À trop vouloir plaider l'innocence des colonisateurs portugais, les promoteurs de la célébration ont fait voler en éclats le mythe de la démocratie raciale élaboré par le sociologue Gilberto Freyre dans les années 1930 et adopté comme ciment idéologique de la classe dominante brésilienne. Les descendants des Indiens et des Noirs se sont ligués pour corriger la version officielle de l'histoire du Brésil. « Les Portugais ont envahi le Brésil et sont responsables de l'extermination des indigènes », affirment-ils. « L'esclavage a duré ici plus qu'en aucune autre terre du Nouveau Monde ; il n'a été aboli qu'en 1888. » À cette occasion a resurgi le litige relatif au fait que le décret d'abolition n'a jamais été accompagné d'une redistribution de la terre qui seule aurait pu permettre aux anciens esclaves de survivre dans la dignité.

Animés par une volonté d'unité intertribale, les Indiens du Brésil ont pour la première fois de l'histoire appelé à la tenue d'une conférence indigène, à Porto Seguro même, afin d'exprimer leur profond désaccord. « Nous n'avons rien à fêter, a dit le président du conseil des caciques du peuple Pataxo, Nailton Muniz, lors d'une conférence de presse. Nous devons seulement pleurer. Pleurer ensemble et ensuite lutter. »

Quelque 3 000 Indiens, qui représentaient 130 des 246 nations indigènes du pays, ont répondu à cet appel et se sont réunis à 15 km de Porto Seguro, sur la plage de Coroa Vermelho, là où Cabral et ses marins ont rencontré leurs ancêtres il y a cinq siècles. Les indigènes étaient alors au nombre de quatre millions, répartis en petites tribus sur les côtes de l'Atlantique et les rivages de l'Amazone. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 350 000 et ne représentent que 0,2 % de la population.

Devant les caméras de TV Globo, parés de plumes et couverts de peintures corporelles, leurs porte-parole ont dénoncé « les cinq cents ans de génocide écoulés ». Les chefs des nations Xavante et Mehinaku ont de leur côté adressé une requête au président brésilien, Fernando Henrique Cardoso, et à son homologue portugais, Jorge Sampaio, dans laquelle ils se plaignent de leurs conditions de vie actuelles. « Nous sommes ici dans toute la vérité de notre tradition. Sans rancœur, sans colère. Mais nous ne célébrons rien. Ceci n'est pas notre commémoration », ont conclu les chefs indiens. Parmi les participants réunis à Coroa Vermelho figuraient des délégations des nations Tupinambas, Guaranis, Pataxos, Kaiapos, Jurunas, Ianomanis, Xavantes, Tucuna et Mehinakus.

À la veille des célébrations, les Pataxos rescapés de la colonisation et des exterminations pratiquées jusqu'à nos jours ont entrepris d'investir et d'occuper plusieurs fermes situées autour du monte Pascoal afin d'exiger l'attribution à leur nation d'une nouvelle réserve. Ce mouvement de récupération des terres indiennes s'inspire des actions menées depuis plusieurs années dans le pays par les paysans sans terre.

À quelques mètres de la croix et de la plaque commémorative du mouillage de Cabral, à l'embouchure du fleuve Cahy, un propriétaire blanc de Bela Vista a décidé de résister aux 80 Pataxos venus occuper sa ferme. Pour les déloger de ses pelouses où ils ont commencé à élever tentes et cabanes, le propriétaire, Victor Dequeche, a loué les services de pistoleros, des tueurs à gages, à l'instar des propriétaires des latifundia.

Une urne funéraire contenant des ossements avait été retrouvée sur la terre de cette ferme. Cette découverte atteste qu'un cimetière pataxo a bien existé en cet endroit et par conséquent que cette terre a appartenu aux ancêtres des Pataxos. Exaspéré par la présence des squatters, le propriétaire a fait tirer des coups de feu sur les familles indiennes puis a mis le feu à leur campement.

Il y eut plus de peur que de mal. Signes que les temps ont changé, les pistoleros, d'anciens policiers, n'ont pas cherché à tuer. Quant à leur commanditaire, il n'avait pas prévu l'arrivée massive par hélicoptères de journalistes et de policiers alertés par les associations de défense des Indiens. Autrefois, ce genre d'incident n'intéressait personne. Les pistoleros pouvaient assassiner les Indiens en toute impunité et dans la plus grande indifférence.