Gastronomie
La valorisation du produit de qualité mérite un combat sans trêve. On doit donc saluer les initiatives prises dans la fausse torpeur de l'été. Deux décrets ont contribué à la sauvegarde du pain et du foie gras. Les terminaux de cuisson qui vendent une baguette dont la croûte s'effrite en copeaux et cache une mie bulleuse, inconsistante et insipide seront désormais identifiables. Le boulanger qui pétrit, façonne et cuit son pain sur place sera le seul à proposer le pain maison. Un autre pain sera digne de considération : le pain de tradition française, qui sera dépourvu de tout additif. Le foie gras a aussi été dépouillé de ses fausses parures. L'appellation est réservée aux préparations composées de foies d'oie ou de canard entiers, d'un ou plusieurs lobes et d'un assaisonnement. Pour se dire truffé, le foie gras devra inclure 3 % de truffe (Tuber melanospermum). Ces garanties devraient être multipliées, d'autant plus que la crise contraint consommateurs et professionnels à s'intéresser à des produits moins coûteux, pour lesquels l'exigence s'accroît.
La simplification des menus et de la carte est, de fait, partout à l'ordre du jour, car la crise pénalise sévèrement la grande restauration. Le Duc d'Enghien a annoncé sa fermeture dès le début de l'année, cinq autres établissements connus ont aussi éteint leurs fourneaux à Paris, la Pérouse s'est déclaré en cessation de paiement en juin et André Daguin, président de la Fédération nationale de l'industrie hôtelière, a mobilisé à Carcassonne, le 29 juillet, les professionnels de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon pour la défense de la restauration. La voie du salut a été tracée par quelques pionniers déterminés qui ont élagué leurs cartes et élaboré des menus à prix modérés. Ce choix a été exemplaire à la Vieille Fontaine, à Maisons-Laffitte : renonçant à ses deux étoiles, François Clerc a proposé un menu à 160 francs, laissant le choix entre dix entrées, douze plats et onze desserts. Le succès a récompensé l'audace de cette stratégie de retraite provisoire.
La créativité s'épanouit encore si elle est soutenue par des investissements considérables. Le miracle s'est réalisé à Saint-Étienne. Installé dans un hôtel « Arts déco » entièrement réaménagé, Pierre Gagnaire a reçu en 1993 la double couronne de Michelin et de Gault-Millau. Ce descendant d'une lignée de restaurateurs du Forez s'est affranchi des contraintes de tradition et a libéré ses pulsions profondes. Il poursuit en permanence sa recherche des alliances et des contrastes inexplorés, associant sans peur un jus de griottes au quinquina et un coulis de groseilles à un tourteau farci dans sa laitue ou encore l'abricot et le lait d'amandes à une compote de girolles. Épris d'une cuisine « imprévisible, émotionnelle », Pierre Gagnaire prend plaisir à provoquer des séismes de sensations gustatives, mais ses assemblages inattendus s'ordonnent, par une mystérieuse alchimie, en renouvelant toutes les harmonies connues.
Le vin : millésime 1993 de bon niveau. « De la couleur et des arômes intéressants », selon l'Office national des vins. Malgré la chute des prix des grands crus, qui atteint parfois 30 %, le vin reste une valeur sûre : Alcatel-Alsthom a acheté le Château Gruaud-Larose, Pinault a acquis Château-Latour, et le vol des caves est devenu une industrie en Bourgogne.
Pionnier de la nouvelle cuisine, André Guillot, patron de l'auberge du Vieux-Marly à Marly-le-Roi dans les années 1950 et 1960, est mort le 26 février. Rompant avec la tradition respectée depuis le début du siècle, il avait été le premier à composer des sauces légères, en s'interdisant de recourir à la farine et à la crème.
Patriarche de la restauration française, Raymond Thuillier, né en 1897, est décédé le 20 juin. Assureur jusqu'en 1945, il innove en créant, aux Baux-de-Provence, l'Oustau de Baumanière, qui associe un restaurant proposant une cuisine raffinée et un hôtel somptueux. Recevant comme un ambassadeur, il a accueilli les sommités du monde entier, venues déguster ses filets de rougets au basilic ou son gigot d'agneau en croûte.
Traiteur a vocation d'explorateur, Paul Corcellet, disparu le 16 juillet, mitonnait les plats exotiques les plus étranges, à l'aide de termites, de boa ou de queue de caïman. Connus très tôt de ses fidèles, l'avocat, le kiwi et la moutarde au poivre vert sont désormais de consommation courante.
Questions de aoûts, par Elisabeth de Meurville (Éd. Archipel).
Cuisine de l'émotion, par Cl. Peyrot (R. Laffont).
Georges Grelou