Astronomie et espace
Astronomie
Une année féconde
Tous les trois ans, l'Assemblée générale de l'Union astronomique internationale (UAI) permet aux astronomes du monde entier de se rencontrer pour présenter, comparer et discuter les résultats de leurs travaux ou coordonner leurs recherches. De la mise en évidence d'hélium remontant au big-bang dans le spectre d'un quasar lointain à la découverte, dans la constellation de Cassiopée, d'une nouvelle galaxie du Groupe local, distante de quelque 10 millions d'années de lumière seulement ; de l'extraordinaire moisson d'images fournie par le télescope spatial Hubble depuis sa réparation en orbite à l'identification dans la Voie lactée de deux astres énigmatiques, d'où s'échappent deux jets de matière à des vitesses apparemment supérieures à celle de la lumière, les participants de la XXIIe Assemblée générale, du 15 au 27 août, à La Haye, ont pu trouver dans les découvertes les plus récentes de quoi alimenter de nombreux débats. Mais l'événement le plus abondamment commenté a été la chute sur Jupiter, entre le 16 et le 21 juillet, d'une vingtaine de fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 : un phénomène sans doute fréquent à l'échelle cosmique, mais jamais encore observé par les astronomes. Attendue depuis plus d'un an (v. Journal de l'Année, édition 1994), cette succession de collisions a mobilisé tous les grands observatoires et a pu être suivie, au sol ou dans l'espace, dans tous les domaines spectraux s'étendant des rayons X aux ondes radio décimétriques. Les impacts ont provoqué d'énormes perturbations dans l'atmosphère de Jupiter, dont l'étude devrait fournir des informations nouvelles, tant sur la structure de la planète que sur celle des comètes.
Les modèles établis avant la collision laissaient prévoir, compte tenu de la vitesse (plus de 200 000 km/h) et des dimensions estimées des fragments cométaires, de l'ordre de un à quelques kilomètres, que le cataclysme libérerait une énergie totale équivalente à celle dégagée par l'explosion de 100 millions de mégatonnes de T.N.T. Effectivement, les impacts ont fait jaillir des panaches de matière chaude (d'une température de plus de 1 000 °C) de plusieurs milliers de kilomètres de hauteur et, sur les sites concernés, dans la bande tempérée Syd-Sud de Jupiter, on a observé la formation d'immenses structures nuageuses, dont certaines sont restées visibles plusieurs semaines. Toutefois, on a pu établir que les fragments de comète ont été détruits avant de pénétrer dans les couches inférieures de l'atmosphère jovienne : on savait déjà que les comètes sont formées de matière peu dense, mais il semble que le matériau cométaire soit encore plus poreux et plus friable que ne le pensaient les astronomes. Les études spectroscopiques ont, par ailleurs, permis de détecter à différentes altitudes, à l'aplomb des sites d'impact, de nombreux composés chimiques habituellement absents ou très peu abondants sur Jupiter : les analyses en cours visent à déterminer s'ils proviennent de la comète elle-même ou des réactions chimiques déclenchées par les impacts dans la haute atmosphère jovienne. Enfin, des observations effectuées sur l'hémisphère Nord de Jupiter ont révélé le transfert de particules chargées le long des lignes de force du champ magnétique issues des impacts, et l'on a également mis en évidence sur Jupiter des phénomènes auroraux consécutifs aux impacts.
Magellan
En octobre, on a salué la fin de la mission de la sonde Magellan autour de Vénus. Pendant plus de quatre ans, l'engin américain a effectué quelque 15 000 tours de la planète. Grâce à son radar imageur, seul moyen de percer la couche de nuages qui entoure Vénus, on a obtenu des millions de vues qui ont permis de cartographier la quasi-totalité de la planète, jusque-là très mal connue. Le monde de Vénus est constitué à 85 % de grandes plaines rythmées de montagnes, de hauts plateaux géants longs de plus de 10 000 km. On a ainsi la preuve qu'une intense activité tectonique a eu lieu dans le passé. Magellan a également révélé de très nombreuses manifestations d'un volcanisme intense dont l'étude va permettre de mieux comprendre l'histoire géologique de la planète. Cette compréhension est d'autant plus précieuse qu'on a souvent rapproché Vénus, la « planète sœur », de la Terre, dont les dimensions sont comparables (12 700 km de diamètre contre 12 100 pour Vénus). Grâce à Magellan, on pourra mieux comparer l'influence du Soleil sur l'évolution de mondes proches. À l'origine, Vénus et la Terre étaient quasiment identiques. Mais sur Vénus, située à 41 millions de kilomètres plus près du Soleil que la Terre, et qui reçoit donc davantage de rayonnement solaire, l'eau n'a pu subsister à l'état liquide : la planète s'est enveloppée de gaz carbonique qui en fait une véritable fournaise.
Espace
Les lanceurs classiques
L'Asie est un continent avec lequel il faudra de plus en plus compter dans le domaine spatial. La Chine, le Japon et l'Inde, déjà membres du club restreint des puissances spatiales, ont inauguré chacun avec succès, cette année, un nouveau lanceur qui témoigne de leurs ambitions. La Longue Marche 3A, haute de 52 m, est désormais la plus grande fusée chinoise, à défaut d'être la plus puissante. D'une masse de 241 t au décollage, elle permet de placer une charge utile de 2,3 t en orbite de transfert géosynchrone. Fruit de 10 ans d'efforts, la nouvelle fusée japonaise H2 est à la fois la première entièrement conçue et réalisée au Japon et la plus puissante réalisée par ce pays. Haute de 50 m pour une masse de 264 t, elle comporte un bi-étage central à moteurs cryotechniques flanqué de deux gros propulseurs d'appoint à poudre. Sa capacité de lancement est de 2 t vers les planètes ou en orbite géosynchrone et de 10 t en orbite basse à 250 km. En ce qui concerne le nouveau lanceur polaire indien PSLV, aboutissement de douze ans d'efforts, il mesure 44 m de haut, pèse 275 t au décollage et comporte quatre étages à propulsion mixte (ergols liquides et poudre) ainsi que quatre propulseurs auxiliaires à poudre pour l'assistance au décollage ; il peut placer 1 t sur une orbite polaire à 900 km d'altitude, et devrait être utilisé notamment pour la mise en orbite de satellites militaires de reconnaissance. Malgré une concurrence qui s'accroît au plan international, les Européens restent confiants. Le 24 janvier, l'échec, après 26 succès consécutifs, du 63e vol du lanceur Ariane (le 6e depuis le vol inaugural de la fusée, en décembre 1979) paraît n'être qu'un incident de parcours, dû à une défaillance de la pompe à oxygène liquide du moteur du 3e étage. Les deux satellites de télécommunications perdus (Eutelsat II F5 et Türksat 1A), assurés pour 356 millions de dollars, représentent tout de même le plus gros sinistre spatial jamais enregistré. Après plus de quatre mois d'immobilisation, mis à profit pour lui apporter les modifications jugées indispensables, la fusée renoue avec le succès : 6 vols réussis autorisent la mise en orbite de 12 satellites de télécommunications, destinés notamment au Japon, à la Turquie, au Mexique, au Brésil et à la Thaïlande. Mais, le 1er décembre, pour son 70e vol, la fusée connaît un nouvel échec dû, une fois encore, à une défaillance du moteur du 3e étage. Parallèlement à l'exploitation d'Ariane 4 se poursuit activement la mise au point du lanceur Ariane 5, dont le premier vol est prévu à l'automne 1995.
Les vols habités
Les huit vols de la navette spatiale américaine prévus pour cette année ont été effectués. Ils ont mobilisé au total 48 astronautes, dont trois non américains qui ont accompli leur premier vol à bord d'un vaisseau spatial des États-Unis : le Russe Krikalev, en février ; la Japonaise Mukai (première astronaute japonaise à voler), en juillet, et le Français Jean-François Clervoy (cinquième spationaute français à voler), en novembre. Âgé de 35 ans, Clervoy volait sous les couleurs de l'ESA, l'Agence spatiale européenne. Spécialiste de mission, il a eu pour tâche principale d'actionner le bras télémanipulateur de la navette pour sortir de la soute de l'orbiteur, puis récupérer à la fin de la mission, un satellite allemand d'étude de l'atmosphère. Il a procédé par ailleurs à diverses expérimentations à l'intérieur de la navette, notamment celle d'un nouveau siège qui permettra aux cosmonautes ayant effectué un vol de longue durée de revenir au sol en position allongée. Cinq missions de la navette ont été consacrées à l'aéronomie. à la géophysique ou à l'astrophysique (imagerie radar de la Terre à l'aide du Space radar Laboratory, étude de l'atmosphère à l'aide des instruments embarqués sur Atlas 3 et du lidar LITE, observations astronomiques à l'aide des plates-formes Spartan 201 et Astro 2, mise en orbite du satellite Wind pour l'étude du vent solaire) ; les trois autres ont eu pour principal objet des recherches en microgravité (missions Spacehab 2, IML 2 et USMP 2). L'un des vols a été également l'occasion de tester la maniabilité d'un nouveau système de propulsion individuel utilisable par les astronautes lors de leurs sorties extra-véhiculaires, le SAFER, une sorte de sac à dos équipé de propulseurs à azote, beaucoup plus léger et bien moins coûteux que le « fauteuil volant » MMU, expérimenté en 1984 et jamais utilisé par la suite. Depuis sa mise en service en 1981, et jusqu'à la fin de cette année, la navette spatiale a effectué au total 67 vols. Le 63e, du 8 au 27 juillet, a établi un nouveau record de durée : 14 jours, 17 heures, 55 minutes. Du côté russe, la station orbitale Mir 1 a accueilli au cours de l'année trois nouveaux équipages (les 15e, 16e et 17e depuis sa mise en orbite), représentant au total huit cosmonautes. Parmi les trois premiers arrivants, amenés le 10 janvier par le vaisseau Soyouz-TM 18, figure le médecin-cardiologue Valeri V. Poliakov qui doit, en principe, rester à bord de la station jusqu'au printemps 1995 afin de porter à plus de 14 mois le record de durée de séjour humain dans l'espace. Le dernier équipage, qui quitte la Terre le 3 octobre et atteint la station deux jours plus tard, à bord de Soyouz-TM 20, comprend parmi ses trois membres l'Allemand Ulf Merbold. Celui-ci, déjà titulaire de deux vols à bord de la navette américaine, va séjourner 30 jours à l'intérieur de Mir, en accomplissant un programme d'expériences médicales ou technologiques, dans le cadre de la mission EuroMir 94, réalisée en coopération avec l'Agence spatiale européenne. Son retour au sol a lieu le 4 novembre, à bord de Soyouz-TM 19.