Le gouvernement subventionne massivement l'embauche des jeunes
Le lundi 13 octobre, l'Assemblée nationale adoptait le projet de loi sur l'emploi des jeunes. Son objectif : permettre l'accès à l'emploi, dans les secteurs public et associatif, de 350 000 jeunes de 18 à 26 ans dans le cadre d'un contrat de cinq ans. Le pari, ambitieux et généreux, n'est pas gagné d'avance.
Inspirée et défendue par Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité et présidente de la fondation Agir contre l'exclusion, la loi sur l'emploi des jeunes a été bâtie sur un double constat. La France est un pays dont le quart des jeunes actifs est au chômage. Pourtant, il existerait, à la frontière du public et du privé, des emplois « dormants » répondant à des besoins sociaux, non satisfaits mais réels, des citoyens : être mieux accueilli dans les services publics, rassuré dans les quartiers sensibles, initié aux technologies nouvelles... L'État doit donc inciter les collectivités territoriales, les établissements publics et le réseau associatif à multiplier ces emplois, tout en les réservant aux jeunes de moins de 26 ans.
Ce programme, qui conduit le gouvernement de Lionel Jospin à lutter sur les fronts de l'emploi et de la solidarité, est ambitieux. L'objectif est d'offrir en trois ans 350 000 contrats de droit privé à des jeunes chômeurs, quel que soit leur niveau de qualification. Volontariste, le gouvernement entend montrer l'exemple en embauchant, avant janvier 1998, 40 000 jeunes dans l'Éducation nationale. Afin d'inciter les employeurs visés à suivre, la loi prévoit le versement par l'État pendant cinq ans d'une aide de 92 000 F par an et par emploi. Cette aide correspond à 80 % du SMIC, la rémunération des jeunes embauchés devant être au moins égale au salaire minimum (6 663 F bruts à la fin octobre 1997). Au total, l'ensemble de ces mesures devrait coûter 35 milliards de francs à l'État.
Ambitieuse et généreuse, la loi Aubry recèle néanmoins un certain nombre d'incertitudes. Le risque majeur d'un dispositif aussi lourd est de subventionner des emplois de « seconde zone », mal payés et peu qualifiés, au détriment d'emplois publics ou privés qui auraient pu ou dû être créés. Les dix personnalités mandatées pour identifier les nouveaux métiers aidés par l'État se sont pourtant inspirées des contrats emploi-solidarité (CES) ou initiative-emploi (CIE) grâce auxquels des milliers de jeunes ont déjà trouvé une activité d'agent d'ambiance, d'accompagnement ou d'accueil au sein des collectivités locales. Mais la plupart de ces contrats incluaient une formation financée par l'État. Son rôle ? Permettre aux salariés d'acquérir une qualification reconnue sur le marché du travail.
Vrais ou faux emplois ?
Or, les emplois Aubry, à temps complet, ne prévoient rien de tel. La loi stipule simplement qu'une formation pourrait « éventuellement » être prévue, sans préciser l'origine de son financement. La formation pendant le travail, gage d'évolution et donc de pérennisation d'un poste, sera donc difficile à mettre en œuvre, notamment dans les petites structures telles que les associations, déjà appelées à financer une part importante du dispositif. Car, si l'État prend en charge 80 % du SMIC versé au jeune salarié, le complément (1 800 F majorés des charges patronales) reste à la charge de l'employeur. Au-delà de cinq ans, lorsque le dispositif d'aides s'arrêtera, la pérennité des emplois les moins qualifiés et les moins évolutifs sera de toute façon remise en cause.
Dans les grandes administrations (police ou Éducation nationale), un système inspiré du tutorat pourrait être envisagé. Mais, cette fois, ce sont les syndicats et les personnels, très méfiants à l'égard de tout ce qui pourrait engendrer une fonction publique « au rabais », qui font blocage. Certains voient d'un très mauvais œil l'arrivée, pour la première fois en France, d'un contrat à durée limitée de longue durée (cinq ans). D'autres croient trouver dans la loi un moyen pour les employeurs les moins scrupuleux de prérecruter des fonctionnaires, voire d'embaucher à moindre frais des jeunes diplômés qui auraient peut être trouvé un travail mieux rémunéré sans cette aide ! Si tel était le cas, les vagues de recrutements pourraient s'opérer au détriment des jeunes les moins qualifiés ou des demandeurs d'emploi de plus de 26 ans. Tous ceux qui ont le plus besoin d'un soutien de la part de l'État.