Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Santé : la sécurité sociale admise aux urgences

L'histoire est souvent lente et répétitive. Revenue cette année, à la faveur du changement de gouvernement, aux commandes du ministère de la Santé, Simone Veil y a retrouvé les problèmes qu'elle avait connus 15 ans auparavant, le seul changement consistant en l'aggravation des urgences dans un contexte général de récession.

La spirale

Le déficit chronique qui affecte depuis des années notre système de santé tend en effet à devenir critique. Le régime général, poste le plus important de notre système de sécurité sociale dont relève l'ensemble des salariés du secteur privé, affichait à lui seul un déficit de plus de quinze milliards en 1992, contre 9,6 milliards en 1990. Ce chiffre, en s'ajoutant aux manques à gagner enregistrés antérieurement, promettait en définitive un déficit cumulé de plus de 100 milliards à la fin de 1993.

Des quatre branches du régime général, famille, accident du travail, vieillesse et maladie, les deux dernières sont responsables de ce « trou » vertigineux, qui tend à s'aggraver pour des raisons tant structurelles que conjoncturelles.

Au plan structurel, le système de soins français, où des praticiens en nombre croissant offrent une gamme de soins et de services de plus en plus complets, presque entièrement couverts par l'assurance collective, et dont le seul frein est le « ticket modérateur » à la charge des assurés, favorise l'augmentation de la consommation de soins. Le nombre de médecins en activité, qui, actuellement, DOM-TOM inclus, atteint 178 530, a augmenté de 2,02 % en 1992.

À cette spirale ascendante des dépenses de santé, qui évolueraient chaque année de 6,5 % à la hausse, s'oppose la chute des recettes dans le contexte de la récession. Les cotisations, assises sur la masse salariale, sont en effet en diminution constante : plus de chômeurs, moins de cotisants et moins de contribuables, un tassement du salaire moyen par tête dont le taux de croissance est tombé de 4,2 à 4 % de janvier à décembre 1992, telle est la logique de la crise, qui vide les caisses de l'assurance maladie comme celles de l'assurance vieillesse et de l'assurance chômage.

La dérive des comptes n'est cependant pas seulement imputable à un consumérisme délibéré de la part des assurés, du reste mal armés pour juger par eux-mêmes du bien-fondé des prestations que leur offre le corps médical. Un nombre non négligeable d'actes inutiles ou surcotés grèverait la pratique des médecins et coûterait, selon la CNAM, 60 milliards de francs par an à la sécurité sociale. On peut citer, à titre d'exemple, le nombre d'échographies effectuées au cours d'une grossesse, les traitements inutilement prolongés, les prescriptions simultanées au même patient de médicaments faisant double emploi les uns avec les autres.

Enfin, le secteur hospitalier, tributaire d'un « budget global » aveugle à l'activité réelle des établissements, entretient à grands frais environ 60 000 lits excédentaires. Le manque à gagner n'était, jusqu'à présent, corrigé qu'a posteriori, correction « par défaut » qui s'est faite au fil du temps, en transférant la charge du déficit soit vers les assurés, par le biais notamment des hausses de cotisations ou des déremboursements de médicaments, soit vers l'État, la sécurité sociale ne cessant de s'endetter auprès du Trésor et de la Caisse des dépôts et consignations.

Deux étapes

Les gouvernements qui se sont succédé depuis 1975 ont développé parallèlement des stratégies variées, chaque nouveau ministre y allant de son plan : en 1993, c'est une taxe sur le tabac qu'on a appelée à la rescousse.

Mais ces recettes palliatives n'endiguent pas à elles seules l'accélération du déficit, vis-à-vis duquel le fatalisme n'est plus de mise. Le gouvernement Balladur était donc condamné à dégager des solutions à la fois financièrement efficaces, socialement équitables et économiquement supportables pour ne pas exercer un freinage excessif de la consommation, seul moteur d'une croissance en panne. Reprenant les solutions amorcées par ses prédécesseurs, Édouard Balladur a mis au point un plan en deux étapes.