Le journal du cinéma
Le fléchissement des entrées en salles – on prévoit moins de 160 millions de spectateurs pour 1999, contre 170 millions pour 1998 – et le faible score accompli par des films français prévus pour être des succès : les Enfants du siècle de Diane Kurys, Est-Ouest de Régis Wargnier, la Débandade de Claude Berri, ont rendu la profession morose et irascible. La part du cinéma français sur le marché national devrait passer la barre des 30 % ; c'est mieux qu'en 1998 (27,4 %), mais moins bien que les années passées, où ce chiffre avoisinait les 35 %. Les films ambitieux, à petit budget, arrivent plus facilement à trouver leur public : Vénus Beauté de Tonie Marshall et la Nouvelle Ève de Catherine Corsini ont largement dépassé leurs espérances, ce qui n'a pas été le cas pour l'Humanité de Bruno Dumont, qui, malgré son grand prix du jury à Cannes, est demeurée surtout un succès critique. Cette situation a engendré deux polémiques : l'une lors de la proclamation du palmarès cannois, que beaucoup ont vécu comme une provocation, l'autre en fin d'année avec la grogne des cinéastes « grand public » contre une certaine critique qui les dénigrerait systématiquement. Mais le malaise est plus profond.
Un cinéma français au féminin
L'année 1999 voit la sortie d'un grand nombre de films de femmes qui apportent une vision souvent différente, en tout cas « décalée », par rapport à celle des hommes sur des sujets comme la sexualité, la solitude, la peur de la mort. Deux films à l'aspect antinomique : Romance de Catherine Breillat et la Puce de la débutante Emmanuelle Bercot, abordent, sans détour, le désir féminin.
Catherine Breillat poursuit, depuis vingt ans, l'étude quasi entomologique de la sexualité féminine dans ses aspects les plus crus. Marie, le personnage central de son dernier opus, est frustrée par le fait que son petit ami refuse de la toucher. Elle se livre, en une longue suite de dérives plus ou moins contrôlées, à la recherche du plaisir des sens. La réalisatrice montre, sans faux-semblants, que la sexualité pure, la recherche du plaisir en somme, ne relève pas de fantasmes uniquement masculins. Dans la Puce, une adolescente de quatorze ans rencontre un homme d'une trentaine d'années. Apparemment séduite, elle se rend chez lui. Commence alors une longue et patiente chorégraphie de séduction qui amènera la jeune fille à faire l'amour avec un partenaire pour la première fois de sa vie. Les exigences de la jeune actrice, qui refusait de se montrer nue, ont conduit la cinéaste à travailler énormément la forme, ce qui donne à l'ensemble un caractère paradoxalement plus physique que bien des bandes dites érotiques.
Trois films dépeignent les contrariétés de la vie quotidienne : la Nouvelle Ève de Catherine Corsini, Rien à faire de Marion Vernoux et Haut les cœurs de Solveig Anspach. La Nouvelle Ève est la version psychologique du thème de Romance : Catherine Corsini met en scène une femme de trente ans qui fait tout pour obtenir l'amour d'un homme qu'elle rencontre fortuitement. Elle entre dans son mode de vie, ses convictions politiques, elle cherche des failles dans son comportement. Ces cinéastes savent monter, articuler leurs fictions autour de l'actrice principale. Karin Viard, dans la Nouvelle Ève, à la fois volontaire et fragile, donne une épaisseur quasi physique au film.
Dans Rien à faire, c'est Valeria Bruni-Tedeschi qui tient le rôle d'une chômeuse prolétaire qui, au hasard de ses pérégrinations, tombe amoureuse d'un cadre dans la même situation qu'elle, mais qui la vit plus difficilement. L'actrice, qui a souvent interprété des femmes mal dans leur peau, apporte au film son côté doux-amer. Karin Viard revient, dans Haut les cœurs, à ce profil de femme de caractère qu'elle véhicule et qui sert ici à faire passer un message d'espoir : atteinte du cancer, l'héroïne se bat non seulement pour vivre mais aussi pour avoir un enfant.
Tonie Marshall sort, avec Vénus Beauté, du cadre purement naturaliste qui est la caractéristique principale du cinéma d'auteur français, pour aller vers une certaine stylisation qui rappelle parfois les œuvres d'un Vincente Minnelli : on y suit les aventures sentimentalo-professionnelles de quelques esthéticiennes travaillant dans un petit institut de beauté. La réalisatrice, comédienne elle-même, sait tirer le maximum de ses interprètes.