Weimar : le difficile apprentissage de la démocratie
Si le nom de la ville de Weimar évoque l'apogée de la culture classique allemande dominée par les figures tutélaires de Goethe et de Schiller, l'expression République de Weimar est marquée du sceau de l'échec dans la mesure où elle a accouché d'un monstre, le régime hitlérien. Que ces quatorze ans d'histoire allemande, de 1919 à janvier 1933, comptent parmi les plus riches culturellement, cela pèse peu face à l'effondrement de la démocratie. De nombreuses explications ont été émises pour expliquer l'inexplicable, certaines sont endogènes (la montée des extrémismes antidémocratiques, la division du mouvement ouvrier, l'immaturité démocratique de la bourgeoisie allemande, la faiblesse de la culture libérale, etc.), d'autres, exogènes (la crise mondiale, les conditions draconiennes du traité de Versailles, le traumatisme de la défaite, la politique des réparations des Alliés). Tous ces arguments semblent valides, mais aucun n'emporte véritablement l'adhésion. D'autant que certains pays aussi développés que l'Allemagne ont été confrontés à des situations quasiment similaires, à l'exception de la défaite. L'échec de la démocratie parlementaire était-elle inéluctable ?
Une naissance chahutée
La république est proclamée à Berlin le 9 novembre 1918 sur deux places de la capitale devant des milliers de manifestants, civils et soldats : sur l'une d'elle, Karl Liebknecht, le chef des spartakistes, un groupe d'extrême gauche favorable aux conseils d'ouvriers et de soldats qui se formaient dans les unités militaires en état d'insurrection dans les ports et dans les villes de garnison, décrète une République socialiste libre ; sur l'autre place, Philip Scheidemann, un des principaux dirigeants du parti social-démocrate majoritaire, proclame la République allemande et annonce que le chef de son parti, Friedrich Ebert, en devient le président. La social-démocratie est en effet le parti le plus important du pays bien qu'il se soit divisé en 1916 entre les partisans de la poursuite de la guerre et de l'union sacrée, le parti social-démocrate majoritaire SPD, et les pacifistes regroupés autour des figures historiques du socialisme allemand, Karl Kautsky et Eduard Bernstein, au sein du le parti social-démocrate indépendant (USPD).
La proclamation faite, une âpre rivalité oppose les différentes tendances du mouvement socialiste alors que le pouvoir impérial s'évanouit. Dans les grandes agglomérations, les pouvoirs traditionnels se sont effondrés, les autorités municipales sont balayées par des conseils qui regroupent sur une base locale, selon que les régions sont plus ou moins touchées par la vague révolutionnaire, uniquement les partis ouvriers ou bien une coalition des sociaux-démocrates avec deux partis bourgeois, le Centre catholique et le parti démocrate (DDP) de tendance libérale.
Simultanément, à partir du 12 novembre, les soldats rentrent chez eux, partagés entre le soulagement et l'incompréhension. S'ils apprécient la paix, ils ne comprennent pas qu'ils puissent être considérés comme des battus. Pourtant, c'est la réalité aux yeux des Alliés qui ont obtenu la capitulation des troupes impériales. Les officiers ont déjà divulgué leur credo : l'armée n'a pas été défaite mais trahie par la révolution. Ils développent alors la théorie du « coup de poignard dans le dos ».
Le prix du sang
L'exécutif provisoire, le conseil des commissaires du peuple, dirigé par Friedrich Ebert, est constitué des deux familles sociales-démocrates qui se partagent les six postes du nouveau pouvoir. À l'extrême gauche, le parti spartakiste, devenu parti communiste fin décembre, pousse à la radicalisation de la révolution et déclenche une insurrection à Berlin début janvier. Ce coup de force, destiné à donner le pouvoir aux conseils d'ouvriers et de soldats et à empêcher le déroulement des élections législatives prévues pour le 19 janvier 1919, est réprimé dans le sang par les forces armées autorisées par les Alliés. Les corps francs, avec l'aval du ministère de la Guerre, le social-démocrate Gustav Noske, assassinent les leaders spartakistes, Karl Liebknecht, fils du fondateur de la social-démocratie allemande, et Rosa Luxemburg, la plus brillante théoricienne du marxisme révolutionnaire du début du siècle. Cette dernière, hostile à l'action, paie au prix fort l'optimisme de son alter ego. La défaite des révolutionnaires est cuisante, la fracture au sein du mouvement ouvrier, profonde.