En février, encore, une semaine avant l'annonce de la nomination de Christoph Eschenbach comme directeur musical à partir de juin 2000, l'Orchestre de Paris, en quête d'une nouvelle salle de concerts, offrait sous la direction de Christoph von Dohnányi la création mondiale de l'Italien Franco Donatoni. Maître à penser de plusieurs générations de compositeurs, Donatoni est l'un des artistes les plus féconds de la deuxième moitié du xx^e siècle. Pièce pour quatre voix de femmes et orchestre, quatrième volet du cycle In cauda commencé en 1982, Fire, qui se fonde sur un poème de Jack Beeching prétexte à de complexes vocalises, repose sur des collages et des réminiscences empruntant au catalogue de son auteur et chez ses aînés. Cette œuvre d'un quart d'heure, d'une lugubre nostalgie, affermit l'impression de lassitude, de fin de vie qui prédomine dans les dernières partitions de Donatoni. Autre création de l'Orchestre de Paris, en mai, à la Cité de la musique, le Concerto pour violoncelle et orchestre de Magnus Lindberg, le plus parisien des compositeurs finlandais. Cette partition d'une vingtaine de minutes, dont l'orchestration tend à broyer l'instrument soliste, était interprétée par deux amis de l'auteur, ses compatriotes Anssi Karttunen et Esa-Pekka Salonen.

Pour son trentième anniversaire, l'Orchestre national de Lyon proposait à Paris, en avril, au Théâtre des Champs-Élysées, une nouvelle pièce de l'un des créateurs les plus rares et exigeants de sa génération, Jean-Louis Florentz. L'Anneau de Salomon reflète la riche personnalité de cet élève de Messiaen, épris de l'Afrique et chez qui le sens du sacré est profondément ancré. L'œuvre s'inspire à la fois d'un texte apocryphe, le Testament de Salomon, relatant les aventures du favori de Salomon envoyé en mission pour dompter les djinns d'Arabie grâce à l'anneau de son roi, et du Voyage en Orient de Nerval ainsi que d'autres légendes salomoniennes, chroniques persanes et arabes.

La dix-septième édition de la principale manifestation française de musique contemporaine, Musica de Strasbourg, était centrée sur l'Espagne et l'Amérique latine. Il ne s'agissait cependant pas de présenter des écoles nationales, mais un échantillon de créateurs d'outre-Pyrénées et d'outre-Atlantique pour la plupart inconnus en France, à l'exception notable de deux représentants de la « Génération 51 » espagnole, le Madrilène d'origine basque Luis de Pablo et le Castillan Cristobal Halffter. Tous deux ont formé deux générations de musiciens espagnols, qui, comme eux et beaucoup de leurs contemporains, se sont dispersés à travers l'Europe et l'Amérique. Le bel ensemble Barcelona 216 a présenté un florilège de pièces d'où émergent de fortes personnalités, comme le regretté Francisco Guerrero, avec Del Cephei, mais aussi David del Puerto, qui lui a dédié un remarquable tombeau, Versiculo, Ernest Martinez Izquierdo avec Norte-Sur, Ramón Lazkano avec Sorgionkeriak, qui, à trente et un ans, s'impose comme l'un des créateurs les plus sûrs de la musique d'aujourd'hui. Autres pièces marquantes, Rugged Lines Memos, de l'Argentin Martin Matalón, et Apeiron pour 80 pupitres solistes, gorgé de micro-intervalles, d'Alberto Posadas.

Rendez-vous de toutes les créations, le Festival d'automne à Paris, outre l'événement que constituait l'opéra chinois du xv^e siècle le Pavillon aux pivoines, attendu la saison dernière mais interdit par les édiles chinois, proposait une programmation musicale présentant un ensemble d'œuvres de référence composées après 1965. À l'affiche, deux compositeurs mascottes du festival, les Italiens Luigi Nono et Luciano Berio, mais aussi deux Allemands, un fidèle du festival, Heiner Goebbels, et un nouvel élu, Wolfgang Rihm, figure majeure de la création contemporaine outre-Rhin, enfin, un jeune Français, Brice Pauset.

Le 15 novembre, Berio présidait au théâtre du Châtelet la première française de son « action dramatique » Outis (du mot grec signifiant « personne »), mot qu'Ulysse prononce lorsque le cyclope Polyphème, agonisant, lui demande qui il est. Mais, si le héros de Berio est « personne », il a, comme l'Ulysse de Joyce, maints visages, voyage, rencontre quantité de situations différentes mêlant passé et présent. Outre Joyce, Berio a puisé chez le structuraliste russe Vladimir Propp et sa Morphologie des contes de fées. Tout cela engendre un spectacle hétéroclite en cinq entrées soutenu par une musique séduisante et une écriture vocale exceptionnelle. Outis donne au metteur en scène grec Yannis Kokkos l'occasion de signer l'un de ses meilleurs spectacles et à l'Orchestre de Paris, dirigé par l'Américain David Robertson, celle de briller.