L'effet Vitrolles
Pour la première fois de son histoire, le Front national remporte une élection municipale à la majorité absolue des suffrages. Le retrait du candidat de la droite républicaine au deuxième tour n'aura pas permis à la gauche d'empêcher le succès de Catherine Mégret.
En ce début d'année, le Front national revient au cœur du débat politique. En confirmant, le 18 décembre 1996, l'invalidation du maire socialiste sortant, Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour une affaire de fausses factures en décembre 1995, et en déclarant inéligible pour un an son challenger, le délégué général du FN, Bruno Mégret (pour avoir dépassé de 9 % le plafond autorisé des dépenses de campagne), le Conseil d'État focalise les projecteurs sur Vitrolles, commune de la périphérie de Marseille, vieux fief de la gauche qui aime, depuis le milieu des années 80, flirter avec les hommes de Jean-Marie Le Pen.
Lors des municipales de juin 1995, Jean-Jacques Anglade, pourtant élu au premier tour en 1989, n'avait pu conserver sa mairie qu'à la majorité relative (45,02 % des voix), talonné par Bruno Mégret (42,89 %). Les 2 et 9 février 1997, en dépit du retrait forcé du délégué général du FN représenté par sa femme Catherine qui mène la liste, la donne est différente. Au premier tour, avec 46,69 % des suffrages, elle améliore sensiblement le score de son mari (43,04 % en juin 1995), devance largement le maire sortant (36,99 %) et enfonce confortablement Roger Guichard (16,3 %), le candidat de la majorité. En dépit du retrait de ce dernier, au second tour, le « sursaut républicain » n'aura pas lieu et le 9 février Catherine Mégret avec 52,48 % devient maire de Vitrolles, le premier maire Front national élu à la majorité absolue des suffrages. Pour le parti de Jean-Marie Le Pen, c'est une incontestable victoire, il gère désormais quatre villes et ce dernier succès après Orange, Toulon et Marignane est d'autant plus emblématique qu'il confirme que le « pseudo-front républicain » décrété plus ou moins de mauvaise grâce par la classe politique traditionnelle n'est plus en mesure de mettre en échec un candidat du FN.
Une succession de maladresses
Test national ou simple péripétie locale ? Sans doute, ne faut-il pas généraliser. Vitrolles n'est pas la France. La victoire par épouse interposée de Bruno Mégret – c'est lui qui, de bout en bout, a mené la campagne – est plus un accident consécutif au mauvais choix du candidat socialiste et aux atermoiements des partis de droite entre les deux tours.
Certes, Bruno Mégret laboure cette terre électorale depuis huit ans, sait présenter un « visage » convenable du Front et bénéficie d'une bonne implantation locale. Mais l'incapacité du PS, local et national, empêtré dans ses querelles de rapports de force internes, y est pour beaucoup. En ne s'opposant pas, d'abord, à la candidature de Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour « faux et usage de faux », en décembre 1995, et peu apprécié par les Vitrollais (une scission au sein de la section locale socialiste aura même lieu entre les deux tours) ; en n'assumant pas, ensuite, réellement ce choix – Lionel Jospin ne viendra le soutenir que du bout des lèvres entre les deux tours – le PS a ouvert un véritable boulevard au couple Mégret qui a eu beau jeu de dénoncer la corruption de la classe politique. Un des thèmes de prédilection du FN.
À cela, il faut ajouter les hésitations de la droite traditionnelle. Passe encore que pour faire barrage au candidat lepéniste, elle ne choisisse pas le meilleur des siens. Mais, à force de s'interroger sur l'opportunité ou non de retirer son candidat au deuxième tour, elle a lassé son électorat. Un électoral que le look polisse de Catherine Mégret n'effrayait pas. Et la confusion qui s'est ensuivie a permis au couple Mégret de jouer sur la connivence gauche-droite.
Il est vrai que, pour la majorité de l'époque, le dilemme ressemblait fort à un piège. Fallait-il, au nom du « réflexe républicain », quitte à désespérer son électorat et au risque de faire jurisprudence, retirer, pour la première fois, un candidat en mesure d'être présent au deuxième tour ? Ou bien ne valait-il pas mieux le maintenir pour fixer l'électorat de droite avec l'espoir, compte tenu du rapport de force, d'empêcher le candidat du FN d'empocher une victoire à la majorité absolue dans le cadre d'un duel avec la gauche. Finalement, après avoir mesuré les avantages et inconvénients de l'une et l'autre de ces hypothèses, la droite a préféré faire une « opération d'image » en retirant son candidat et en ne prenant pas le risque de porter le chapeau de l'élection prévisible dans les deux cas de figure du couple Mégret.
Une étape pour Bruno Mégret ?
Résultat : le 9 février, Vitrolles s'est retrouvée pour la première fois de son histoire de gauche avec une municipalité lepéniste. Un curieux attelage exécutif composé d'un maire fantoche mais élu tout à fait démocratiquement en la personne de Catherine Mégret et d'un conseiller très spécial, véritable maître des lieux, Bruno, son mari. Une élection qui permet au délégué national du Front national de conforter ses positions au sein de son parti et de se poser en véritable challenger de Jean-Marie Le Pen (même si son échec aux élections législatives de juin et les débordements médiatiques de son épouse – qui proclame à la presse allemande sa croyance en l'inégalité des races – handicapent, au moins temporairement, sa stratégie politique de rapprochement avec la droite républicaine).
B. M.
Le Front à Vitrolles
39 000 habitants.
1/3 de la population a moins de 25 ans.
Taux de chômage : 17 %.
Législatives, juin 1997, 2e tour : Bruno Mégret, 45,89 %, battu.
Municipales, février 1997, 2e tour : Catherine Mégret, 52,48 %, élue.
Municipales, juin 1995, 2e tour : Bruno Mégret, 42,89 %, battu.
Présidentielle, avril 1995, 1er tour : Jean-Marie Le Pen en tête avec 23,67 %.
Législatives, mars 1993, 2e tour : Bruno Mégret, 49,52 %, battu.
Régionales, mars 1992 : la liste FN en tête avec 28,56 %.
Municipales, mars 1989, 1er tour : avec 11,3 %, la liste FN est en 3e position, celle du PS l'emporte.