Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

BNP-Paribas : une fusion sans effusions

Après six mois d'une violente bataille boursière mettant aux prises la Société générale, la BNP et Paribas, les autorités bancaires ont opposé leur veto le 28 août à une fusion des trois banques. En mettant hors jeu la Société générale, ce verdict a fait certes le choix de la prudence mais au détriment des ambitions françaises visant à la création d'un puissant pôle bancaire. C'est donc sans grand enthousiasme que la BNP et Paribas annoncent leur mariage sur la base d'un contrat nécessairement moins ambitieux, pour s'engager dans une fusion qui laisse l'impression d'un acte manqué.

Les fusions, devenues monnaie courante outre-Atlantique et entrées timidement dans les mœurs économiques de l'Europe, sont toujours des mariages d'argent, plus rarement des mariages d'amour... Novice en ce domaine, le monde bancaire français en a fait l'amère expérience avec la fusion annoncée sans enthousiasme de la BNP et de Paribas, après six mois d'une violente guérilla financière et boursière qui a évincé la Société générale, à l'initiative, pourtant, de la procédure de mariage. Le feuilleton bancaire au scénario chaotique, qui a tenu la France en haleine pendant tout l'été, connaîtra un dénouement pour le moins imprévu et bien en deçà des espérances qu'il avait pu susciter. Ce qui devait être un roman à l'eau de rose virera au conte cruel, riche en intrigues et en trahisons, en rêves et amours déçus, laissant sur leur faim les protagonistes comme le public. Au départ, un couple bancaire sans histoire et promis à une relative prospérité, la Société générale et Paribas, très vite entraînés dans une tentative avortée de ménage à trois par un soupirant impromptu, la BNP ; à l'arrivée, un nouveau couple, un peu bancal et peu passionné, la BNP et Paribas. La morale est peut-être sauve, mais le monde bancaire français, durement éprouvé par des règlements de comptes arbitrés par les marchés financiers et accessoirement par les autorités bancaires, n'y aura sans doute pas gagné en efficacité comme en crédibilité. Au début de l'année, quand le président de la Société générale, Daniel Bouton, approche le président du directoire de Paribas, André Lévy-Lang, c'est pour lui proposer une alliance amicale, conforme à son ambition, qu'il admet mesurée, de pouvoir participer à la recomposition d'un paysage bancaire européen en pleine mutation tout en évitant d'imposer à sa banque, de taille modeste, un mariage forcé avec un établissement étranger. Bien que soucieux de son indépendance, menacée depuis quelque temps par les pressions de certains de ses gros actionnaires, comme Axa, partisan d'un rapprochement avec la BNP en raison de son insuffisante rentabilité, Paribas se résout le 1er février à accepter l'offre de mariage de la Société générale, plus respectueuse de son identité. C'est là qu'intervient la BNP, dont le président, Michel Pébereau, n'a jamais caché pour sa part son ambition de devenir le numéro un de la banque française. Déjà contrariée par plusieurs tentatives infructueuses en ce sens, l'ambition de la BNP est exacerbée par les projets d'alliance de la Société générale, avec laquelle M. Pébereau était en négociations avancées en vue d'un rapprochement.

Une double OPE

Piqué au vif dans le rôle de l'« amoureux éconduit », M. Pébereau réagit aussitôt à la surprise générale le 9 mars en lançant une double offre publique d'échange (OPE), hostile celle-là, sur la Société générale et Paribas ; il entend ainsi faire d'une pierre deux coups, en empêchant l'alliance de ses rivaux tout en donnant à sa banque la stature mondiale dont il rêve depuis longtemps. Entre le « raid et la réalité » – c'est le slogan de la Société générale –, une longue guerre boursière, qui donnera le dernier mot aux actionnaires, investisseurs institutionnels français et étrangers ou particuliers, chargés de trancher entre les projets concurrents et de départager les banques en conflit, même si l'arbitrage est confié à Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France et président du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissements (CECEI). Libéral convaincu, ce dernier laisse d'abord le champ libre aux trois banques, dont il espère qu'elles parviendront, par le dialogue, à s'unir pour former ce champion bancaire national qu'il appelle de ses vœux ; mais les positions sont inconciliables entre la Société générale, qui s'en tient à son alliance avec Paribas, et la BNP, favorable à une union à trois dont le « contrôle effectif » prête à de vives polémiques. Dépassé par l'escalade des offres, M. Trichet tente une médiation en bloquant provisoirement, par exemple, une surenchère de la Société générale sur Paribas le 21 juin, pour autoriser le 7 juillet les surenchères de la BNP sur ses rivaux. Il interviendra de façon décisive le 28 août, quelques jours après que les marchés eurent rendu leur verdict, pour opposer son veto à un mariage à trois : la BNP s'était emparée avec une confortable majorité de Paribas, mais avait échoué dans ses tentatives de contrôler la majorité du capital de la Société générale, dont elle ne pourrait détenir que 37 %. Plutôt que de prendre le risque de déstabiliser le système bancaire français en cautionnant une triple alliance constituée sur des compromis boiteux, le CECEI a choisi la prudence en mariant la BNP et Paribas, qui n'avaient aucune envie de se rapprocher, laissant la Société générale, qui était sur le point de fusionner avec Paribas et qui était convoitée par la BNP, dans la posture de l'arroseur arrosé, affaiblie, isolée et plus vulnérable encore aux offres venues de l'étranger.