Algérie : perspective présidentielle
Porté à la présidence en janvier 1994 par la conférence nationale dite « de consensus », Liamine Zeroual avait recueilli la grande majorité des suffrages lors de l'élection présidentielle de novembre 1995 : en promettant le retour à la paix civile, le candidat avait su toucher les cœurs. Très vite, il est apparu que le président avait renié les promesses du candidat. En effet, pour avoir cru venir à bout des groupes armés islamistes par la seule voie des armes, L. Zeroual a épuisé le capital de confiance dont il bénéficiait pour imposer une solution politique à la crise que traverse le pays depuis 1990.
Trois ans après son élection à la présidence de la République, le constat était accablant, comme en témoignent les dizaines de milliers d'Algériens victimes de l'épouvantable violence dans laquelle baigne l'Algérie depuis l'annulation des élections législatives de 1991, remportées par les islamistes du FIS. Dans un pays où l'opacité politique est de règle, l'annonce de la démission du président Zeroual ne pouvait que surprendre les observateurs qui, bien vite, se sont perdus en conjectures sur les raisons de ce départ.
Abusée par les apparences – dont un président doté par la Constitution de prérogatives extrêmement étendues n'est pas la moindre –, l'opinion publique, de ce côté-ci de la Méditerranée, a oublié que le pouvoir en Algérie est d'abord collégial, exercé en l'occurrence par une poignée de militaires, dont certains sont même à la retraite. Dans cette perspective, le général Zeroual n'est – ou, plutôt, n'était – qu'une sorte de primus inter pares. Loin de faire bloc derrière le chef de l'État, les militaires se sont littéralement déchirés à plusieurs reprises sur la stratégie qu'il convenait de mettre en œuvre pour mettre fin à la guerre civile, entre partisans d'une approche politique et tenants de la répression. Les massacres de 1997, au sujet desquels a été évoquée la complicité plus ou moins active de l'armée, ont porté la tension à son apogée au sein du pouvoir collégial.
Une grande partie du contentieux se sera cristallisée sur la personne du général Mohamed Betchine, défenseur d'une Algérie islamo-populiste. Ce dernier, ami intime de L. Zeroual, a vu se dresser contre lui de nombreux responsables militaires particulièrement agacés par son affairisme débridé. C'est ainsi que l'on a assisté, au cours des premiers mois de l'année, à une virulente campagne de presse opposant partisans et adversaires du général Betchine : à l'évidence, la hiérarchie militaire éradicatrice et laïque l'a emporté. En appelant à de nouvelles élections – avant la fin du mois d'avril 1999 –, tout en démissionnant, Liamine Zeroual a donné l'impression de vouloir rouvrir le jeu politique en direction des partis, plutôt que de se soumettre à ses adversaires. Mais, comme on voit mal les militaires se désintéresser de ce scrutin, l'hypothèse, pour séduisante qu'elle apparaisse, ne nous semble guère de nature à bouleverser la donne.
Quant au bilan de la présidence, on n'en retiendra, dans la colonne « actif », qu'une remise à plat des finances. En effet, on serait bien en mal de trouver une véritable action volontariste susceptible de relancer l'économie et d'améliorer les conditions de vie d'une population abandonnée à elle-même, sinon aux islamistes.
Un bilan économique mitigé
La « révolution de palais », la lutte contre les groupes islamistes et la fronde contre l'arabisation – depuis juillet 1998, l'administration, les entreprises, les associations et les médias officiels doivent rédiger tous leurs documents en arabe sous peine d'amendes – ont relégué au second plan les performances de la « machine » économique. Depuis le début de l'été, l'Algérie a cessé d'être « sous ajustement ». Aussi le FMI a-t-il proposé aux autorités algériennes de conclure un nouvel accord. Mais ces dernières ont refusé, préférant donc se priver de crédits bon marché, afin de retrouver une totale indépendance en matière de politique économique. Il est vrai que le pouvoir ne manque pas d'arguments pour défendre ce choix. En quasi-faillite en 1994, le pays va mieux. Ainsi, selon le FMI, « les autorités algériennes ont réalisé des progrès remarquables en restaurant les équilibres économiques dans des circonstances très difficiles ». Mais, à l'aulne de leur coût social, ces résultats ne sont guère significatifs. Le tiers de la population active est au chômage et le niveau de vie (exprimé en dollars) a baissé de plus de 60 % depuis 1990. Plus largement, le satisfecit du FMI paraît décalé par rapport à la réalité, tant la structure même de l'économie algérienne reste ce qu'elle était. Ainsi, de l'appareil industriel, qui, en dépit des milliards de dollars drainés par l'Algérie au cours de ces dernières années, est toujours dominé, d'un côté, par un secteur public hypertrophié, de l'autre, par celui des hydrocarbures. Du premier, on retiendra qu'il est entré, en 1998, dans sa sixième année consécutive de récession ; en revanche, du second, grand pourvoyeur de devises, on rappellera, comme une évidence, que ses performances sont indexées sur les fluctuations des cours. Si les cours élevés du pétrole en 1996-1997 avaient facilité le rétablissement financier de l'Algérie, leur effondrement en 1998 est apparu de nature à remettre en question les progrès réalisés et les autorités ont dû réviser à la baisse leurs prévisions budgétaires, les recettes escomptées des exportations étant moindres que prévu. De plus, la baisse du brut aura également eu une autre conséquence négative en interrompant la croissance des réserves de change. Néanmoins, le FMI estimait que le niveau des réserves était encore suffisamment élevé pour rassurer les créanciers étrangers de l'Algérie, un pays dont on sait, par ailleurs, qu'il est lourdement endetté à l'extérieur. À bien des égards, la question de confiance – c'est-à-dire l'appréciation du facteur risque – est cruciale, car l'Algérie va devoir mobiliser sur le marché international entre 2 et 3 milliards de dollars supplémentaires par an au cours des prochaines années pour financer son développement et... faire face au remboursement de ses dettes.