Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Kosovo : le prix de la paix

Le 3 juin, après 73 jours de bombardements intensifs, Milosevic cède aux exigences de l'OTAN. La K-FOR investit la province dévastée sur les talons des soldats serbes battant en retraite, suivie par l'UÇK et des flots de réfugiés albanais. La « barbarie » a été vaincue, mais les représailles contre les Serbes montrent que le cycle de la violence n'est pas rompu. Autant que de la reconstruction de cette région des Balkans, c'est de la survie d'un Kosovo multiethnique que dépendra le bilan réel d'une guerre dont le responsable s'accroche au pouvoir dans une Serbie ruinée.

Le 28 juin 1989 à Kosovo Pole, site de la bataille du Champ des Merles où l'armée serbe avait été défaite six cents ans plus tôt par les Ottomans, un million de Serbes communiaient à une grand'messe nationaliste, répondant à l'appel de Slobodan Milosevic qui sonnait le tocsin de la revanche sur l'air de la grandeur retrouvée d'un peuple serbe « opprimé » par les Albanais, majoritaires dans cette province dès lors privée de son autonomie. C'est là que Milosevic gagnera ses galons de chef nationaliste, c'est là qu'est enclenché l'engrenage infernal qui précipitera dans la guerre les peuples de l'ex-Yougoslavie. Dix ans plus tard, et après 11 semaines de bombardements de l'OTAN qui ont contraint l'armée yougoslave à se retirer, il n'y avait guère qu'une poignée de Serbes apeurés pour marquer le 610e anniversaire de cette bataille historique qui vaut à cette province du Kosovo d'être considérée comme le berceau du peuple serbe ; renvoyant faiblement l'écho de la liturgie orthodoxe psalmodiée dans l'intimité de l'un des nombreux monastères que compte la région, une simple messe, ou plutôt un requiem pour une « grande Serbie » défunte, officiée par des prêtres qui refusent désormais, comme l'ensemble du haut clergé serbe, de soutenir Milosevic. Ce changement de décor en dit assez sur l'ampleur de cette autre défaite au Champ des Merles, qui résonne comme le chant du cygne d'un nationalisme serbe stigmatisé comme l'expression de la barbarie au cœur de l'Europe et combattu comme tel par les forces de l'OTAN.

Crimes contre l'humanité

Le 3 juin, sous la pression accrue, au Kosovo comme en Serbie, de la puissante armada occidentale, qui fait planer la menace d'une intervention terrestre, Milosevic cède sur tous les points, et même davantage, qu'il avait cru pouvoir refuser à la mi-mars à Rambouillet : le sommant d'accepter, entre autres, le retrait de toutes ses troupes du Kosovo, le déploiement d'une force internationale dominée par l'OTAN, le retour des réfugiés albanais et l'instauration d'un régime de large autonomie, le plan de paix en 12 points, présenté à Belgrade par l'émissaire européen Martti Ahtisaari et l'envoyé du Kremlin Viktor Tchernomyrdine ressemble fort à une capitulation. Déchu du statut d'interlocuteur depuis qu'il a été inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité le 27 mai par leTPI, Milosevic laisse ses militaires négocier les modalités du retrait du Kosovo des 40 000 soldats yougoslaves et de leur remplacement par 37 000 soldats de l'OTAN, répartis entre des secteurs américain, britannique, français, italien et allemand. Si quelques milliers de soldats lui étaient concédés à Rambouillet, la Serbie ne pourra plus en maintenir à terme que quelques centaines, une présence tout aussi symbolique que l'appartenance du Kosovo à la Fédération yougoslave, dont l'intégrité territoriale a été cependant réaffirmée. Seule concession des vainqueurs, d'ailleurs plus à la communauté internationale qu'à la Yougoslavie, la force de paix baptisée K-FOR est mandatée in extremis par une résolution de l'ONU, jusque-là tenue à l'écart en raison du double veto russe et chinois ; quant aux Russes, qui souhaitaient avoir un secteur indépendant dans le Kosovo, leur contribution à la paix ne leur donnera droit qu'à une participation discrète à la K-FOR, dont ils forcent d'ailleurs la main en investissant les premiers l'aéroport de Pristina.