Résistance armée au Kosovo
En février, forces serbes et combattants indépendantistes albanais du Kosovo, région du sud de la Serbie peuplée à 90 % d'Albanais, s'engageaient dans des affrontements meurtriers au point de menacer l'équilibre des Balkans. Durant les guerres de Croatie et de Bosnie, on disait volontiers que « la guerre de Yougoslavie a commencé au Kosovo, elle se terminera au Kosovo ». Une sombre prédiction prise au sérieux par les Occidentaux.
La mort de Tito a ouvert une crise politique profonde dans la Fédération yougoslave, libérant des ambitions dont la fulgurante ascension de Slobodan Milosevic représente le paradigme absolu. Jeune dirigeant communiste serbe, Milosevic n'a pas ménagé ses efforts pour exploiter cette situation à son avantage. Prétextant que les dysfonctionnements de la Fédération étaient le fruit de l'atomisation du pouvoir entre les différentes républiques, Milosevic a entrepris, sous couvert de sauver la Fédération, de concentrer tous les pouvoirs entre les mains des Serbes. Et, devenu président de la Serbie, il appelait en 1989 ses concitoyens à défendre « leur Jérusalem », le « berceau historique de l'orthodoxie serbe ». Peu après, il supprimait l'autonomie du Kosovo et fermait l'université de Pristina, chef-lieu de la province, désormais soumise à un couvre-feu rigoureux.
Une alternative combattante
Durant la période de la guerre avec la Croatie et la Bosnie, la police serbe a réussi à maintenir un calme apparent au Kosovo, bien que de plus en plus de Kosovars revendiquent pacifiquement l'indépendance. Étrangement, la question du Kosovo allait être absente de la négociation des accords de paix de Dayton, qui ont mis un terme, en décembre 1995, à la guerre dans l'ex-Yougoslavie. Sans doute ce silence pesant de la communauté internationale s'explique-t-il par la stratégie d'Ibrahim Rugova : élu président du Kosovo en 1991 et réélu en 1998, à l'issue de scrutins non reconnus sur le plan international, Rugova s'est toujours montré partisan du dialogue avec Belgrade, convaincu que seule la voie pacifiste était à même de dégager une solution durable. Selon lui, le temps jouant en faveur de l'indépendance, il n'est nul besoin de précipiter les choses, c'est-à-dire d'utiliser les armes. Mais la radicalisation de la politique de « serbisation » conduite par Belgrade aura mis à mal l'attentisme de celui qui portait jusqu'alors les espoirs des Albanais du Kosovo. L'offensive serbe a débuté dans la vallée de la Drenica, à l'ouest de Pristina, où policiers, militaires et paramilitaires serbes, disposant du soutien d'hélicoptères et appuyés par l'artillerie, ont entrepris de raser des villages censés abriter des combattants indépendantistes albanais. Puis, peu à peu, la pression militaire serbe s'est exercée dans l'ouest de la province, non loin de la frontière avec l'Albanie, afin de couper la route d'approvisionnement en armes. Parallèlement, la population civile a été chassée de la région des combats, lesquels ont poussé sur les routes quelque 20 000 personnes en direction de l'Albanie et du Monténégro – l'autre république qui, avec la Serbie, constitue la Fédération yougoslave.
La violence meurtrière mise en œuvre par les forces serbes au début de 1998 a finalement conduit à accélérer la structuration et l'organisation d'une véritable force de résistance, l'Armée de libération du Kosovo (ALK, ou UCK en albanais). Résolument engagée dans la lutte pour l'indépendance, l'ALK a montré sans ambiguïté qu'elle était une alternative, combattante, à la non-violence de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) de Rugova.
L'internationalisation du conflit ?
Si Milosevic n'a pas ménagé sa peine pour présenter la crise du Kosovo comme une affaire purement intérieure, les incidences possibles de celle-ci sur les États de la région n'ont pas manqué d'inquiéter les Occidentaux. Il est vrai que le sort des Albanais du Kosovo ne peut pas laisser indifférent l'ex-république yougoslave de Macédoine, peuplée par une forte minorité albanaise. Si la Macédoine, non reconnue par la Grèce et seulement tolérée par la Bulgarie, devait entrer dans une zone de turbulences, c'est tout le fragile équilibre des Balkans qui en pâtirait. Idem pour l'Albanie voisine. Littéralement coupé de ses frères kosovars durant la dictature d'Enver Hodja et jusqu'à la chute du communisme à Tirana, le Pays des Aigles, confronté à d'énormes difficultés économiques, ne peut que se sentir solidaire du destin du Kosovo. Face à la résurrection de la question albanaise, la diplomatie internationale a réactivé le Croupe de contact sur l'ex-Yougoslavie (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, France, Italie), qui s'est saisi du dossier afin d'« éviter que le Kosovo ne devienne une nouvelle Bosnie ». Mais l'action du Groupe de contact se trouve contrainte par les divergences de vue existant entre ses membres. Ainsi, un abîme sépare la Grande-Bretagne, favorable à une intervention militaire musclée de l'OTAN au Kosovo, de la Russie, qui, par solidarité slave, répugne à lâcher la Serbie, son alliée traditionnelle, orthodoxe comme elle. Dans ces conditions, les quelques résolutions envisagées par le Groupe de contact, comme le gel des avoirs serbes à l'étranger, l'embargo sur les armes – qui prêterait à sourire eu égard aux stocks d'armes déjà accumulés par Belgrade – ou l'arrêt des investissements étrangers en Serbie ont paru bien en deçà de la gravité de la crise. Ainsi, à considérer la traduction sur le terrain de cette stratégie déclamatoire – essentiellement donc des sanctions symboliques – et la détermination du président Milosevic, on peut craindre que les hésitations du Groupe de contact ne laissent guère, pour sortir de la crise que des voies militaires. Ce qui ferait du Kosovo le énième avatar de la poudrière balkanique.