Tout est mode
Le long s'impose, le long triomphe, le long s'affiche sur toutes les longueurs. Pour un peu, en ce début d'année 1993, on aurait remisé pour des jours meilleurs une garde-robe qui ne semblait plus de mise. À peine l'idée de se mettre en long pour longtemps et c'était au tour du court de contre-attaquer, de s'afficher sur tous les fronts et de s'abréger effrontément sous le coup des ciseaux de Karl Lagerfeld, qui rit encore de son coup d'éclat et de ses jupes réduites à la brièveté d'un short sur des jambes habillées d'épais collants, socquettes et lourds brodequins, le tout porté avec humour et des vestes ajustées au millimètre près. Et le couturier de déclarer : « On ne peut pas éternellement parler de longueur. Au lieu de parler du court, habillez-vous avec hauteur. On peut écrire deux histoires opposées. Il y a le court et le long prolongé. C'est la solution du milieu qui ne fait plus beaucoup d'envieux. Seul le changement permet de survivre. Les fausses pudeurs n'appartiennent qu'aux minables. » De l'ultracourt, Yves Saint Laurent a une interprétation exquise et libertine, qui a vite fait beaucoup d'adeptes. Il pose, en ourlet, un galon de dentelle noire, large comme la main, sur de petits bouts de jupes droites en lainage, satin cuir, grain de poudre ou velours. Si la tradition garantit l'avenir, en mode comme ailleurs, on vit une étrange époque. Il faut apprendre à saisir l'instant et choisir, parmi toutes les tendances qui se sont lancées en cette année 1993, celle qui rime avec l'envie du moment.
Aujourd'hui, tout est mode. À chacune la sienne. Alors que le temps est aux volte-face, quel meilleur alibi pour celles qui aiment changer sans se renier ? « Expressionnisme, minimalisme et baroque, tout se mélange en bloc. » La rigueur côtoie la splendeur. C'est le choc des extrêmes. « L'œil, pense Karl Lagerfeld, évolue plus vite qu'on ne pense et peut suivre toutes les modes qui se lancent. » Le millésime de l'année ne manque pas de diversité. On a revu, d'abord, comme si c'était hier, les images des années 70 qui ont changé le monde et fait souffler sur la mode un vent fou de liberté. L'allure, comme on fredonne un refrain du passé, se composait alors sur un air de Carnaby Street. Flash-back sur les silhouettes longues, minces et nonchalantes qui se haussent sur des boots à plates-formes et des sabots à talons.
Autres retours annoncés, les « pattes d'eph » et les patchworks, le macramé et les mailles de filet, les pantalons arrêtés à la pointe des hanches et les brassières nouées sous la poitrine. Mais, si on se souvient du style très « peace and love », on recompose avec l'envie de s'imposer autrement. Une nouvelle simplicité est désormais de mise. Vive les valeurs simples ! C'est aussi le règne de la douceur et l'ère du naturel, pour ceux qui affirment « Rien ne se dit, tout se devine ». Une autre harmonie prend corps. Elle naît des couleurs qui empruntent leurs nuances à tous les tons de la terre, mais encore de la légèreté et de la transparence des matières : mousseline, voile de lin, organza, maille, paille et raphia. Fluide, languide, la ligne glisse sur les formes comme les songes d'une nuit d'été. On retourne à l'essentiel, on retrouve le goût des valeurs sûres, des matières originales que la nature, dans sa fécondité renouvelée, nous offre avec générosité.
S'il souffle autour de nous un vent d'authenticité, un parfum de simplicité, l'heure est à la remise en question, car il règne une grande confusion. Reflets d'une époque en souffrance, le « grunge » (version romantico-hippie du punk) et le « destroy » se sont hissés sur les podiums. Vêtements sans valeurs, fripes de marchés aux puces, robes des années 30, liquettes et gilets de grand-père se mélangent, se juxtaposent dans un désordre savamment composé avec quelques petites touches d'usure ou de morceaux d'étoffes rapiécées justement placées. On peut aussi ajouter un treillis militaire (mais en soie lavée), une cartouchière, un bonnet de skieur sur des cheveux pas coiffés (ou sciemment décoiffés) et à peine propres. Le refus de paraître détermine l'allure. Les tissus sont choisis pour leur apparente pauvreté. Tout est froissé, effiloché, déteint. Les couleurs sont sombres, l'assemblage des matières est discordant, baroque, incongru. On récupère avec force, mais on rapproche avec volonté et préméditation. Rien n'est laissé au hasard dans ce style où certains réalisent (parfois ?) un travail d'artiste. Le message ? Il est clair, dans cette époque pour le moins désordonnée où chacun brasse de multiples tendances, à la recherche du ton juste en suivant la ligne de son inspiration momentanée. La frime, l'élégance triomphante, le style tiré à quatre épingles : c'est fini. Les effets clinquants, les couleurs flamboyantes, les détails superflus, aussi. On n'a plus besoin d'en faire trop pour se faire remarquer. À défaut de paraître, on choisit le bien-être.
Yves Saint Laurent, on croyait tout savoir de lui. Créateur d'exception, qui domine depuis plus de trente ans le monde de la couture, il est un des rares qui laissera son empreinte dans l'histoire du siècle et inscrira son nom dans la légende de la mode. Voici Yves Saint Laurent, connu et inconnu, raconté par Laurence Benaïm. On découvre un enfant doué, un adolescent flamboyant. Un enfant roi élevé dans une maison de femmes à Oran (Algérie), sa ville natale. Un jeune homme fou de couleurs et de costumes qui, depuis son enfance, n'a cessé de dessiner. On suit un homme en proie à ses démons, mais qui, depuis l'ouverture de sa maison, en 1961, après des débuts éclatants chez Dior, n'a cessé de s'offrir des triomphes, collection après collection, renouvelant par des exercices de style éblouissants un style qui n'appartient qu'à lui. Yves Saint Laurent, par Laurence Benaïm (Grasset).
Coco Chanel avait, on le sait, la passion des bijoux. En contrepoint à la fabuleuse bijouterie fantaisie d'inspiration baroque qu'elle a créée toute sa vie, cette artiste de génie imagina une collection de haute joaillerie inouïe, luxueuse et raffinée, inventive et originale. Mettre en lumière ses pièces d'exception, tel est le propos de Patrick Mauriès, qui, dans un très bel ouvrage magnifiquement illustré de documents inédits, raconte les autres facettes de cette singulière créatrice. Les Bijoux de Chanel, par Patrick Mauriès (Éditions Thames Hudson).
Les top models à la une
Si la plupart des mannequins doivent se contenter du tarif de base – 24 dollars (140 francs) pour une heure de séance de photo à New York –, elles sont une cinquantaine à gagner plus de 3 millions de francs par an, et une dizaine plus de 6 millions. Parmi ces dernières, l'Américaine Cindy Crawford, 27 ans, gagne 280 000 francs par défilé, l'Allemande Claudia Schiffer, 23 ans, mannequin vedette de Karl Lagerfeld, 100 000 francs, et la Française Estelle Hallyday 60 000 francs. L'Anglaise Naomi Campbell, premier mannequin noir à faire la couverture de Vogue, gagne, pour sa part, 819 000 francs par journée de prises de vue.
Laurence Beurdeley