Le nouveau monde de 1998
Si Monica Lewinsky avait lavé sa fameuse petite robe bleue, le bilan international de 1998 aurait été tout autre. Si le FBI n'avait pas trouvé sur ce vêtement des traces, comme l'avait joliment écrit l'agence Tass, de l'intérêt du président américain pour la stagiaire de la Maison-Blanche, Bill Clinton n'aurait sûrement pas subi l'humiliation d'une procédure de révocation par le Congrès et peut-être n'aurait-il pas fait bombarder l'Irak.
De janvier, quand le scandale éclata, à décembre, lorsque l'affaire déboucha simultanément sur les raids de Bagdad et sur le vote de la Chambre en faveur de l'impeachment, cette médiocre aventure a éclipsé tout le reste de l'actualité. Comme dans une tragédie classique, la planète n'a plus semblé tourner que sur le rythme des trois unités du « Monicagate ».
Au prisme du « Monicagate »
Un seul lieu... Washington semble être devenue le centre du monde. Le 21 janvier, le procureur Kenneth Starr révèle que son enquête sur les manipulations financières de Whitewater a soudain bifurqué vers un dossier beaucoup plus croustillant. Faute de pouvoir inculper Bill Clinton pour une faillite immobilière datant de 1978, Kenneth Starr se convainc que le président a commis des « crimes » constitutionnels infiniment plus graves. Pour cacher son aventure avec la jeune Monica, il se serait rendu coupable de parjure et d'obstruction à la justice. Le monde entier est instantanément informé des coups de théâtre qui se bousculent : le 7 juillet, Monica Lewinsky se résigne à témoigner contre la promesse d'une immunité qui lui évitera la prison pour cause de « conspiration » avec le président ; le 17 août, Bill Clinton accepte d'être interrogé par un « grand jury » dans l'espoir d'atténuer l'impact des réponses de la jeune femme, qui n'a rien caché des détails les plus salaces de leur liaison ; le 11 septembre, les 445 pages du rapport, que Kenneth Starr vient de remettre au Congrès, sont diffusées sur Internet, si bien que personne dans le monde ne peut plus ignorer l'usage intime des cigares du président.
Un seul fait... Chacune des initiatives de la superpuissance américaine ne s'explique plus que par le « Monicagate ». Lorsque, le 1er février, l'Irak interdit aux experts de l'UNSCOM chargés de démanteler les armes de destruction massive l'accès aux « sites présidentiels », les palais de Saddam Hussein, la provocation du dictateur est manifeste. Mais, Bill Clinton ayant aussitôt menacé de bombarder, la presse américaine en conclut qu'il cherche un prétexte pour redorer son blason. Lorsque, le 19 février, le président américain renonce à frapper, sur les conseils notamment de Jacques Chirac, il est à nouveau critiqué. Les éditorialistes le jugent politiquement trop affaibli pour oser riposter.
Le 7 septembre, deux attentats coordonnés contre les ambassades américaines de Nairobi, au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie, font 257 morts, dont 12 Américains, et 5 000 blessés. La CIA remonte la piste jusqu'à Oussama Ben Laden, le banquier saoudien du terrorisme intégriste réfugié en Afghanistan. Le 20, Bill Clinton ordonne des représailles aériennes contre des cibles précises en Afghanistan et au Soudan.
Le président est alors accusé d'avoir frappé au hasard dans le seul but de faire oublier ses ennuis intérieurs. Lorsque, toujours en septembre, Bill Clinton se rend à Moscou pour embrasser Boris Eltsine, ce ne peut pas être, aux yeux des observateurs, par simple souci de renforcer le chef de l'État russe, politiquement et physiquement fort mal en point. L'objectif réel ne peut être que de dissuader l'opposition républicaine d'aller jusqu'au bout de la procédure d'impeachment. La signature, le 23 octobre, de l'accord de Wye Plantation entre Benyamin Netanyahou et Yasser Arafat, doit tout à Bill Clinton. C'est le président qui, après une semaine d'intenses négociations, a réussi à imposer un arrangement qui relance le processus de paix enlisé depuis dix-neuf mois. Mais ce succès est vite oublié : c'est en vain que, débarquant en Israël, le 13 décembre, Bill Clinton s'efforcera d'obtenir du Premier ministre israélien qu'il tienne sa promesse toute neuve. Encore une fois, l'échec doit être assumé par le président. Le « Monicagate », affirment les experts, a réduit l'Amérique à l'impuissance. Peu importe qu'une semaine plus tard les circonstances politiques obligent Benyamin Netanyahou à révéler la vraie raison du sabotage de Wye Plantation : abandonné par ses propres amis politiques, le Premier ministre israélien est contraint d'annoncer des élections anticipées.