Une des craintes du Premier ministre est que la crise économique et sociale sans fin ne débouche sur un « éclatement du pays », sanctionné par la paralysie du pouvoir central et le renforcement des tendances centrifuges – les pouvoirs locaux tentant de sauver leur épingle du jeu en s'affranchissant de Moscou. La spirale inflationniste n'ayant pas été enrayée, le gouvernement de Primakov a dû se résoudre à une nouvelle émission monétaire à la fin de l'année 1998 – équivalente à 20 milliards de francs environ. Le budget du dernier trimestre 1998 accusait un déficit particulièrement fort, avec des revenus inférieurs de moitié aux dépenses. Selon les estimations de la Banque centrale de Russie, l'inflation devait atteindre environ 300 % à la fin de l'année, et le produit intérieur brut chuter de 5 à 6 %.
Remplaçant au pied levé Boris Eltsine, une nouvelle fois rendu indisponible par la maladie, lors du sommet russo-européen de Vienne fin octobre 1998, Evgueni Primakov n'a pas caché la gravité de la situation de son pays, menacé par de dramatiques pénuries pendant l'hiver à venir : « je ne viens pas la main tendue, a-t-il déclaré en substance à ses interlocuteurs, mais une aide alimentaire d'urgence permettrait, éventuellement, d'éviter le pire – tout en permettant aux Occidentaux d'alléger leurs surplus... »
Alain Brossat
Primakov
Dès sa nomination au poste de Premier ministre, Evgueni Primakov s'est efforcé de rassurer l'Occident et les bailleurs de fonds sur l'aide desquels il compte pour redresser la situation financière et économique de son pays : « La Russie ne refusera pas de respecter ses engagements, nous paierons toutes nos dettes. La Russie n'est pas un pays à se déclarer en faillite. Le gouvernement s'en chargera et travaille déjà en ce sens. » Mais, déclarant d'un même élan qu'il fallait « aller vers une économie prenant en compte les besoins sociaux de la société, une économie à orientation sociale », il suscitait la méfiance du Fonds monétaire international. À défaut d'avoir manifesté clairement son intention de maintenir le cap de la marche forcée à l'économie de marché, quel qu'en soit le coût social, il s'est vu refuser un prêt de 4,3 milliards de dollars qui devait être versé à la Russie en septembre 1998. Faute d'adopter un programme économique « crédible et convaincant », dans l'esprit du FMI, la Russie se verra privée de toute aide. Dans le même esprit, une demande d'aide humanitaire adressée par E. Primakov à l'Union européenne suscitait en octobre 1998 une réponse aussi dilatoire que lapidaire de la part de Jacques Santer, président de la commission de l'UE : cette requête, dit-il, « mérite réflexion ».