La commission Mattéoli sur la spoliation des Juifs
Le 25 janvier 1997, le Premier ministre Alain Juppé annonçait au cours d'un dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIJF) la création d'une commission chargée d'étudier, d'une part, les conditions de la spoliation des Juifs par l'occupant et par le gouvernement de Vichy de 1940 à 1944, et, d'autre part, les modalités de la restitution de ces biens depuis la Libération ainsi que le sort de ceux encore détenus par l'État. Plus de deux ans après sa création, la commission a pu rendre ses conclusions, contribuant à lever le voile sur un aspect mal connu de la Shoah : sa dimension économique.
La mission sur la spoliation « des personnes considérées comme juives par les autorités de Vichy » revient sur le contexte historique et juridique des années 1940-1944. Entre 1940 et 1941, le gouvernement de Vichy établit les lois antijuives (109 lois et décrets). Dans ce corpus de textes discriminatoires, la loi du 22 juillet 1941 vise à « éliminer l'influence des juifs de l'économie nationale » et à déployer tous les ressorts administratifs pour dépouiller les Juifs de leurs biens. Les institutions financières devanceront parfois les gouvernants, puisqu'une circulaire bancaire datée de mai 1941 organise le blocage des comptes des clients juifs.
Au service de la justice
Soixante ans après les faits, un sentiment d'urgence émerge au niveau international. La commission présidée par M. Jean Mattéoli, ancien résistant déporté et président du Conseil économique et social, est créée l'année même de la conférence de New York (mars 1997), consacrée à cette question. À l'occasion de ce rendez-vous international, une plainte est déposée par plus d'un millier de rescapés de l'Holocauste ou par leurs descendants contre 14 États, dont la France.
Outre son président, la commission est composée de personnalités diverses – Adolphe Steg, président de l'Alliance israélite universelle (vice-président), Jean Kahn, président du consistoire central – et d'historiens qui travaillent chacun sur un domaine spécifique, Antoine Prost sur l'aryanisation, Annette Wieviorka sur la spoliation mobilière, mais aussi Jean Favier ou Serge Klarsfeld. Elle est par ailleurs épaulée par deux organisations : le Comité Saint-Geours, du nom de son président, ancien P-DG de la Commission des opérations de Bourse (COB), qui travaille avec les banques, et le Comité Guggenheim, présidé par Jacques-Henri Guggenheim, ex-contrôleur général de l'UAP, qui négocie avec les compagnies d'assurances.
L'objectif est clair : identifier les principales formes de spoliation en regard des administrations concernées, établir un bilan chiffré et dresser celui des restitutions. Le travail s'effectue à partir de « kilomètres linéaires » d'archives, souvent dispersées et parcellaires, versées par les ministères, dont celui de la Culture, la Préfecture de police de Paris, la Caisse des dépôts et consignations, les banques. La commission a pu également avoir accès aux 6 000 cartons du Commissariat général aux questions juives ainsi qu'aux papiers du camp de Drancy, par lequel ont transité 67 000 des 75 000 déportés juifs de France. L'étude de la spoliation « multiforme et juridiquement complexe » est déclinée en quatre chantiers de recherche : fondée sur la loi du 22 juillet 1941, l'aryanisation économique avait pour principal pivot la Caisse des dépôts. Les biens juifs placés dès 1941 sous la tutelle d'administrateurs étaient gérés, vendus et liquidés par ces derniers. Les produits des cessions étaient consignés à la Caisse qui s'en répartissait le montant avec le Commissariat général aux questions juives (90 % pour la CDC). Les Juifs étaient ainsi dépossédés de leurs entreprises, de leurs commerces et immeubles ou de leurs actions. 62 460 dossiers d'aryanisation ont été recensés, ce qui concerne à peu près 90 000 personnes. L'amende du milliard est la seconde forme de spoliation. En réponse à des attentats perpétrés contre l'armée allemande, l'occupant avait imposé aux Juifs une amende de un milliard de francs (1,7 milliard de francs actuels), prélevée sur les comptes placés sous administration provisoire depuis décembre 1941. Celle-ci fut définitivement payée en 1942 en quatre versements. Le troisième et le quatrième volet regroupent les saisies des objets, des bijoux et de l'or (notamment les 2,2 tonnes d'or pillées par les nazis) sur les internés et le pillage des meubles et des œuvres d'art.
Des rapports d'étape
C'est le 12 janvier 1998 que la commission Mattéoli a remis son premier rapport d'étape au chef du gouvernement Lionel Jospin qui venait de la reconduire dans ses fonctions. Ce document apporte les premières indications chiffrées. S'agissant dé l'aryanisation, la commission a procédé par échantillonnage (767 cas représentant 1 069 personnes) et conclut que « 31 % des biens ont été aryanisés, il ne s'est rien passé pour 28 % et le sort des 31 % d'autres est encore inconnu ». Concernant les œuvres d'art, elle a déduit que, sur les 100 000 œuvres répertoriées, 61 257 ont été restituées à la Libération, 45 441 par la suite, tandis que plus de 2 000 œuvres non réclamées étaient placées dans les musées. On a d'ailleurs obtenu de la Direction des musées de France la publication d'un catalogue des œuvres d'art non encore rendues. En ce qui concerne la restitution, sur laquelle les archives sont beaucoup plus lacunaires, les experts ont enregistré plusieurs résultats : une partie non négligeable de l'amende du milliard a été restituée tandis que l'on ignore encore dans 85 % des cas de biens aryanisés si la restitution a eu lieu ou non.