L'opposition serbe se cherche toujours
La capitulation de Milosevic devant les troupes de l'OTAN n'a pas provoqué le sursaut populaire attendu par l'Occident comme par l'opposition serbe. Toujours divisée, celle-ci peine à mobiliser la rue, plutôt clairsemée au grand rendez-vous du 19 août. Si elle a la faveur des Occidentaux, qui conditionnent l'aide à Belgrade au départ de Milosevic, l'opposition ne peut se permettre de céder à leurs exigences, au risque de passer pour leur complice aux yeux de l'opinion.
Le dénouement de la guerre du Kosovo, qui s'est soldée par la défaite des forces yougoslaves face à l'armada de l'OTAN, a pu donner l'impression que les jours du régime de Belgrade étaient comptés. Inculpé avec ses proches collaborateurs de crimes contre l'humanité par le TPI et interdit de séjour hors des frontières de la Yougoslavie, Slobodan Milosevic règne sur un pays dont l'économie a été détruite à 50 % par les bombardements, humilié par l'amputation d'une province considérée comme le berceau de la nation serbe, et rendu exsangue en raison de l'embargo pétrolier et aérien imposé par la communauté internationale. Malgré tous les efforts de la propagande, les autorités de Belgrade sont bien en peine de présenter comme une victoire le retrait à partir du 11 juin des troupes serbes du Kosovo où elles sont remplacées par celles de l'OTAN au lendemain de l'armistice signé par les généraux de Milosevic, un armistice qui ressemble fort à une capitulation. Mis au ban de la communauté internationale, Milosevic ne peut guère compter que sur le soutien symbolique de la Russie et de la Chine, tandis que les États-Unis et l'Union européenne, à l'initiative d'un programme de reconstruction des Balkans, conditionnent à son départ toute aide à la Yougoslavie. Lâché par l'Église serbe orthodoxe depuis le 15 juin, défié par le Monténégro qui veut quitter la Fédération yougoslave, contesté par certains officiers, le régime de Milosevic est apparemment à genoux et pourrait, à en croire certains pronostics occidentaux, conclure son cycle de guerres et de défaites inauguré dix ans plus tôt par une dernière guerre, civile celle-là, qui le contraindrait à céder sa place à des personnalités plus soucieuses de démocratie.
Un scénario qui ne tient cependant compte ni de l'aptitude de Milosevic à relever les défis de l'adversité, en s'appuyant sur une armée restée loyale à force de purges et dont les bombardements de l'OTAN n'ont que partiellement affecté la capacité de nuisance, ni des sempiternelles divisions de l'opposition qui ne peut mobiliser une opinion en plein désarroi. Le contexte politique pourtant semblait propice à recréer la dynamique des manifestations de masse de 1996-1997 qui avaient contraint le régime à reconnaître le résultat des élections locales remportées par l'opposition à Belgrade et dans de nombreuses autres villes. C'était au lendemain des accords de Dayton qui entérinaient la perte de la Krajina par les Serbes et le maintien de la « Republika serbska » au sein de l'État bosniaque, et portaient un coup sévère au rêve de la « Grande Serbie ».
Cette fois, c'est la petite Yougoslavie qui est menacée d'éclatement avec la fronde du Monténégro et l'indépendance de fait du Kosovo, placé sous protectorat de l'OTAN. Tandis que les civils serbes fuient les représailles des Kosovars, les soldats serbes battant en retraite, de retour dans leurs villes, drainent dans leur sillage des mouvements de protestation contre Milosevic, comme à Kragujevac, théâtre d'importantes manifestations. Le mouvement s'étend à tout le pays alors que Zoran Djindjic, leader de l'Alliance pour le changement (SZP), coalition de l'opposition serbe, rentre le 4 juillet de son exil monténégrin pour préparer le grand rendez-vous de l'opposition, fixé au 19 août. Le peuple serbe y répondra avec un enthousiasme modéré : si la manifestation rassemble à Belgrade plus de 150 000 personnes qui réclament la démission de Milosevic, elle est loin de répondre aux attentes de la population comme d'une opposition qui fait une fois encore le déballage de ses rivalités.