La révision des idées reçues semble ainsi dans l'air du temps. Et elle autorise bien des contestations. Dans la lignée de certains professeurs français qui n'avaient pas hésité à nier la réalité des chambres à gaz comme instruments de génocide, John Charmley, maître de conférences à l'université d'East Anglia, a publié une biographie iconoclaste de Winston Churchill (Churchill, the End of Glory), dans laquelle il accuse l'illustre Premier ministre britannique de n'avoir pas su négocier avec Hitler une paix de compromis et d'avoir ainsi contribué au déclin de son pays et à la dislocation de l'empire, oubliant que l'ambition du Fürher était sans limite et que les forces de dislocation de l'empire étaient déjà à l'œuvre depuis longtemps au sein de ce dernier, comme en témoigne l'histoire de l'Inde entre les deux guerres. Conviction intime de l'historien ou volonté de provocation ? L'entreprise est, à tous égards, hasardeuse.
Philippe Ariès, « l'historien du dimanche » (comme il se désignait lui-même), se serait gardé de prendre un tel risque, comme le prouvent ses Essais de mémoire (1943-1983), que publie post mortem Robert Charretier. L'auteur y révèle son souci de se libérer du dogmatisme maurassien, fait de nationalisme jacobin et de traditionalisme contre-révolutionnaire, pour devenir l'homme de mémoire par excellence qu'est l'historien. Adversaire irréductible de l'anachronisme, Ariès sut déceler les permanences que cache la diversité des temps. Il en donne pour preuves, parmi bien d'autres, l'attachement au cadre du bailliage qui survit dans celui que manifestent les nouveaux notables au scrutin d'arrondissement, ou bien la force d'une administration qui assure, au travers de tous les changements de régime, l'indispensable continuité des services publics. Il y a là des exemples à méditer.
Pierre Thibault