Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Patrimoine

Le patrimoine est traditionnellement l'enfant chéri des gouvernements de droite. Pour certains essayistes conservateurs, dont Marc Fumaroli, sa protection est même la seule justification du ministère de la Culture. Et l'on doit effectivement à François Léotard, qui occupa la rue de Valois pendant la première cohabitation (1986-1988), la première loi de programme destinée à sauvegarder les grandes traces de notre mémoire. Elle a été renouvelée par Jack Lang. Le budget présenté par Philippe Douste-Blazy pour 1997 écorne sévèrement cette priorité. D'abord, la deuxième loi de programme, qui devait s'achever en 1998, est étalée sur une année de plus. Les autorisations de programme – c'est-à-dire la capacité du ministère à engager des opérations nouvelles en matière de patrimoine –, qui se montaient à plus de 1,6 milliard de francs en 1996, sont ramenées à 1,07 milliard, soit une diminution de 34,6 %. Pour éviter que les entreprises spécialisées qui travaillent sur les monuments historiques ne soient trop pénalisées, le ministre a indiqué qu'« il veillera à mobiliser plus activement les crédits mis en place les années précédentes pour que le volume global des chantiers ouverts en 1997 ne soit pas réduit ».

Fondation

Est-ce en prévision de ce désengagement que le ministre avait imaginé son projet de la Fondation du patrimoine ? Sûrement pas. Il s'agit pour le sénateur de Maine-et-Loire, Jean-Paul Hugot (RPR), auteur du rapport qui a donné naissance au texte législatif, d'associer l'État et le mécénat pour permettre la sauvegarde des biens culturels non encore protégés. La Fondation, reconnue d'utilité publique, sera autonome vis-à-vis de l'État. Son capital sera d'origine totalement privée. Elle disposera de moyens étendus : les pouvoirs publics pourront exproprier à son profit, elle pourra préempter des objets d'art et gérer des biens. Elle sera également habilitée à recevoir des dons, des legs et des subventions. Son conseil d'administration sera composé à 51 % par ses fondateurs, c'est-à-dire par les entreprises qui contribueront au capital de 40 à 50 millions de francs. Contrairement aux fondations traditionnelles, les fondateurs auront pouvoir de gestion. Ces ressources seront complétées par les cotisations des adhérents directs, eux aussi représentés au sein du conseil d'administration. Les autres sièges du conseil seront détenus par des représentants de l'État ou des collectivités locales. « Il s'agit d'injecter la logique de l'entreprise dans la Fondation », déclarait le sénateur Hugot.

Cette fondation s'inspire bien évidemment du National Trust britannique, un organisme privé qui rassemble 2,2 millions d'adhérents et gère 238 000 ha de terrains, 885 km de côtes, 220 demeures, 162 parcs, 940 bâtiments industriels, 466 sites naturels et 40 000 sites archéologiques. Mais la fondation britannique a plus de cent ans d'existence et les traditions ne sont pas vécues de la même manière de part et d'autre de la Manche. L'entreprise française, pour être viable, suppose une véritable révolution de la part de l'État français, des entreprises comme des particuliers. La Fondation devait être opérationnelle dès l'automne 1996, mais son accouchement semble plus difficile que prévu : à la fin de l'année, la rue de Valois était toujours muette sur la suite de l'opération et aucune entreprise n'avait fait savoir qu'elle entrait dans le capital de la Fondation.

Une révolution au sein des gestionnaires du patrimoine français semble pourtant nécessaire. La corporation des architectes en chef des Monuments historiques chargée de la rénovation des monuments classés est de plus en plus attaquée. Les architectes sont accusés d'être juges et parties : ce sont eux qui commandent les travaux et eux qui les suivent. La profession, à savoir une cinquantaine de praticiens libéraux qui ont effectivement le monopole des travaux dans ce domaine, s'indigne d'un tel procès et récuse en bloc les accusations. Plusieurs affaires ont néanmoins défrayé la chronique au cour de l'année 1996. Le propriétaire d'un château classé, à Sarzay, dans l'Indre, a été condamné pour avoir trop bien rénové seul le bâtiment auquel il a consacre toutes ses économies. Celui de la chartreuse du Mont-Dieu, dans les Ardennes, a, lui, été pénalisé pour n'avoir pas fait de travaux alors que l'administration des Monuments historiques était largement responsable du mauvais état de l'édifice. Une autre révolution, beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, concerne les mentalités. Si la notion de patrimoine a largement évolué ces dernières années, sa dimension industrielle n'est toujours que médiocrement prise en compte en dépit de déclarations ministérielles précises à la fin de 1995. Ainsi, l'année a été catastrophique pour cette forme de patrimoine. À Toulouse, un des derniers gazomètres de France, datant de 1914, récemment en service, a été détruit en mai, alors que, en Allemagne et en Italie, un certain nombre de ces édifices caractéristiques ont été transformés en galeries d'art ou en salles de spectacles. Plus grave, à Strasbourg, le silo à céréales situé dans le Port autonome et inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques a été démoli en juin. Au cours du même mois commençait le tronçonnage de la grue Gusto, à Saint-Nazaire. Cet instrument de levage de 1 400 tonnes, l'un des plus puissants du monde, dont la contre-flèche, d'une portée de 100 m, domine le bassin Jean-Bart, avait été construit en 1936 par les chantiers Gusto, d'où son nom. Son installation dans le port breton avait bouleversé la construction dans les chantiers navals. La grue avait fait l'objet d'un avis de protection de la part des Monuments historiques en 1992. À Marseille, enfin, les silos d'Arenc, construits vers 1890 sur le port de la Joliette, et qui ont fait l'objet de nombreuses études, sont toujours en instance de démolition. Dommage.

Emmanuel de Roux