Christophe Donner, qui ne cache pas son propos : « J'écris sur le désir, sur la folie du désir... », en use avec talent. Prolifique, il publie quatre livres cette année. Si les trois premiers répondent à son projet, le quatrième ouvre d'autres perspectives : Le voile, le visage et l'âme confronte une Américaine défigurée par un accident et une Égyptienne dont les souffrances suggèrent le sort des femmes dans de trop nombreux pays. Éric Neuhoff se contente d'ébaucher une mince intrigue (la Petite Française) qui ne parvient qu'à faire résonner de faibles échos de Lolita. Quant à Dominique Noguez, son narrateur décrit avec conviction son envoûtement pour une strip-teaseuse (Amour noir).

La tentation de l'histoire

Plutôt que de peindre une fresque d'aujourd'hui, certains situent cette tentative dans le passé. Ils trouvent une distance en s'enfonçant dans le temps, confondant leur art avec celui des anciens historiens qui entendaient, en retraçant d'anciens événements, éclairer le présent. La Bataille de Patrick Rambaud illustre cette démarche : l'auteur s'efforce de reprendre le flambeau des romanciers du xixe s. illuminant la société. Il retrace la bataille d'Essling (1809), massacre plutôt que victoire. Et la peinture de l'entêtement de Napoléon insoucieux du nombre des victimes devient une accusation indirecte des responsables des massacres contemporains. Une expédition scientifique du xviiie s. au Pérou permet à Patrick Drevet (le Corps du monde) de redonner vie à un représentant du Siècle des lumières, le botaniste Joseph de Jussieu, tentant de réconcilier l'affectif et la raison. Le rapport à l'histoire est plus complexe chez Philippe Le Guillou qui présente le deuxième panneau de son « triptyque » flamboyant les Sept Noms du peintre (le premier évoquait le foisonnement des légendes celtiques de la Table ronde). S'inspirant de la vie du peintre anglais Bacon, il s'immerge dans le passé de la peinture et pose la question intemporelle de la création face au vertige du pourrissement des chairs.

Les spectres du passé

Lorsque l'histoire contemporaine est source d'inspiration apparaissent les spectres décharnés et mutilés qui la hantent. Leur présence évoquée, loin de dévoiler des secrets, défie l'analyse, renvoie l'image du néant. L'esprit pétrifié ne peut ni comprendre ni pardonner. « Je n'ai plus rien », constate simplement un survivant de l'Holocauste dans la saga d'une famille juive ashkénaze contée par Sarah Frydman (la Marche des vivants). Namokel titre Catherine Lépront dont l'héroïne, lorsque son frère est tué en Algérie, reste interdite devant le mot mystérieux qu'utilisait son grand-père pour faire référence à l'indicible – les charniers des camps. Il suffit à Lydie Salvayre, signant un des livres forts de la rentrée, de la visite d'un huissier d'aujourd'hui et surgit aux yeux d'une mère affrontée à sa fille la Compagnie des spectres.

Fin de millénaire (essais et documents)

L'annonce de la fin d'une époque se précise, parfois avec un sourire de triomphe, mais le plus souvent avec une grimace teintée de millénarisme. Pour beaucoup, le temps est venu des bilans et des analyses des fautes du passé. Et, tout d'abord, il faut lever le voile qui entourait le régime de Vichy. La soumission de l'Administration est détaillée par Marc Olivier Baruch dans Servir l'État français. Le procès du préfet Maurice Papon donne l'occasion à Bernard Violet d'établir le Dossier Papon. Denis Peschanki examine l'esprit de la période (Vichy 1940-1944, Contrôle et Exclusion) et Jean-Pierre Azéma et Olivier Wieworka en dressent un tableau d'ensemble : Vichy, 1940-1944. Yves Durand élargit le champ des investigations et propose Une histoire générale de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette perspective globale, l'ouvrage collectif le Livre noir du communisme tire les conséquences tragiques d'une vaste illusion. Un livre à compléter par l'Histoire de l'Internationale communiste de Pierre Broué.

« Mondialisation », maître mot encore des réflexions sur la domination de l'économie. Les uns la dénoncent, tel Ignacio Ramonet (Géopolitique du chaos), d'autres la célèbrent, comme Alain Mine (la Mondialisation heureuse). Mais Michel Musolino souligne : « l'art de se tromper » dans l'Imposture économique, tandis qu'Isabelle Stengers s'en prend à « l'expertise scientifique » (Sciences et Pouvoirs).