Portraits politiques
Martine Aubry
Dès 1986, Philippe Séguin, alors aux Affaires sociales, avait repéré cette énarque dans l'administration de son ministère, et ne tarissait pas d'éloges à son égard. Au lendemain de la déroute de la gauche, en 1993, tous les grands patrons ont essayé de récupérer cet oiseau rare auprès d'eux. Édouard Balladur, depuis peu installé à Matignon, n'aurait pas été mécontent, dit-on, qu'elle accepte de glisser au gouvernement quelques bonnes idées pour relancer l'emploi, en siégeant au sein de la commission Matteoli. Bref, pour un peu, à en croire certains, la droite la regretterait au ministère du Travail ! Pas de chance, Martine !
Aubry, 43 ans, fille de son père Jacques Delors – mais ne le lui dites pas trop, elle a son caractère ! – , a décliné toutes les offres. Même celle du chef de l'État qui voulait en faire son porte-parole. Même celles des éléphants – ou ce qu'il en reste – du Parti socialiste qui, prévoyants, ne voulaient pas se priver d'un tel talent. « Non, a-t-elle répondu, moi, je veux me bagarrer pour de vrais problèmes. Pour du concret. » Résultat : loin des querelles politiciennes qui, décidément, l'insupportent (atavisme familial ?) et lui font « perdre son temps », elle a lancé sa fondation, Agir contre l'exclusion. Et, comme un seul homme, toute la fine fleur du patronat français s'est mobilisée derrière cette femme.
Par les temps qui courent pour le socialisme hexagonal, une telle popularité de l'un des siens est plutôt rare. Mais, voilà, il faut bien une exception. Et Martine Aubry est celle-là. L'ancien ministre du Travail des gouvernements d'Édith Cresson et de Pierre Bérégovoy, qui, en mars dernier, a annoncé que le cap des trois millions de chômeurs était franchi, est insensible au discrédit qui touche son camp. Son image reste intacte : celle d'une bûcheuse qui ne s'embarque pas à la légère et connaît ses dossiers. Les Français aiment son franc-parler. Moins ses amis politiques qui en font souvent les frais. Mais ils se taisent. Conscients que, dans l'avenir de la gauche, elle a peut-être un rôle à jouer. Comme son père ?
Lucas Sidaine
Édouard Balladur
L'un des événements les plus marquants de cette année politique en France fut certainement la popularité extraordinaire de l'actuel Premier ministre. Né à Smyrne, le 2 mai 1929, dans une vieille famille de banquiers français du Levant, il garde de ses origines orientales un aspect apparemment lymphatique et délicieusement onctueux. Une onctuosité renforcée par son passage, jeune homme, au 104 de la rue de Vaugirard, dans le pensionnat des pères maristes, où avaient séjourné avant lui François Mauriac et François Mitterrand. Ancien conseiller et secrétaire général à l'Élysée de Georges Pompidou, qu'il assiste de très près pendant la crise de mai 1968, et complice de longue date de Jacques Chirac, Édouard Balladur est un haut fonctionnaire (conseiller d'État) qui a fait une carrière dans l'ombre – avec un passage dans le privé – , loin de l'arène politique, des urnes et des discours enflammés. Ce trajet lui confère à la fois l'image d'un homme d'expérience et une aura d'homme neuf. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir tissé autour de lui un puissant réseau d'amis politiques, allant de Jacques Calvet (Peugeot) à Jérôme Monod (Lyonnaise des Eaux), en passant par Pierre Suard (Alcatel) ou Marc Vienot (Société générale).
Le climat psychologique de cette fin de siècle, face à l'ampleur des problèmes économiques et écologiques à l'échelle planétaire, est plutôt à l'inquiétude, et les Français n'y échappent pas. Devant ce désarroi, l'image Édouard Balladur est apparue comme un facteur sécurisant. L'homme a surgi de notre passé pompidolien dans son costume trois-pièces à la coupe désuète, mais fort élégante, dans le style indémodable des grands couturiers pour hommes de Savile Row, à Londres, armé de son regard réprobateur digne d'un oncle de province, pour reprendre le pays en main, tout comme... Pompidou après Mai 68 !