La guerre du bœuf britannique
La transmissibilité à l'homme de la « maladie de la vache folle » ayant été établie, la Commission européenne décide, en mars 1996, un embargo sur la viande de bœuf britannique. Le 14 juillet 1999, jugeant que Londres avait respecté les engagements du sommet européen de Florence visant à prévenir le risque infectieux, elle décide de lever l'embargo à compter du 1er août. Même si cette levée ne se fait pas sans conditions (seule la viande désossée provenant de bêtes âgées de six à trente mois et dont la mère a survécu au moins six mois après la naissance est acceptée), la France refuse de se conformer à cette décision.
C'est un rapport de la toute nouvelle Agence française de sécurité sanitaire des aliments, créée en mars 1999 (AFSSA), qui met le feu aux poudres. Ce document, daté de septembre 1999, est rédigé sous la responsabilité de Dominique Dormont, spécialiste des maladie à prions (du nom du vecteur de l'infection, le prion, protéine difficilement détectable) et membre du « groupe ad hoc » sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, nom scientifique de la maladie de la vache folle). Il souligne que « le risque que le Royaume Uni exporte des viandes de bovins contaminées ne peut être totalement maîtrisé ».
Les experts insistent notamment sur le fait que, dans ce pays voisin d'outre-Manche, l'épidémie ne décroît pas aussi vite que prévu et que les risques de contamination des muscles, jamais pris en compte jusqu'alors, ne sont pas à négliger. Dès le 1er octobre, le gouvernement français se refuse à lever l'embargo comme le demande la Commission. Il ne comprend pas les réticences de Bruxelles à reconsidérer la part de risque depuis l'apparition d'un nouveau test permettant de détecter le prion dans le cerveau des animaux abattus.
Il s'appuie également sur des chiffres jugés particulièrement inquiétants : 175 000 cas d'encéphalopathie spongiforme bovine en Grande-Bretagne depuis 1986, 200 cas par mois cette année soit deux fois plus qu'en France, 47 personnes victimes du « variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob » (maladie humaine corrélée à l'épidémie bovine) chez les Anglais, deux cas en France.
Des enjeux politiques
Derrière ce dossier épineux de sécurité alimentaire se cachent des enjeux politiques évidents, alors que s'achèvent en France les manifestations des agriculteurs contre l'empire McDonald. Depuis le procès du sang contaminé, la prudence est érigée en principe de gouvernement et la « précaution » devient un incontournable de la vie politique française. Moratoire sur les OGM (organismes génétiquement modifiés), vigilance au lendemain de la crise belge du poulet à la dioxine, bouteilles de Coca-Cola retirées de la vente, la position française sur le bœuf britannique s'inscrit dans une logique plus globale, avec toujours cette sempiternelle question : « Quel risque est acceptable, sachant que le risque 0 en matière sanitaire n'existe pas ? » Pour la Commission européenne de Romano Prodi, les enjeux sont à la fois politiques (avec la menace d'une nouvelle vague d'euroscepticisme en Grande-Bretagne), économiques (il en va de la préservation du Marché unique) et sanitaires.
De l'engrenage du blocage...
À la suite du refus français de lever l'embargo, les 16 experts indépendants du « comité scientifique directeur » (CSD), instance européenne, se réunissent pour trancher et débattre du bien fondé des arguments français. Le vendredi 29 octobre, le comité les rejette tous en bloc, donnant raison à la Grande-Bretagne et estimant que, dans ce pays, les cas d'ESB continuent bien de décroître. Le communiqué spécifie que « la sécurité de la viande britannique est comparable à celle des autres pays européens ». Devant ce revers, la France doit choisir une nouvelle ligne : maintien de l'embargo en s'attirant les foudres de Bruxelles, levée immédiate de celui-ci jugée assez peu probable, levée sous conditions. Dans tous les cas, « la solution sera scientifique et politique », selon les mots du ministre français de l'Agriculture, Jean Glavany. En effet, si les experts donnent leur avis éclairé, ce sont toujours les politiques qui doivent trancher. La Commission laisse à la France jusqu'au 11 novembre pour réagir, mais celle-ci maintient ses positions, jugeant que les conditions sanitaires ne sont toujours pas réunies. Le blocage se fait sur 5 points : procédures de contrôle jugées insuffisantes, généralisation des nouveaux tests, question des produits transformés mais surtout traçabilité des animaux et étiquetage des viandes exportées. À l'image de leurs voisins, les Länder allemands refusent également la levée de l'embargo et plaident pour l'« amélioration et l'élargissement des tests ». Cela dit, la portée symbolique de cet acte apparaît moins grande et la lenteur des procédures administratives dans l'État fédéral est prise en compte.