En deuxième lieu, l'aggravation du chômage et le freinage de l'augmentation du revenu disponible brut ont déprimé la consommation privée. Par ailleurs, les ménages, devant l'incertitude, ne cherchent plus à s'endetter ; leur pessimisme les incite à une grande prudence dans les décisions d'achats ; comme le soulignent aussi les récentes enquêtes d'instituts de marketing, ils privilégient dorénavant les produits simples avec un bon rapport qualité-prix. Entre le ralentissement de la croissance réelle du revenu et de la consommation privée, le taux d'épargne a remonté : après avoir diminué sans interruption de 1981 à 1987 (de 18 % du revenu disponible brut à 10,8 %), il s'est relevé à 12,7 % en 1992. Enfin, l'incertitude, la crainte de l'avenir et l'absence de signes encourageants de reprise ont conduit tant les ménages que les entreprises à réviser leurs anticipations à la baisse : les uns et les autres se retiennent de consommer ou d'investir. Comme ces anticipations se révèlent anti-réalisatrices (« on a bien eu raison de ne pas dépenser »), la reprise se trouve une fois de plus retardée.
En dernier lieu, face à une demande déprimée, la concurrence entre producteurs s'avive d'autant plus que la mondialisation des marchés et les délocalisations en fournissent les moyens (politique agressive des prix, écoulement des stocks à prix réduits, etc.). Dans ces conditions, le phénomène s'auto-entretient, c'est-à-dire que chaque baisse de prix provoque une baisse de prix de la part du concurrent si ce dernier estime qu'il s'agit de la riposte la plus appropriée.
L'industrie française, un bilan en demi-teintes
La plupart des indicateurs sont alarmants : la croissance n'en finit pas de ralentir (+ 5,6 % dans les années 1960, + 3,7 % dans les années 1970, + 2,2 % dans les années 1980 et + 1,3 % depuis le début des années 90), le poids de l'industrie de se réduire dans la production nationale (49,3 % du total en 1960, 43,3 % en 1992) et dans la population active (35,4 % en 1960 contre 27,9 % en 1992) et les investissements industriels de diminuer (– 11 % en volume cette année). Pourtant, dans le même temps, la France a fourni un énorme effort de compétitivité, elle a dynamisé ses groupes industriels qui, à l'inverse de ce qui se passe dans d'autres pays (Grande-Bretagne ou Suède, par exemple), ne se délocalisent pas massivement à l'étranger. La France représente même le premier pays d'accueil des investissements étrangers.
Le coût du travail dans le monde : c'est en Asie que la main-d'œuvre est la moins chère, loin devant l'Europe de l'Est et l'Amérique du Sud. Ainsi, au début des années 1990, le salaire horaire d'un ouvrier qualifié s'élève au Viêt Nam à 1,1 F, en Chine à 2,1 F, en Pologne à 5 F, au Portugal à 13,2 F, en Grande-Bretagne à 52,9 F, en France à 55 F, au Japon à 74 F, en Allemagne à 89,9 F et en Autriche à 97,6 F.
Le rapport Jean Arthuis (sénateur Union centriste de la Mayenne) sur la délocalisation d'activités dans les pays à bas coût de main-d'œuvre est alarmant : ces transferts d'activités seraient destructeurs d'emplois et contribueraient à l'augmentation du chômage. Ainsi, depuis 1975, les effectifs de l'industrie électronique européenne sont passés de 250 000 à 119 000, et ceux de l'industrie française du textile et de l'habillement de 680 000 à 380 000. Jean Arthuis préconise une augmentation de l'impôt sur la consommation, qui grève les produits importés sans s'appliquer aux exportations.
Ignacio Lopez quitte General Motors pour Volkswagen. Il gagnera quinze millions de dollars en cinq ans, soit 40 000 francs par jour ! Si les frontières entre pays continuent de s'effacer, de nouveaux écarts se développent, entre différents groupes de salariés d'une même nation. Au moment où les salariés de Hoover acceptent des baisses de rémunération pour garder leur emploi, certains privilégiés, compétitifs à l'échelle internationale, acceptent des salaires mirobolants.
Michel Drancourt, Mémoires de l'entreprise, Robert Laffont. 1993.
Gilbert Rullière