Les photographes investissent le terrain que les plasticiens désertent. « On va aujourd'hui au musée pour être en paix, oublier la réalité. C'est une supercherie car de tout temps les artistes se sont préoccupés de l'état du monde », affirme Gilles Peress. Son exposition à l'école des beaux-arts de Nîmes, intitulée Farewell to Bosnia, se composait d'images prises à Sarajevo et répondait à plusieurs questions présentes également chez Ophuls : comment « voir » et transmettre la réalité, c'est-à-dire ici l'horreur d'un conflit ? En quoi un travail documentaire peut-il être également un travail d'artiste et pourquoi celui-ci peut-il retrouver une attitude morale ? Ce photographe de l'agence Magnum présentait quatre-vingt-dix photos réparties en six blocs compacts : des images en noir et blanc sans afféterie et sans voyeurisme. Les mêmes exigences s'expriment dans le travail de Gérard Rondeau qui a publié avec Zlatko Dizdarevic le Silence et rien à l'entour (éditions Actes Sud), un livre comprenant des écrits du second, rédacteur en chef du quotidien Oslobodonije, et des photographies du premier décrivant la vie quotidienne pendant le siège et la destruction progressive de la ville. Le Festival de photojournalisme de Perpignan, qui a drainé au début de septembre près de cent mille personnes, proposait un fleuve d'images en quarante expositions et six soirées de projections. Au « menu », les principaux événements de l'année : encore l'Algérie, la Somalie, le Rwanda, la Bosnie et toujours Sarajevo, un déluge qui menaçait d'engloutir les sujets eux-mêmes : kilos de photos, ni bonnes, ni mauvaises, qui se contentent d'enregistrer l'horreur à la chaîne. À la plupart, il manquait ce regard individuel, esthétique et moral que réclame Ophuls et qui est l'urgence du moment.
Emmanuel de Roux et Philippe Dagen
Journalistes au Monde