Une idée d'ensemble domine la Comédie humaine. Elle n'est pas très éloignée de celle de Stendhal, même si elle s'exprime différemment : l'énergie, source de mouvement. Elle est à l'origine de la dynamique puissante d'une œuvre immense, réalisable peut-être, mais interrompue par la mort prématurée d'un écrivain qui avait abusé de ses forces. Se trouve ainsi réduit à 80 titres un ensemble qui aurait dû en comporter 100. A-t-on dès lors le droit de parler de « fiasco » à propos des Études analytiques, comme l'a écrit Pierre-Georges Castex, qui a tant fait pour cette œuvre ? La Comédie humaine est plutôt une comédie inachevée. Comme Marcel Proust et avant lui, Balzac a présenté son œuvre comme une cathédrale : « C'est plus vaste, littérairement parlant, disait-il, que la cathédrale de Bourges architecturalement. » La nef (les études de mœurs, les « scènes ») est infiniment plus large que les transepts. Il n'en a conçu l'architecture qu'en cours d'édifice. Et le temps ne lui a pas donné le souffle pour élever la dernière tour.
La Comédie humaine
La grande édition moderne est celle qui a été réalisée sous la direction de Pierre-Georges Castex dans la Bibliothèque de la Pléiade, 12 volumes, Gallimard, 1976-1981. L'index est un prodigieux instrument de travail.
Proust, dans la Prisonnière, parle de « l'ivresse » qui dut être celle de Balzac quand il conçut tardivement le projet d'un tel ensemble, « quand celui-ci, jetant sur ses ouvrages le regard à la fois d'un étranger et d'un père, trouvant à celui-ci la pureté de Raphaël, à cet autre la simplicité de l'Évangile, s'avisa brusquement en projetant sur eux une illumination rétrospective qu'ils seraient plus beaux réunis en un cycle où les mêmes personnages reviendraient et ajouta à son œuvre, en ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime » (À la recherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié, Gallimard, Pléiade, tome III, 1988, p. 667).
Le Livre mystique
C'est en janvier 1840 que Balzac a parlé pour la première fois de « Comédie humaine ». Sans nul doute ce titre, dans son esprit, s'opposait à celui de « Divine Comédie », qui a été donné par la postérité aux trois poèmes conçus par Dante à l'orée du xive siècle, l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis. La volonté de division tripartite s'explique de la même façon. Balzac a connu au moins partiellement l'œuvre du poète florentin ; il s'y réfère souvent, il la cite, et Dante est même devenu, dans les Proscrits, l'un de ses personnages.
Il faut attendre le tome XVII et dernier de la Comédie humaine, en 1848, les Parents pauvres, réunissant la Cousine Bette et le Cousin Pons, et la dédicace à un troisième cousin (un Italien, cette fois, cousin de Mme Hanska), datée d'août-septembre 1846, pour que Balzac présente le parallèle d'une manière plus explicite. Essayant de détourner l'attention des lecteurs français de l'Allemagne vers l'Italie, il met en valeur le chef-d'œuvre de Dante, ce labyrinthe où il se retrouve mieux.
Certes Béatrix, dans le roman de Balzac qui porte ce titre, ne ressemble guère à la Béatrice de Dante. Elle en serait même plutôt le contraire. L'auteur de la Divine Comédie suggérait, celui de la Comédie humaine raconte. Et il tend à nous faire passer de l'enfer au paradis sans l'intermédiaire d'un purgatoire. Pour lui, tout est toujours à recommencer. « Comédie » : l'œuvre de Dante mérite ce nom parce qu'elle a un dénouement heureux, elle conduit dans les sublimités du paradis. Qu'en aurait-il été de celle de Balzac, s'il avait pu aller jusqu'à son terme ? Il conteste l'idée de progrès, si implantée dans les esprits au xixe siècle, et il n'est pas sûr pour lui que le mouvement aille quelque part. Pourtant subsiste dans la Comédie humaine mieux que la trace de ce qui aurait pu être une « Divine Comédie ». Balzac a prévu pour un ensemble lui-même tripartite le titre de Livre mystique, et cela dès 1835. Il écrit alors : « Les Proscrits sont le péristyle de l'édifice ; là, l'idée apparaît au Moyen Âge dans son naïf triomphe. Louis Lambert est le mysticisme pris sur le fait, le Voyant marchant à sa vision, conduit au Ciel par les faits, par ses idées, par son tempérament : là est l'histoire des Voyants. Séraphîta est le mysticisme tenu pour vrai, personnifié, montré dans toutes ses conséquences. » C'est la preuve qu'il y avait en Balzac, et selon diverses modalités, une passion pour la recherche de l'Absolu.
Le Livre mystique, Dante et Balzac
On trouvera dans le tome XI de la Pléiade les Proscrits, Louis Lambert, Séraphîta, ainsi que la Préface du Livre mystique.