Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Gastronomie

La conservation du patrimoine s'étend désormais à l'alimentation et à l'héritage de savoir-faire qui la valorise. L'AFNOR (Association française de normalisation) participe à cette œuvre de protection en créant une norme agroalimentaire pour les denrées dépourvues de label. Bien que cette dernière soit soumise à des critiques virulentes, la Commission européenne a réagi de manière positive. Elle patronne le projet « Culture, gastronomie, artisanat » : le département de la Manche, le Dorset, le Wexford, la Castille et le Léon ont été subventionnés pour dresser le répertoire de leurs produits gastronomiques artisanaux. Une enquête a aussi été entreprise sur les produits méritant soit l'indication géographique protégée, soit l'appellation d'origine contrôlée. Enfin reconnue, « l'Europe des terroirs » limiterait l'excessive banalisation de la consommation alimentaire imposée par l'industrie et la grande distribution.

Le vin

Les pluies de septembre ont compromis une récolte considérée comme prometteuse après un été sec et chaud. La qualité variera beaucoup dans une même aire viticole. À la déception, due aux aléas climatiques, s'ajoute le mécontentement, suscité par la Commission européenne. Aux propositions de réduction de la production, les viticulteurs répondent : « L'abus de réglementations européennes peut être dangereux. Consommons-les avec modération. »

La diffusion des conceptions culinaires françaises est soumise, elle aussi, aux aléas de l'offre et de la demande, reflétant parfois des faits de civilisation. Les préférences de Bill et de Hillary Clinton pour le hamburger et les compositions peu caloriques ont conduit Pierre Chambrin à abandonner les cuisines de la Maison-Blanche. L'Europe de l'Est et l'Extrême-Orient sont plus accueillants pour les chefs français. Jean-Michel Lorain, héritier de la dynastie de Joigny, restaure et rajeunit la cuisine impériale russe pour le grand hôtel Europe, à Saint-Pétersbourg. Une « seconde ambassade de France » a été inaugurée à Tokyo par Jean-Claude Vrinat et Joël Robuchon, soutenus par la puissance financière de Sapporo : le somptueux Château de France abrite, dans le parc Ebisu, un restaurant, un café français, une boutique de pain, une pâtisserie et les caves Taillevent, comme à Paris.

La finance mise toujours sur la restauration. Depuis le nouvel an, Joël Robuchon règne sur un hôtel particulier de l'avenue Poincaré, à Paris, décoré d'œuvres de l'école de Nancy. L'appui de la compagnie immobilière Phénix a été décisif pour encourager Robuchon à poursuivre son combat pour le retour « au goût originel ».

L'enracinement régional, propice au maintien des traditions, n'est pas défavorable aux initiatives novatrices. De multiples manifestations le prouvent : les expositions montrant « Quand les Bretons passent à table », le premier Congrès mondial de la gastronomie basque, à Biarritz, le Festival international de la gastronomie de Colmar ont obtenu un franc succès. Les distinctions de l'année ont été partagées entre la Bretagne et l'Alsace. Olivier Roellinger, du Restaurant de Bricourt, à Cancale, a été élu « cuisinier de l'année » par Gault et Millau. Son saint-pierre infusé dans le lait de coco, embaumant la citronnelle et le benjoin, est imprégné d'effluves d'outre-mer qui portent le palais au rêve. C'est un Alsacien que Michelin a intronisé dans le groupe très fermé des « trois étoiles ». Dans le parc de l'Orangerie, à Strasbourg, Antoine Westermann a aménagé une authentique maison de paysans, le Buerehiesel, où il renouvelle les recettes du terroir alsacien, en mariant la coriandre, le romarin et la roquette aux anguilles du Rhin ou à la crépinette de tête et de pied de cochon. Heureuse Alsace qui réunit, à courte distance, le Buerehiesel, le Crocodile d'Emile Jung et, à Illhaeusern, l'Auberge de l'Ill des frères Haeberlin !

Les « Mères » lyonnaises sont menacées par la crise. La Mère Vittet, en redressement judiciaire, bénéficie d'un sursis. Deux fois centenaire, la Mère Guy a fermé au printemps sa tonnelle aux vitraux, privant notre époque d'un lieu convivial qui avait rapproché Édouard Herriot et le cardinal Gerlier.

Cuisinier de la mer, originaire du Morbihan, Gilbert Le Coze est mort à 48 ans. Après avoir officié à Paris, à l'enseigne du Bernardin, il s'était expatrié et avait ouvert des restaurants à New York, à Miami et à Atlanta. Sa marmite de fruits de mer restera dans les mémoires.

Jean-Pierre Albert, le Génie des saveurs, Calmann-Lévy, 1994.
Gisèle Révidi, Psychanalyse de la gourmandise, Payot.

Georges Grelou