Les observateurs ont eu des difficultés encore plus grandes à interpréter le processus de succession. Depuis 1973, Kim Il Sung avait désigné comme dauphin son fils aîné, Kim Jong Il, actuellement âgé de 51 ans. Le « grand leader » voulait établir la première dynastie communiste. Les rumeurs les plus diverses courent au sujet de Kim Jong Il, ce dernier étant toujours resté dans l'ombre et n'ayant rencontré qu'exceptionnellement des visiteurs étrangers. Les rapports des services de renseignements et des diplomates occidentaux sont contradictoires. La plupart estiment que Kim Jong Il est un personnage faible, écrasé par le charisme de son père, buveur, joueur, amateur de femmes, à la santé fragile et aux appuis précaires au sein de l'appareil politique nord-coréen. Ces appréciations concluent à un renversement rapide de Kim Jong Il par un coup d'État militaire ou une révolution de palais. Mais d'autres spécialistes, dont les chercheurs de l'Institut de réunification de Séoul, qui interrogent régulièrement les déserteurs et entretiennent des contacts suivis avec la Corée du Nord, estiment que cette mauvaise réputation de Kim Jong Il a été façonnée par la propagande du Sud et que « l'héritier désigné » est capable d'assumer la succession. D'après eux, Kim Jong Il maîtriserait l'appareil du Parti communiste et serait, pour l'instant, assuré du soutien de l'armée. Ils estiment également qu'il est capable de faire évoluer le régime et qu'il suivait déjà depuis plusieurs années le dossier nucléaire.
Stabilisation
Cette dernière analyse semble étayée par la réapparition officielle de Kim Jong Il, le 16 octobre, à l'issue de cent jours de « deuil national » au cours desquels les spéculations sur les difficultés de la succession se sont multipliées, en l'absence de tout mouvement de Pyongyang. L'orchestration de la cérémonie du 16 octobre avait été réglée de manière à faire cesser les rumeurs de dissensions entre factions. Les responsables du gouvernement, du Parti et de l'armée ont été présentés à la tribune dans un ordre identique à celui qui prévalait lors des funérailles de Kim Il Sung le 20 juillet.
Mais c'est surtout la signature, le 21 octobre à Genève, après plus de seize mois de laborieuses négociations, d'un important accord sur le dossier nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord qui semble démontrer que Kim Jong Il est capable de prendre des décisions d'importance. L'accord, qui prévoit le démantèlement du programme nucléaire nord-coréen et son remplacement avant 2003 par un parc de deux réacteurs non-proliférants, devrait dans un premier temps réduire les tensions militaires et diplomatiques. Dès le mois de novembre, la machine nucléaire nord-coréenne (graphite, gaz) devrait être gelée. Aucun des trois réacteurs (un de 5 MW existant et deux de 200 et 50 MW en construction) ne pourra être rechargé. L'usine de retraitement qui permet l'extraction du plutonium (pouvant être utilisé à des fins militaires et nécessaire à la construction d'une bombe atomique) sera placée sous scellés. Le combustible irradié devra quitter le pays, vraisemblablement vers la Chine et la Russie. Les États-Unis s'engagent en échange à fournir, dès le début de l'année 1995, 500 000 tonnes de pétrole par an à la Corée du Nord, pour lui permettre de subvenir à ses besoins énergétiques jusqu'en 2003, date à laquelle la Corée du Sud et le Japon devraient avoir fourni à Pyongyang des réacteurs à eau légère dégageant moins de plutonium. Les États-Unis se sont également engagés à ouvrir avant la mi-1996 un bureau de liaison à Pyongyang, premier pas vers le rétablissement des relations diplomatiques. Cet accord américano-nord-coréen a entraîné des réactions critiques, notamment de l'AIEA qui estime avoir été dépossédée du dossier par les États-Unis (d'autant que certains engagements figurent dans une « annexe secrète » qui ne sera pas rendue publique). L'AIEA considère que l'accord n'apporte pas de garanties absolues sur la non-prolifération, car il diffère le contrôle des installations de Pyongyang à la fin du siècle. L'autre incertitude concerne l'ouverture de négociations secondaires entre la Corée du Nord, la Corée du Sud et le Japon pour la fourniture des réacteurs de remplacement à eau légère. À la fin du mois d'octobre, aucune date n'était encore fixée pour la reprise du dialogue inter-coréen, interrompu par la mort de Kim Il Sung.
L'espoir de voir la Corée du Nord briser son isolement économique et diplomatique est néanmoins réapparu avec cet accord. La situation des droits de l'homme et des libertés politiques dans ce régime dictatorial n'a cependant pas évolué au cours de cette année alors que, parallèlement, le régime du Sud poursuivait sa démocratisation.
Chrono. : 26/02, 21/03, 4/04, 18/06, 8/07, 13/08, 21/10.
Caroline Puel