Le mouvement des chômeurs
Le mouvement des chômeurs qui s'est exprimé avec force en décembre 1997 et en janvier 1998 fut le premier de ce type. Symboliquement entamée à la veille de Noël, cette « révolte des sacrifiés », qui s'est traduite notamment par l'occupation de nombreuses agences pour l'emploi, en région parisienne et en province, a impliqué un nombre important de personnes et a donné naissance ou tribune à des associations de chômeurs.
Le mouvement a connu un important retentissement dans l'opinion publique, mais, surtout, il a révélé un phénomène social longtemps occulté : le caractère structurel et permanent du chômage et les risques importants de destruction des liens sociaux dont il est porteur. Il a mis en évidence l'urgence d'une réforme du système d'indemnisation du chômage. La revendication visait à obtenir une augmentation de 1 500 F des minima sociaux et, secondairement, une allocation spéciale de Noël. Mais, au-delà des demandes chiffrées, il s'agissait d'une véritable remise en cause de l'analyse et du traitement du chômage, trop longtemps considéré comme une situation malheureuse, certes, mais passagère, et dont la prise en charge était devenue inadaptée. Face à une forte baisse des fonds de secours gérés par les ASSEDIC (organismes locaux de gestion du système national d'indemnisation du chômage, l'UNEDIC), les chômeurs demandent que des mesures d'urgence soient prises sans attendre la loi sur la prévention et la lutte contre l'exclusion, annoncée pour le printemps 1998 par le gouvernement.
Les hésitations syndicales
L'ampleur du mouvement a pris à contre-pied les syndicats, les organismes gestionnaires du chômage aussi bien que le gouvernement, qui n'ont pas su mesurer l'ampleur du problème posé. Le gouvernement avait surtout, jusqu'alors, concentré ses efforts sur la réduction du chômage par des mesures en faveur de l'emploi : conférence sur l'emploi, puis projet de la loi sur les 35 heures. Les syndicats sont, pour leur part, peu préparés à intégrer les chômeurs et à prendre en charge leurs revendications. Ce sont donc surtout des associations, la CGT ainsi que la minorité de la CFDT opposée à Nicole Notat, et sa secrétaire générale qui préside désormais l'UNEDIC, qui ont mené le mouvement. Les hésitations syndicales peuvent être attribuées à la fois à leur fonction traditionnelle de défense des travailleurs ayant un emploi et à leur position dans le fonctionnement des structures d'indemnisation du chômage. Le système encore en vigueur fut mis en place lors des années d'abondance et conçu pour faciliter la transition entre un emploi et un autre, beaucoup plus que pour prendre en charge un très fort chômage qui, loin de se résorber, n'a fait que s'accroître depuis les années 80. Ce chômage ne résulte pas de difficultés économiques – la balance française des paiements enregistre des chiffres positifs –, mais de la transformation rapide des structures de production. Alors qu'une masse sans cesse plus grande de personnes s'appauvrit, sans que ses perspectives d'emploi ne s'améliorent, la richesse de quelques-uns ne cesse d'augmenter, rendant les inégalités encore plus insupportables.
Le système obligatoire d'assurance chômage mis en place en 1958 est financé par des cotisations sur salaires, versées par des travailleurs et les employeurs. Il accorde des prestations au prorata d'un salaire de référence, et pour une durée limitée. Sa structure est séparée de celle de la Sécurité sociale, mais il connaît, comme elle, une gestion paritaire par les organisations d'employeurs et les syndicats, au niveau local (ASSEDIC) et national (UNEDIC), avec une faible participation de l'État pour financer des situations transitoires. L'intervention de l'État se concentre sur un régime d'assistance financé sur le budget public, servant des prestations forfaitaires sous conditions de ressources, mais sans limitation de durée. Or, à partir de 1992, les conditions d'indemnisation – aussi bien du régime de l'assurance que de celui de l'assistance financée par l'État (allocation spécifique de solidarité, ASS) – ont été durcies, ce qui a contraint certaines catégories de chômeurs à recourir au RMI.