Ce déclin de l'investissement n'atteint pas que la France. Comme le souligne l'INSEE, la situation est analogue dans la plupart des pays de l'OCDE, Allemagne et Japon compris et à l'exception de la Grande-Bretagne et des États-Unis. En effet, pour ces deux derniers pays, la reprise récente des investissements, surtout aux États-Unis (5,6 % en 1992 outre-Atlantique), tient essentiellement au fait qu'ils sont sortis plus tôt de la crise parce qu'ils y étaient entrés plus tôt. Mais, entre la faiblesse et la fragilité de la reprise, la Grande-Bretagne et les États-Unis restent exposés à une chute inattendue de l'investissement.
La baisse des investissements productifs se poursuit : ils ont diminué en volume de 9,1 % par rapport à 1992, ce qui pourrait remettre en cause la compétitivité de l'économie française, tant sur le marché intérieur qu'à l'étranger. Ce recul est particulièrement notable dans les services, où les investissements ont chuté de 15 % en volume cette année par rapport à 1992 (année qui avait déjà enregistré une baisse de 12 %).
Des entreprises françaises endettées
Dans le cas de la France, cette situation dominée par le tassement de l'investissement s'avère préoccupante à plus d'un titre. Malgré les efforts de désendettement de certaines firmes mieux placées que d'autres, l'endettement devient insupportable en raison des taux d'intérêt réels, supérieurs à la croissance en volume ; dans ces conditions, les entreprises endettées n'envisagent d'investir que dans la mesure où la rentabilité de l'investissement se révélerait supérieure à ce qui est attendu habituellement. Par conséquent, les entreprises deviennent beaucoup trop prudentes et ne cherchent pas à développer leur activité. Ensuite, le niveau actuel de l'endettement, avec une dette rémunérée proche de 130 % de la valeur ajoutée (contre 113 en 1983-84, période qui a précédé un gros effort de désendettement de la part des entreprises), n'incite pas les entreprises à investir même si la demande se relevait, phénomène déjà observé au milieu des années 1980. Enfin, le poids des charges d'intérêt fragilise les entreprises.
Cette dégradation plus ou moins générale de la situation des entreprises industrielles, masquée sous le couvert d'une amélioration apparente mais trompeuse de leurs comptes ou de leurs résultats, révèle les limites du modèle de croissance des années 1980 fondé sur la compression des coûts de production et des charges ainsi que sur la recherche de la compétitivité tant intérieure qu'extérieure.
La remise en cause du modèle de croissance des années 1980
En premier lieu, la compression des charges et des coûts a été obtenue au cours des années 1980 par la mise en œuvre d'une politique de modération salariale, sous le couvert d'une lutte contre l'inflation (ou désinflation). En outre, les entreprises ont vu cette tâche facilitée en raison de la stabilisation des cours de matières premières et des produits pétroliers. Une telle opération a donné dans un premier temps des résultats satisfaisants entre l'ouverture de nouveaux débouchés intérieurs et la pénétration des marchés extérieurs. Cependant, dans un deuxième temps, il est arrivé un moment où les entreprises industrielles n'ont pas pu réduire davantage leurs coûts en raison de la fixité des charges salariales, de la hausse des dépenses de recherche (pour faire face à la compétition technologique) ou du poids croissant de la dette. Par ailleurs, avec l'exacerbation de la concurrence entre producteurs nationaux et étrangers, les prix ont tendu à la baisse. Aussi, pour éviter une chute en valeur absolue de leur chiffre d'affaires, des profits et de la rentabilité du capital, les grosses entreprises, comme les plus petites, n'ont pas eu le choix : elles ont cassé les prix et travaillé à perte pour assurer les salaires d'une partie du personnel. À plus longue échéance, elles ont été obligées d'envisager d'autres mesures. Pour ajuster leurs coûts et réduire les pertes, elles ont dû s'engager dans des politiques drastiques de restructuration de leur appareil de production (fermetures et transferts d'usines, délocalisation vers des pays à main-d'œuvre moins coûteuse), de réforme de leurs méthodes d'organisation du travail (accent sur la qualité) ou de réaménagement des systèmes de commercialisation et de distribution. Mais, comme ces mesures ne sont pas toujours suffisantes pour que l'entreprise survive aux coups de la concurrence et de la déflation financière (entretenue par la guerre des prix), cette stratégie permanente d'augmentation de la productivité aboutit à d'importantes suppressions d'emplois. Entre la difficulté de fournir des emplois de substitution et celle de couvrir la dépense budgétaire d'indemnisation des chômeurs, la reprise tant attendue ne peut être que différée.