Hommage à l'une des plus importantes donations réalisées en France par un artiste vivant, cette exposition est l'occasion de revenir sur l'évolution surprenante de l'impressionnisme au début du xxe siècle. La date initialement retenue pour l'exposition était celle, anniversaire, du 12 novembre 1998. Elle fut repoussée de quelques mois, compte tenu du projet de la grande exposition « Monet au xxe siècle » organisée par la Tate Gallery de Londres, laquelle entrait en concurrence pour l'obtention des œuvres. L'exposition réunit autour du foyer de la rotonde de l'Orangerie une soixantaine de tableaux venus de collections privées et publiques de France (Grenoble, Nantes, Paris, Saint-Étienne...) et de l'étranger (Boston, Cardiff, Chicago, Dallas, Philadelphie, Tokyo), avec comme invités d'honneur une douzaine de tableaux du musée Marmottan de Paris et le grand triptyque du musée d'Art moderne de New York. Elle constitue un moment unique, puisque l'ensemble décoratif déposé par Monet dans le musée ne peut être déplacé, les toiles étant solidaires des parois, marouflées sur la structure elliptique avec de la colle de céruse.
L'emprise du regard ou la vision panoramique
La sélection des soixante œuvres n'est pas exhaustive mais elle regroupe un ensemble suffisamment démonstratif pour illustrer la variation sur un thème, à la manière musicale d'une fugue. De 1903 à 1925, Monet peint plus de trois cents tableaux de son jardin, dont plus de quarante panneaux de grand format, à quoi il faut ajouter des dizaines de toiles détruites. L'ordre de présentation des toiles est chronologique pour dévoiler les différentes étapes conduisant Monet des œuvres de chevalet jusqu'au dispositif décoratif installé à l'Orangerie. Le cycle des Nymphéas est une recherche étalée sur le temps, avec des reprises, des retours et des jeux d'amplification, suivant un rythme de séquences et de césures identifiées par l'artiste lui-même. Si Monet a souhaité clarifier les étapes chronologiques de cette recherche, il est resté en revanche très circonspect sur le projet final de l'Orangerie, se contentant de définir les modalités techniques d'installation des toiles sans préciser le statut véritable de ce montage décoratif. Il évoque à plusieurs reprises le terme de « décorations », terme ambigu à cette époque si l'on tient compte du lourd héritage de la peinture décorative officielle ayant fleuri dans les institutions publiques de la IIIe République. À d'autres reprises, gêné lui-même par cette filiation, il emploie plutôt l'expression de « grandes machines », renvoyant plus subtilement au dispositif scénographique mis ici en place : celui du panorama. C'est en effet à la tradition visuelle du panorama qu'il faut directement rattacher le projet monumental des Nymphéas.
Le panorama est l'emblème de cette obsession de la modernité à vouloir tout comprendre et embrasser du regard. Dès les débuts du xixe siècle, les premières rotondes panoramiques font les attractions des grandes villes. On y représente des batailles héroïques ou des vues aériennes de métropoles. Chaque fois, il s'agit de concilier deux éléments contradictoires de la vue : la vision rapprochée et la vision d'ensemble. On veut tout « saisir » du regard sans faire l'économie des détails anecdotiques de chacune des parties. Voir le champ de bataille tout entier sans sacrifier les détails pittoresques de chacun des corps à corps. Pour cela, on tente de sophistiquer les « machineries ». Dès 1820, Louis Daguerre a mis au point le principe scénographique du diorama, où le spectateur, installé sur une plate-forme mobile, regarde passer devant lui des scènes dont les plans sont animés en profondeur par des jeux de lumière. L'évolution de ces « machines » prend acte des inventions de la photographie et des projections lumineuses, confirmant chaque fois la volonté d'envelopper le regard avide du spectateur dans un dispositif circulaire. C'est le cas du photorama des frères Lumière (1902) – appareil de projection complexe à multiples objectifs rotatifs, sur une toile circulaire encerclant une plate-forme mobile de 20 mètres de diamètre pouvant accueillir plus d'une centaine de personnes – ou du cyclorama, mis au point six ans plus tôt aux États-Unis – système hybride combinant panorama et projection photographique. Les murs circulaires sont peints en blanc pour accueillir des projections lumineuses faites au moyen de lanternes lumineuses suspendues au centre du plafond de la scène. Un modèle de ce genre est présenté à l'Exposition universelle de Paris de 1900, le Cinéorama de Grimoin-Sanson. Il simulait une vue aérienne prise au-dessus de la ville dans la nacelle d'un ballon. Ce n'est plus cette fois le spectateur qui bouge mais l'image elle-même qui évolue devant lui, occupant l'ensemble du champ visuel clôturé par un rideau marquant les limites de la scène, et donc de la vue.