La culture par gros temps
Par temps de crise prolongée, la tentation de tout gouvernement est de revoir à la baisse ses dépenses culturelles. « Faire sans défaire », c'est en ces termes que Jacques Toubon a cependant annoncé son programme en s'installant rue de Valois dans le fauteuil de l'inamovible ministre de la Culture qu'avait été Jack Lang depuis 1981. C'est, pour l'essentiel, ce qu'il s'est appliqué à réaliser, non sans hésitations et temporisations quelquefois, non sans procéder à plusieurs remplacements « politiques » à la tête des directions de son administration et de quelques grandes institutions. Ainsi Maryvonne de Saint-Pulgent, énarque de droite, a-t-elle succédé à Christian Dupavillon, architecte de gauche. Ainsi Jacques Baillon a-t-il pris le théâtre en main, à la place de Didier Van Der Malière. Ainsi Stéphane Martin, un proche de Pierre Boulez, a-t-il été nommé directeur de la Musique après le départ de Thierry Le Roy.
Dans les grandes institutions culturelles, à la Comédie-Française, Jacques Lassalle a cédé son fauteuil à Jean-Pierre Miquel, dont les sympathies pour l'actuelle majorité sont plus certaines. Mais, au Théâtre national de Strasbourg, Villégier – l'homme d'Atys – a été remplacé par Martinelli, qui passe pour « pencher » à gauche. Au Centre Pompidou, le décès de Dominique Bozo a entraîné la nomination de François Barré, dont les amitiés au Parti socialiste sont nombreuses. François Barré occupait jusqu'alors la direction des Arts plastiques, poste auquel lui succède Alfred Pacquement, haut fonctionnaire neutre, qui dirigeait auparavant la galerie du Jeu de paume. On aurait peine à donner un sens idéologique à ces mutations qui se déroulent dans le milieu clos des professionnels de l'art.
La rigueur dans la continuité
Même continuité en clair-obscur au niveau budgétaire. Le budget dépasse, en 1994, 13 milliards de francs – soit 0,95 % du budget de l'État. Est-il en augmentation par rapport à l'année précédente ? La réponse n'est pas simple. À l'automne 92, la loi de finances entérinait un budget égal à 1 % de celui de la nation. La vieille revendication exprimée dès le début des années 70 par Jean Vilar était enfin atteinte. Quelques mois plus tard, ce budget était amputé par le gouvernement Bérégovoy de 225 millions de francs et ne représentait donc plus que 0,98 % du total. En outre, 665 millions étaient « gelés ». Mesure toute provisoire, précisait Jack Lang à l'époque. Son successeur transforma ce gel en annulation lors du collectif budgétaire qui suivit l'arrivée d'Édouard Balladur à Matignon, si bien que le pourcentage réel pour l'année 1993 descendit à 0,93 %. Selon ces critères, l'augmentation en 1994 serait de 4,3 % – mais l'opposition refuse toute validité à ce mode de calcul qu'elle qualifie d'« habillage comptable ».
Toujours est-il que le budget voté en décembre devrait se déployer davantage en direction de la province, mais qu'il favorise toujours Paris et sa région. Formation et sensibilisation devraient voir leurs moyens renforcés, avec un peu plus de un milliard de francs dont la répartition n'est pas facile à suivre. La troisième priorité de la rue de Valois est l'action internationale et la francophonie, récupérées de jure sur le ministère des Affaires étrangères. Mais sans leur budget...
D'une façon générale, la rigueur écorne tous les moyens de fonctionnement du ministère et les crédits d'équipement. Seuls le théâtre et la musique parviennent à maintenir leurs dotations. La situation est plus confuse pour le cinéma. Le ministère annonce que les crédits d'intervention dépasseront 2 milliards (en augmentation par rapport à l'année précédente), mais la subvention de l'État au Centre national de la cinématographie baisse de 39,6 %. La différence devrait être comblée par des recettes issues de la profession. Pour le Livre, la baisse des subventions en direction des éditeurs, des revues et de l'exportation se conjugue avec un déblocage de 106 millions pour « favoriser le développement de la lecture chez les jeunes ». Le patrimoine bénéficie d'une loi-programme sur 5 ans avec une (modeste) augmentation garantie de 2 % l'an et, pour cette année, 1,5 milliard de francs. Dans le domaine des arts plastiques, le budget des grandes écoles est, pour l'essentiel, maintenu ; celui des centres d'art contemporain subit, en revanche, une érosion par rapport à la loi de finances de 1993. Les grands perdants sont les Archives, qui voient leurs crédits amputés de près de 20 %, et surtout les musées, dont les crédits d'acquisition, qui avaient fait les frais du dernier collectif budgétaire avec une réduction de plus de la moitié, restent au même étiage.