Le centenaire de Francis Poulenc
Le 7 janvier 1999, Francis Poulenc aurait eu cent ans. Charme, élégance, désinvolture, discrétion, plaisir, humour, esprit, tels étaient les grands traits du caractère du compositeur. Le tout transparaît dans sa musique, qui n'en est pas moins emprunte de pathétique.
« Les Biches sont le portrait de Francis Poulenc », s'écriait Jean Cocteau en 1924 en appendice à son Coq et l'Arlequin : « L'œil de Poulenc chante comme une mélodie. » Pour Poulenc, renchérissait Paul Collaer, le musicologue chef d'orchestre belge ; « il n'existe pas de problème formel à résoudre ni de langage à trouver. Doué d'un sens mélodique exceptionnellement riche, il chante comme Monsieur Jourdain fait de la prose, sans y penser. Mais sa mélodie est toujours trouvée, inventée, spécialement bien conçue pour la voix ; elle est naturelle et originale. À côté de la voix humaine, l'instrument favori de Poulenc est le piano. Son écriture pianistique est aisée et éblouissante comme celle de Chopin... »
Précocité
Francis Poulenc avait joué son premier piano à l'âge de cinq ans, à huit il s'enthousiasmait pour Danse sacrée et danse profane de Debussy, à onze il s'émerveillait du Voyage d'hiver de Schubert, à quinze ce fut le choc du Sacre du printemps de Stravinsky. À dix-huit ans, il faisait entendre sa première œuvre, la Rhapsodie nègre pour baryton et ensemble instrumental, qui connut un vif succès. Il n'y avait pourtant que deux ans qu'il s'était lancé vraiment dans l'étude du piano, devenant en 1915 l'élève du célèbre pianiste Ricardo Viñes. Ce dernier l'introduisit dans l'univers de Ravel, Debussy, Fauré, et le présenta à Erik Satie et Georges Auric. Les années de formation chevauchent ainsi un début de carrière précoce, perturbé par la guerre. Ce n'est qu'après son service militaire que Poulenc se met sérieusement à ses études musicales. Le groupe des Six, qui lie, aussi brièvement qu'artificiellement, Poulenc, Auric, Honegger, Milhaud, Durey et Tailleferre, est constitué depuis près d'un an lorsque Poulenc demande en 1921 à Charles Kœchlin de lui donner des cours. Il travaille encore avec lui lorsqu'il compose les Biches, commande de Diaghilev pour les Ballets russes. Mais l'essentiel de son bagage technique vient des traités d'orchestration de Rimski-Korsakov et des traités d'harmonie de Reber et de Gabriel Parès, alors qu'il consulte Albert Roussel et Nadia Boulanger.
Les fortunes du musicien
« Grand, bien musclé, de longs bras, de longues jambes, l'allure décidée et vraiment élégante, type dandy, une longue tête au regard étonné, une physionomie naïve, presque enfantine, quelque chose de distrait dans l'expression, quand il ne s'éveille point pour se montrer des plus gais et des plus avisés », tel est le portrait de Francis Poulenc peint en 1943 par Paul Landormy. Grand bourgeois, issu d'une famille fortunée, dont il hérita très tôt, orphelin à dix-huit ans, Poulenc put embrasser la carrière de compositeur en toute sérénité. D'autant que les commandes affluent dès les années 20. En 1927, il n'a pas trente ans, et achète sa maison de Noizay, en Touraine, région qui restera sa terre d'élection, l'asile où il peut travailler alors que la vie parisienne l'en empêche. À Paris, en effet, il va au théâtre, visite les expositions, assiste aux collections de Coco Chanel ou de son ami Christian Dior. À la fin de sa vie, il se retirera toujours plus volontiers à Noizay, lassé de la vie mondaine, quoiqu'il aimât toujours travailler dans les palaces de Suisse et de la Côte d'Azur.
Une première tournée aux États-Unis en 1948 marque une étape importante dans la carrière de Poulenc. Il y conquiert un large public, et, grisé, constate : « Quand on perce ici c'est à en perdre la tête. » Il y reçoit d'importantes commandes de l'Orchestre symphonique de Boston (Concerto pour piano) et du Philharmonique de New York (Sept Répons des ténèbres), des Fondations Sprague Coolidge (Sonate pour flûte et piano) et Koussevitzky (Gloria). S'il compose certaines œuvres avec une étonnante rapidité (Concerto pour deux pianos, Litanies à la Vierge Noire, Figure humaine, Stabat Mater), d'autres, comme le Sextuor ou le Concerto pour orgue, le contraignent à un travail plus laborieux, mais il n'y perce jamais l'effort. Si bien que, à sa mort, Poulenc ne laisse aucune œuvre en chantier. « Qu'écrirai-je ensuite ? Sans doute plus rien » pressentait-il en février 1962 après avoir achevé les Sept Répons des ténèbres.