« La musique de jazz, c'est comme les bananes, ça se consomme sur place. » Sartre avait raison pour le jazz. Il avait aussi raison pour les débats qui se consomment à chaud. Il suffisait de lire ou de relire le numéro d'avril 1980 de Libération, judicieusement réédité en fac-similé par le quotidien le jour de l'anniversaire de la mort de Sartre, pour prendre la mesure du temps qui passe. Les hourras des sartriens avait couvert le message de Sartre. Cette gentille foire aux vanités aura tout de même donné envie à quelques lecteurs de se glisser à nouveau dans la prose d'un philosophe pas comme les autres qui confiait en 1972 à un éditeur américain sa manière de vivre. L'entretien, publié pour la première fois en français en 1982 dans le Magazine littéraire, fut proposé de nouveau aux lecteurs en février 2000 : « Pour moi, la philosophie c'est tout. C'est comme on vit. On vit en philosophie. Je vis en philosophe ; ça ne veut pas dire que je vive en bon philosophe, mais mes perceptions sont des perceptions philosophiques, même quand je regarde cette lampe ou quand je vous regarde. Par conséquent, c'est une manière de vivre et je trouve qu'on devrait l'enseigner le plus vite possible, sans grands mots. » Sans grands mots. La formule est juste. C'est en grande partie tout le contraire qui fut fait pour célébrer le vingtième anniversaire de cet écrivain qui, en dépit d'excès insupportables, avait le sens de la liberté. En sera-t-il de même dans cinq ans ? Ce sera alors le centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre.

Le 18e colloque ouvert

Sartre est devenu un concept que l'on confronte à d'autres concepts : Sartre/Beauvoir, Sartre/Foucault, Sartre/Bourdieu. Ce fut l'un des axes forts du 18e « colloque ouvert » organisé par le Groupe d'études sartriennes en juin 2000, à la Sorbonne. BHL fut amené à faire le bilan de ces semaines de frénésie sartrophile. Un mois plus tôt, dans le Monde, Michel Contat, l'un des éditeurs des œuvres romanesques de Sartre dans La pléiade, avait habilement résumé la situation en rappelant l'« entartage » dont BHL fut victime à Bruxelles : « Ce n'est qu'un petit symptôme du climat passionnel qui a accompagné le retour de Sartre sur la scène médiatique, par Bernard-Henri Lévy interposé. Il a eu des échos dans toute l'Europe de l'Ouest, mais pas encore aux États-Unis, où les médias ignorent BHL et ont oublié Sartre depuis sa mort. » Ni avec Sartre ni sans lui, expliquait en conclusion Michel-Antoine Burnier dans l'Adieu à Sartre, un essai destiné à réactualiser son Testament de Sartre paru dix-huit ans plus tôt. Onze ans plus tard, Bernard Fauconnier quant à lui republiait son savoureux l'Être et le Géant, le récit de l'entrevue imaginaire entre Sartre et De Gaulle. Une manière pour lui de rappeler l'histoire commune vécue par ces deux figures qui dominèrent l'après-guerre.

Laurent Lemire
Journaliste