditions nationales, notamment celles des pays scandinaves, qui a ici la part belle si on la compare à l'absence de la Russie par exemple. L'influence des artisanats traditionnels est très présente, plus marquante que l'impact des nouvelles techniques industrielles.

L'esprit du temps et la nostalgie de l'âge d'or

L'exposition consacre sa troisième et dernière partie à l'esprit « fin de siècle » et aux espoirs d'un nouvel âge. Il y est donc question de psychologie collective, une discipline qui se met justement en place à cette époque. L'entre-deux-siècles se dévoile dans ses obsessions et ses contradictions : angoisse, désenchantement devant un monde sans horizon, une humanité sans transcendance, livrée aux fatalités biologiques et sociales ; volonté de régénération ou de nouvelle alliance avec la nature mère. Aurore et crépuscule. Une trop brève section consacrée à la « méditation sur la vie » ouvre cette partie. L'Angoisse de Munch nous place d'emblée en face des inquiétudes de l'époque, mais le fait de façon trop rapide. À ses côtés, un tableau scandinave sur la régénération naturiste qui raconte un récit trop elliptique. Suit une vitrine consacrée au livre illustré d'enfant qui semble difficilement trouver sa place ici, alors que se prépare une salle dédiée à « l'inflation des images féminines ». L'imagerie se fait alors plus inquiétante, plus envoûtante aussi. De très belles œuvres Art nouveau, empruntées le plus souvent aux arts appliqués. C'est le cas notamment du curieux bronze de Lalique, la Femme-Araignée (1899), qui faisait l'objet de l'affiche de l'exposition. Le manteau d'une jeune femme se répand en linéaments qui forment la toile. La femme arachnéenne est bien sûr l'une des nombreuses déclinaisons de la femme fatale, telle que l'Art nouveau la représente à un moment où les signes d'une future libération féminine nourrissent le débat public.