Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Les frasques de Clinton

Faute d'ennemi, les États-Unis auraient-ils entrepris de se détruire eux-mêmes ? La tournure prise par l'affaire Monica Lewinsky autorise à s'interroger sur la qualité du fonctionnement de la vie politique américaine. Les besoins de la machine médiatique décident-ils de tout ? Assiste-t-on à l'ultime combat des « vigilantes » de l'ordre moral américain ? L'aveu du 17 août 1998 montre une opinion profondément lassée par une affaire sordide, mais qui a pris trop d'importance pour ne pas être tenue pour un moment majeur de l'évolution de la société politique américaine.

L'affaire

Est-elle juridique ? Est-elle politique ? Une chose est certaine : le sentiment n'a guère sa place dans cette affaire sexuelle, parfaitement insignifiante vue du Vieux Continent. Mais, aux États-Unis, l'effet des médias et de la lutte pour le pouvoir en fait une affaire d'État. Du coup, les Américains n'ont plus besoin de « Da las » et de « Beverly Hills », ils disposent depuis février 1998 de « Capitol Hill ». Rien ne manque. Monica et Bill, affublés d'un « méchant », le juge Starr, et d'une bonne fée, Hillary, femme du président qui, compréhensive sur les faits et ferme sur le droit, assure la défense exemplaire de son époux. Tout se révèle en février lorsque Mlle Lewinsky, ancienne stagiaire à la Maison-Blanche, est découverte par le procureur indépendant Kenneth Starr, qui instruit les charges que l'on pourrait retenir contre le président dans les différentes affaires qui le concernent. Affaire Paula Jones, qui se dit victime de harcèlement sexuel de la part du gouverneur Clinton. Affaire Whitewater, qui, jalonnée de suicides, touche aux activités immobilières des époux Clinton dans l'Arkansas.

La « révélation » Lewinsky n'arrive pas vraiment par hasard. La jeune femme s'est confiée à une autre ancienne employée de la Maison-Blanche, Linda Tripp, qui y avait elle-même travaillé quelque temps, avant d'être recasée au Pentagone. Celle-ci s'entretient longuement avec la jeune femme en prenant soin de l'enregistrer, à son insu semble-t-il. Cette confession intime bourrée de détails sur les relations sexuelles avec le président lance l'affaire. Aussitôt, Bill Clinton nie publiquement. Mais Kenneth Starr dispose enfin d'une « preuve » : une robe de cocktail imprégnée de la « substance séminale » présidentielle. De ce fait, durant deux mois, les familles américaines ne purent que couper la télévision, ou bien mettre en place des cours d'éducation sexuelle aussi improvisés qu'embarrassés.Il est bien délicat d'expliquer aux jeunes enfants qu'un test ADN peut confondre le président... Et celui-ci, sommé de témoigner devant le grand jury, s'adresse le 17 août à la nation pour présenter ses excuses au peuple américain. Si les faits sont désormais établis, la véritable affaire ne fait que commencer. Le procureur Starr entend bien démontrer que le président est coupable de parjure et d'entrave à l'action de la justice. Il devra présenter au Congrès son rapport, sur la base duquel une procédure d'impeachment pourrait être engagée. La cote de popularité de la gestion présidentielle reste élevée, mais, dans un pays justicier, nul ne peut prévoir jusqu'où les procédures peuvent aller. D'autant plus que d'autres affaires traînent, celle notamment d'un financement occulte du Parti démocrate par des fonds chinois. Dans ce cas, le vice-président Al Gore voit également son avenir politique sérieusement compromis.

À ce stade, indépendamment du cours juridique pris par la procédure, le président finira son mandat avec un pouvoir très affaibli. Par l'action des républicains sans doute, qui pourront jouer de l'impeachment, comme d'une épée de Damoclès dont ils n'entendent cependant pas abuser. Car une démission présidentielle donnerait à Albert Gore une occasion unique de se mettre en selle, ce que personne ne semble désirer. À commencer par les leaders du Parti démocrate au Congrès, qui ont su prendre leurs distances. Bill Clinton a déjà perdu la capacité à se choisir un successeur – que ce soit Gore ou un autre.

Les enjeux

Comme toutes les affaires faites de petits détails sans grand intérêt, ce scandale a une fonction de révélateur.