Canada

L'année 1995 allait-elle être celle de la fracture du Canada et de la naissance d'un Québec indépendant ? Alors qu'en début de campagne le combat souverainiste semblait perdu d'avance, le « oui » à l'indépendance manque de peu la victoire. Les provinces anglophones devront tenir compte de la vivacité du sentiment indépendantiste dans la Belle Province, à un moment où le gouvernement fédéral doit faire face à un déficit budgétaire croissant et à des conflits de plus en plus tendus avec la minorité amérindienne. L'inflation semble jugulée, avec une hausse des prix de 0,2 % dans l'ensemble du Canada en 1994. La croissance, qui avait repris en 1994 (4,1 %), s'essouffle dès le mois de mars 1995. Le second trimestre voit même le PIB reculer. Le chômage reste obstinément élevé, atteignant 9 % sur l'ensemble du pays, et 12 % au Québec.

Un paysage politique changeant

En Ontario, le gouvernement socialiste du Nouveau Parti démocratique (NPD), dirigé par Bob Rae, est balayé lors des élections législatives de la province. Le NPD cède la place aux conservateurs de Mike Harris, élus sur un programme d'austérité sévère. Le nouveau gouvernement annonce des coupes budgétaires de l'ordre de 9 milliards de dollars canadiens (environ 32,6 milliards de francs) dès 1996. Le marasme économique persistant aura été fatal à son prédécesseur, le premier gouvernement NPD de la province de l'Ontario.

À Terre-Neuve, le gouvernement libéral du Premier ministre Clyde Wells remporte le référendum sur la révision du système scolaire. Le gouvernement pourra donc retirer à l'Église la gestion du système éducatif (encore confessionnel à Terre-Neuve) et lui substituer un système public laïc. Le précédent référendum sur la même question, en 1948, avait abouti à la défaite des partisans de l'école laïque. Si l'essentiel est désormais fait pour C. Wells, il a cependant pu mesurer le poids que garde l'Église dans la société de Terre-Neuve : au début de la campagne, les sondages donnaient le « oui » vainqueur à 70 % ; or ce dernier n'a finalement obtenu que 56 % des suffrages.

Des conflits commerciaux persistants

Le Canada anglais est encore inquiet des conséquences du libre-échange avec les États-Unis. En représailles aux mesures de restriction imposées sur les exportations de bois d'œuvre canadien, le Canada a limité les importations de produits laitiers et de volaille américains ; par ailleurs, un différend sur le blé continue d'opposer Washington et Ottawa. Dès les années 1960, des Californiens avaient proposé la diversion des rivières du Yukon et de la Colombie-Britannique pour alimenter les États du Centre et de l'Ouest américains. Un plan d'exportation d'eau par la Colombie-Britannique rapporterait 500 millions de dollars canadiens par an. Mais le gouvernement provincial craint que l'eau, considérée dès lors comme un bien, soit soumise aux règles de libre-échange de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et échappe ainsi à la souveraineté de la province. Le 8 juin, une loi est votée qui interdit ce type de commerce.

Conflit sur la pêche avec l'Union européenne

En mars, des garde-côtes canadiens arrêtent des pêcheurs espagnols. Ottawa les accuse de ne pas respecter les quotas établis pour le flétan noir par l'OPANO (Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest) qui accorde 12,6 % des prises à l'Union européenne et 60 % au Canada.

Estimant le renouvellement de l'espèce menacé, Ottawa fait arraisonner de nombreux chalutiers espagnols en mars et en avril. L'Espagne envoie deux navires de guerre sur les lieux et suspend ses relations diplomatiques avec le Canada en mars. Madrid, se prévalant de « droits historiques », rejette en avril les accords de l'OPANO. Après la rupture de la solidarité européenne (l'Irlande et la Grande-Bretagne se rallient aux thèses canadiennes), de nouveaux quotas sont définis : 55 % pour l'UE mais à prélever sur un tonnage global inférieur à celui initialement prévu. Illégale au regard du droit international, la démarche du Canada s'en trouve cependant légitimée.

Réduire le déficit

Le 27 février, Paul Martin, le ministre des Finances du gouvernement fédéral, présente son budget aux Communes. La question de la dette publique fédérale devient cruciale : le gouvernement dépense 30 % de ses ressources pour son remboursement. Le budget prévoit de faire passer le déficit annuel de 38 à 24,3 milliards de dollars canadiens sur l'exercice 1996-97 (soit 3 % du PIB). La fonction publique devra supprimer 45 000 postes, l'aide au développement sera réduite de 21 %. Pour sa participation aux domaines de la santé, de l'enseignement et de l'aide sociale, le gouvernement fédéral attribuera désormais une enveloppe globale fixe aux gouvernements provinciaux. Ottawa se libère ainsi de la spirale inflationniste de ces programmes provinciaux, mais renonce en même temps à les contrôler. Il lui sera maintenant difficile d'imposer des standards nationaux aux provinces.

La campagne référendaire au Québec

Cette question de la dette fédérale et de son partage entre le Canada et le Québec indépendant fait couler beaucoup d'encre au Québec. À coup d'études, le Parti libéral du Québec (PLQ anti-indépendantiste) et les souverainistes rivalisent de rhétorique, qui pour prouver que l'indépendance entraînerait un accroissement important de la dette du Québec, qui pour démontrer le contraire.