Révélation de l'irrésistible médiatisation de la société américaine. Il est caractéristique qu'en février la presse classique ait paru peu enthousiaste pour déclencher l'affaire. Mais les « tabloïds électroniques » s'en sont immédiatement saisis, créant un mouvement de fond qu'il a fallu suivre. Révélation aussi d'un véritable court-circuit entre la classe politique et la société américaine. Faute de pouvoir faire mieux que Clinton sur le plan économique, les républicains, vainqueurs en novembre 1994, ont voulu porter le combat sur le terrain des valeurs. Mais il s'avère que la société ne répond plus à leur attente. Elle les désavoue en manifestant publiquement son peu d'intérêt pour les frasques au président. La grande leçon de l'affaire est que l'Amérique s'avoue moralement permissive. Elle reconnaît désormais le droit à la vie privée, y compris pour les hommes politiques. On soutiendra donc Clinton contre les attaques au nom d'une société permissive, mais on le condamnera parce qu'il est coupable de parjure médiatique. Ainsi paraît sous le regard du monde une société plus formellement attachée au juridisme que fondamentalement éthique.
Un peu éberlué, le monde, en effet, regarde. Les répercussions extérieures sont de trois ordres. C'est, parmi les Alliés, un soutien marqué au président dans l'adversité. La Grande-Bretagne, la France, l'Italie ont manifesté, à l'occasion, leur solidarité.
Le second phénomène, inévitable, est que l'affaire Lewinsky est venue interférer avec des situations graves, proches de la crise. En février, l'affrontement avec l'Irak ; en août, lors des attentats contre les ambassades de Nairobi et Dar es-Salaam et de la riposte qui s'ensuivit. La politique extérieure des États-Unis se voit donc soupçonnée de manipulations à usage interne ou, plus simplement, de manque du sens de la responsabilité et de ce leadership dont les États-Unis revendiquent si volontiers et si fort l'exclusivité. À ceux qui combattent, souffrent et meurent en défendant des idéaux, les États-Unis offrent l'image d'une société plus narcissique que jamais, délaissant le monde pour s'abîmer dans la fascination de ses insondables contradictions.
François Géré
Procureur indépendant et grand jury
Pour mieux assurer l'indépendance des pouvoirs, la Constitution américaine autorise le législatif à investir un homme de loi privé du pouvoir d'investigation sur une affaire particulière qui concerne, entre autres, les agissements de l'exécutif. Un juge surveille le déroulement de la procédure, veille à sa conformité et au respect du secret, tandis que le grand jury, dont les membres restent anonymes, siège à huis clos. Aucun élément de l'enquête ne doit être communiqué. Les résultats font l'objet d'un rapport final soumis au Congrès.