Cambodge : la convalescence

Le renouveau politique

À la surprise générale, les élections législatives supervisées par l'ONU ont remporté un véritable succès, mais ont entraîné la restauration de structures traditionnelles du pouvoir, que le plan de paix n'avait pas prévue.

C'est dans le climat houleux de la campagne électorale que le Cambodge a vécu les premiers mois de l'année. Alors que l'Administration provisoire de l'ONU au Cambodge (APRONUC) s'efforçait d'appliquer les accords de Paris (signés le 23 octobre 1991) en enregistrant les électeurs cambodgiens dans des bureaux de vote, relayée par les associations locales de droits de l'homme (ADHOC, LICADO) ainsi que par les 6 000 observateurs civils et les représentants des 20 partis en lice, différentes factions tentaient sur le terrain de décourager les Cambodgiens de s'exprimer. Il s'agissait des premières élections libres de l'histoire du Cambodge, après 23 ans de guerre civile. Le mouvement de guérilla néomaoïste des Khmers rouges était le plus viscéralement opposé à la tenue de ce scrutin. Pendant leur passage au pouvoir, de 1975 à 1978, les Khmers rouges avaient provoqué par fanatisme idéologique la mort de un à deux millions de Cambodgiens (sur un total de six millions d'habitants). Signataires des accords de Paris, les Khmers rouges, réalisant que le succès du plan de paix risquait d'entraîner la disparition de leur mouvement, se sont progressivement détachés du processus de l'ONU, jusqu'à lancer un mot d'ordre de boycott des élections, prévues du 23 au 28 mai. Le 13 avril, la délégation des Khmers rouges à Phnom Penh a plié bagages, prétextant que sa sécurité n'était plus assurée. Ce qui a entraîné une période de psychose au sein de la population et parmi les observateurs internationaux, chacun redoutant que le mouvement de guérilla ne joue son va-tout en multipliant les actes terroristes. Plusieurs dizaines d'opérations d'intimidation plus ou moins meurtrières seront effectivement perpétrées par les Khmers rouges entre la fin mars et l'ouverture du scrutin. Faute d'intimider réellement, les Khmers rouges tentent aussi de diviser en réveillant la haine séculaire que vouent les Cambodgiens aux Vietnamiens. Plus de un million de civils vietnamiens sont restés au Cambodge depuis le retrait officiel des troupes de Hanoi à l'automne 1989. Ils deviennent la cible de la propagande des Khmers rouges. Plusieurs dizaines d'entre eux sont assassinés, notamment dans la région du lac Tonle Sap, où plusieurs importantes colonies de pêcheurs vietnamiens sont établies. Ces actions provoquent un mouvement d'exode partiel, le thème de l'ennemi héréditaire ayant été repris par plusieurs autres partis, en particulier le FUNCINPEC, créé en 1981 à Pyongyang par le prince Norodom Sihanouk et présidé depuis 1992 par l'un de ses fils, le prince Ranahridd.

Scrutin

C'est dans ce climat délétère et sous la surveillance des 16 000 « bérets bleus » que s'ouvre pourtant le scrutin, le 23 mai. Contre toute attente, le taux de participation dépasse tous les espoirs. 90 % des 4,7 millions d'électeurs inscrits se sont rendus aux urnes, et c'est le FUNCINPEC qui remporte le nombre le plus important de voix, sans pour autant détenir la majorité absolue (45,47 % des voix, soit 58 sièges sur les 120 que compte l'Assemblée constituante). Son succès, estiment les experts, est grandement lié au nom de Sihanouk, l'ancien dieu-roi, dont le nom et le portrait ont été largement utilisés pendant la campagne du FUNCINPEC. Vient ensuite le PPC, Parti du peuple cambodgien, communiste, fondé en 1981 par les occupants vietnamiens et qui était au pouvoir depuis lors. Le PPC est dirigé par le président de l'ancienne Assemblée, Chea Sim, et son vice-président est le Premier ministre du gouvernement sortant, Hun Sen. Il contrôle la fonction publique et l'armée. Il obtient 38,22 % des voix et 51 sièges. Le Parti libéral démocratique bouddhiste, enfin, obtient 10 sièges, 17 autres partis se partageant le reste des voix. Les Khmers rouges, qui étaient sortis du processus et avaient refusé de présenter des candidats, se retrouvent exclus des nouvelles institutions.